Accord discret avec Madagascar
Avant le Cameroun, c’est une signature à Madagascar qui a attiré l’attention le mois dernier.
Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS
L’accord est un accord de coopération classique, d’après Laure Verneau, correspondante à Antananarivo. Il portait sur la formation des officiers malgaches, le transfert d’expertise ou encore le renouvellement des armes, comme ce qui lie le pays à d’autres États. Dans ce cas, c’est plutôt le contexte de signature qui a fait réagir.
Le général Richard Rakotonirina, ministre de la Défense malgache, s’est en effet rendu en janvier en Russie, notamment à l’usine Kalachnikov. Son déplacement n’a pas été rendu public jusqu’à ce qu’une agence de presse indienne, via l’agence russe Sputnik, ne le révèle le 1er avril. Et ce quelques jours après que l’accord ait pris effet.
Dans le contexte de la crise ukrainienne, ce rapprochement a inquiété les Occidentaux. Le 2 mars, Madagascar s’était par ailleurs abstenu lors du vote de la résolution de l’ONU condamnant l’invasion russe.
Une « phase d’accélération » des accords militaires
Entre 2017 et 2019, la Russie a signé vingt accords de ce type avec des pays africains, bien davantage que durant les années précédentes.
Thierry Vircoulon évoque un processus qui s’est développé depuis la première crise ukrainienne en 2014, et qui pourrait encore s’élargir. « Cela fait partie de la politique africaine de Moscou, qui veut nouer des partenariats sécuritaires avec le plus de pays possibles », explique le chercheur associé à l’IFRI, qui coordonne l’Observatoire de l’Afrique centrale et australe.
Bien que les accords bilatéraux ne soient pas nouveaux, Caroline Roussy décrit récemment une « phase d’accélération ».
« Que signifient ces accords, en dehors du fait de rendre public des rapprochements, qui ne doivent pas faire plaisir aux Occidentaux ? Ils montrent une carte géopolitique en recomposition. Plusieurs champs existent dans la lutte d’influence, et il est possible que l’Afrique incarne à nouveau, malheureusement, un laboratoire ».
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Pour la chercheuse, cela confirme par exemple que le Cameroun n’est plus favorable, ou acquis à la France. « Ce n’est pas étonnant pour Moscou d’aller chercher des pays qui ne sont pas dans les meilleures dispositions par rapport à Paris, développe-t-elle. Un certain nombre de pays, défiants vis-à-vis de l’Occident, pourraient tomber dans l’escarcelle des Russes, dans cette période de bouleversement géopolitique ».
Stratégie diplomatique de Moscou
Dans ce cadre, Thierry Vircoulon rappelle que « l’offensive » russe est générale. « Cela concerne aussi bien les accords économiques que ceux de coopération militaire : ils font tous partie d’une offensive diplomatique ».
De même, Caroline Roussy émet l’hypothèse que les contrats économiques soient déterminants dans la signature de cet accord militaire. En effet, le géant russe Gazprom est par exemple particulièrement engagé au Cameroun.
Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI.
Thierry Vircoulon lie aussi la signature de ces contrats officiels à la présence des mercenaires de Wagner, puisque souvent les deux vont de pair, comme au Soudan ou en Centrafrique.
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Ces accords, et leur communication publique qui peut gêner certains gouvernements comme à Madagascar, entrent donc surtout dans une stratégie de Moscou. La Russie a intérêt à montrer qu’elle n’est pas isolée diplomatiquement.
Thierry Vircoulon cite ainsi l’exemple d’un projet de base navale au Soudan, évoqué en 2017 et relancé en mars 2022. « C’est tout à l’avantage des Russes de diffuser cette publicité. Le Soudan avait de son côté rétropédalé en 2021. Moscou fait beaucoup de publicité mais peu de chose en réalité. On ne sait pas trop ce qui est vraiment mis en œuvre dans ces accords », nuance-t-il.
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Effet de loupe ?
La Russie ne reste toutefois qu’un partenaire parmi d’autres ; ces accords sont signés par les pays africains avec plusieurs autres États dans une logique de diversification. « Beaucoup de pays du continent ont une faible capacité militaire. Il y a aussi un tas d’autres petites puissances qui sont entrées sur le marché assez compétitif de la sécurité africaine», insiste le chercheur.
Parallèlement, Caroline Roussy met en garde contre un éventuel « effet de loupe ». La Russie et ses partenaires sont particulièrement sous le radar occidental, à l’heure de l’invasion en Ukraine. Elle rappelle par exemple que beaucoup de pays africains achètent depuis longtemps des armes à la Russie, considérées comme « les plus compétitives du marché ».
Le pays est ainsi le principal fournisseur d’armement du continent. Vente d’armes et signature d’accords militaires : un « tandem » en termes de coopération, décrit Thierry Vircoulon. « Moscou cherche à avoir une base militaire en Afrique ; de plus en plus de pays sont concernés par ce type d’accords. Sa présence économique est encore limitée, le cœur de ce qu’elle a à vendre reste le militaire », précise le chercheur.
« Et c’est là qu’il va y avoir un problème, conclut-il. La réputation militaire de la Russie pâtit de la guerre en Ukraine. Et l’armée russe ne pourra peut-être pas continuer à exporter autant qu’avant. C’est un vrai point d’interrogation pour le futur de Moscou dans ce domaine ».