Que ne feraient pas certains cadres maliens pour occuper des postes de responsabilité ? Du trafic d’influence au nomadisme politique, en passant par les sacrifices ordinaires et souvent rituels ! Tous les moyens sont bons pour devenir Chef de division, Directeur, Directeur général, Président Directeur général, Président de Conseil d’administration, ministre…
Et curieusement, à peine nommés, ils deviennent des béni-oui-oui incapables de s’entourer de collaborateurs choisis par eux-mêmes, à plus forte raison prendre des décisions courageuses. Ils remuent ciel et terre pour se faire nommer, pour se faire finalement piétiner par leurs supérieurs hiérarchiques ou des barons du parti au pouvoir. Un Président-directeur général (PDG) qui informe son adjoint par… interphone qu’il est relevé ! Le ridicule ne tuera plus en République du Mali.
Surtout que, curieusement, il était dans le bureau de ce dernier quelques minutes seulement avant de le limoger par un coup de fil.
Cette scène s’est passée à l’Office du Niger de Ségou, la semaine dernière, où le PDG, Mamadou M’Baré Coulibaly, a été contraint par le ministre de l’Agriculture de se débarrasser d’une grande partie de ses collaborateurs sans tenir compte des compétences, de l’expérience… des intéressés. Sans doute gêné, le PDG n’a pas eu le courage d’affronter les partants pour leur signifier ouvertement leur limogeage parce qu’il n’avait pas d’arguments pour justifier cette décision qui lui a été imposée depuis un cabinet ministériel. On comprend alors qu’il ait opté pour l’interphone pour dire à son adjoint, Boubacar Sow, que son ministre avait décidé de le relever de ses fonctions. Ce qui n’était, en réalité, qu’un secret de polichinelle puisque presque tout Ségou l’avait appris avant l’intéressé lui-même.
Selon nos investigations, c’est en venant à Ségou comme parrain régional du Mois de la Solidarité (le 6 octobre 2016), que le ministre a amené avec lui la décision faisant le ménage à l’Officie du Niger. «Oublions tout… Aidons-nous et oublions les coups bas» ! C’est pourtant la quintessence du discours rassembleur tenu par ledit ministre le 4 septembre 2016 lors d’une réunion de synthèse de sa visite de supervision de la campagne agricole, dans la zone Office du Niger. Comment comprendre que le même ait pu être le premier à s’illustrer par un coup bas sacrifiant la performance de cette entreprise pour rehausser sa cote au sein du parti au pouvoir ?
«Je suis venu me confier à vous, je veux une équipe soudée. L’Office dépend en entier de l’engagement et de l’adhésion de tous ses acteurs» ! Ces propos avaient été tenus par le nouveau PDG de l’O.N, Mamadou M’baré Coulibaly, le vendredi 23 septembre 2016 à M’béwani. Cette confiance et cette unité, il a préféré les sacrifier pour conserver son poste.
L’espoir suscité par sa nomination et surtout par un discours traduisant une volonté de maintenir les hommes qu’il faut aux places qu’il faut, s’est vite estompé. Avec la nomination de cet homme du sérail, on avait espéré une rupture avec la gestion politicienne qui fait de l’Office la vache laitière et un abri pour militants du parti au pouvoir et ses alliés.
Une marionnette déguisée messie
Hélas, le messie chargé de consolider les acquis des dernières années se révèle être une marionnette de plus dans les mains des barons du Rassemblement pour le Mali (Rpm). Un homme de paille à qui on ne laisse même pas le loisir de désigner son équipe pour assurer sa mission et relever les défis pour faire de l’Office du Niger le vrai fleuron du développement agro-industriel du Mali.
La mission du nouveau PDG est déjà hypothéquée par ces nominations décidées à l’insu de la direction administrative de l’Office. On relève des chevilles ouvrières (directeurs de zone, directeur administratif et financier, directeur général adjoint, directeur à la communication…) en pleine campagne agricole pour la réussite de laquelle leur responsabilité est déjà engagée. Où sont passés le sérieux et le respect dans la gouvernance de ce pays ?
Que reproche-t-on aux cadres relevés ? Ces nominations ne traduisent-elles pas la volonté du ministre de tutelle de faire de l’O.N une caisse de financement des élections futures élections, dont les communales de novembre prochain ? Visiblement, le ministre a sacrifié le DGA, qui a avait pourtant brillamment assuré l’intérim avant la nomination de M. Coulibaly, et le Directeur administratif et financier (DAF pourtant réputé être «un bon gestionnaire», parce qu’il n’était pas sûr de leur soutien pour préparer et financer les prochaines échéances électorales au profit du parti présidentiel !
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À qui la faute ? D’abord au président de la République et au Premier ministre qui ne semblent pas toujours comprendre que les nominations politiciennes, loin d’être des gages de performance, ne peuvent qu’alimenter la corruption, la gabegie et la délinquance financière ainsi que l’impunité. Comment sanctionner un cadre coupable d’enrichissement illicite quand ce dernier mettait à flot les caisses du parti tout en étant très généreux avec ses supérieurs hiérarchiques ?
Sans être un économiste, notre maigre expérience nous enseigne que l’un des critères de la performance d’une entreprise, c’est de nommer des hommes qu’il faut à la place qu’il faut en leur accordant les coudées franches afin de pouvoir les juger sur le bilan des objectifs assignés. Au Mali, hélas, le bilan, c’est l’apport d’un DG ou d’un PDG au financement des activités de la chapelle politique et à l’enrichissement illicite des ses supérieurs hiérarchiques.
L’autre fautif, c’est le nouveau PDG ! Comment accepter un poste où on n’a même pas la liberté de choisir ses collaborateurs ? C’est comme ces ministres qui n’ont aucune mainmise sur leurs cabinets respectifs, car composés de gens parachutés par le parti ou par des conseillers à la Présidence et à la Primature.
Depuis la fin de la première République, le Mali est malade de ses cadres qui préfèrent sacrifier leur honneur et leur dignité à la démission d’un poste où ils n’ont en réalité aucune responsabilité. Une situation qui s’est malheureusement accentuée avec l’avènement de la démocratie qui fait que l’appartenance à un clan ou à une chapelle politique est plus importante que la compétence, l’expérience et le patriotisme dans le choix des dirigeants des services, sociétés, directions…
Comment peut-on accepter un poste en étant conscient qu’on ne serait utilisé «que» comme une marionnette et, pire, un faire-valoir ? Un cadre qui se respecte, qui respecte son pays et se soucie réellement de son développement, peut-il se contenter du titre d’une fonction et accepter d’être dépouillé de toutes ses responsabilités ? Est-ce cela réellement faire de la politique ?
Oui, le Mali est malade de ses intellectuels et surtout de ses cadres qui sont en majorité des larbins, des béni-oui-oui, prêts à vendre leur âme au diable pour des titres pompeux et les avantages financiers et matériels de ministres, PDG, Directeur général…
Des gens qui n’entreront jamais dans l’histoire de leur direction ou de leur entreprise à plus forte raison celle de ce pays comme des patriotes qui ont joué leur partition dans son développement. Ces coquilles vides sont comme ces ministres dont les discours sont truffés des «au nom du Président de la République», «conformément à la vision du Chef de l’Etat»…
Et cela est propre à tous les régimes qui se sont succédé depuis 1992. Une litanie dont on n’a pas besoin puisque tout le monde sait qu’un gouvernement est formé pour traduire en réalisations concrètes la vision du président de la République, son projet de société. Et d’autant plus que la cohabitation encore loin d’être une réalité de notre démocratie avec tous les partis influents qui cherchent à se faire inviter à la gestion du gâteau national que de défendre une ligne politique claire et nette !
La lourdeur administrative tant dénoncée dans notre pays est en partie liée à ce genre de comportement qui fait que, pour prendre une décision, un subalterne doit tenir compte de l’avis de son directeur, qui demandera celui du Secrétaire général, lui aussi lié à l’aval du ministre…
Ce dernier, même dans son domaine de compétence, n’agira que sous le couvert du Premier ministre ou du président de la République. L’esprit d’initiative est méconnu dans l’administration malienne où l’on gobe tout ce que ce que le Chef fait ou dit, même si on est convaincu que c’est une erreur ou conscient des conséquences dramatiques de ces actes ou décisions.
Le Mali fera un grand pas vers la bonne gouvernance et le développement socioéconomique, quand nous, cadres du pays, comprendrons que nous devons d’abord mériter de la patrie et non des parrains ou de chapelles politiques. Mériter de la patrie, ce n’est pas se contenter des coquilles vides, mais assumer de vraies responsabilités pour être jugé sur son bilan. À défaut, il faut décliner l’offre ou démissionner en refusant de se faire passer pour une marionnette !
Hamady TAMBA
Source: Le Reporter