Depuis l’arrivée des colonels au pouvoir, suivie de la rectification de la transition, la fièvre du patriotisme et de la restauration de la dignité est devenue le symbole du combat pour la refondation du Mali, 60 ans après son indépendance. Ce processus découle des faits majeurs qui ne sont pas innés.
Dans la gestion des affaires de l’Etat, les hommes passent, les institutions restent.
Ainsi, de l’indépendance jusqu’en 1991, année qui verra l’avènement du pluralisme politique, le Mali a vécu deux régimes autoritaires : l’un de type socialiste, sous la direction de Modibo Keïta, l’autre de type militaire, sous la direction de Moussa Traoré. Depuis 1992, le pays connait un système démocratique au parcours émaillé de soubresauts, notamment des transitions politico-militaires. Au-delà des avis divers, il faut reconnaitre que tous ces régimes ont posé des actes salutaires et commis des erreurs. Notre décryptage !
Après avoir proclamé solennellement l’indépendance du pays le 22 septembre 1960, le Président Modibo Keïta a décidé de se tourner vers la Chine populaire de Mao Tsé-toung ou Mao Zedong. Cette rupture entreprise par le régime socialiste avec les pratiques coloniales sera soutenue par une politique nationaliste, où l’intérêt général prime sur les considérations personnelles. Au bout de 8 ans, le système a montré ses limites.
Modibo Keïta échoue dans sa politique économique
La première République du Mali fut marquée par une tentative de transformation radicale de la société : il s’agissait de s’affranchir des structures laissées par la colonisation et d’affirmer l’indépendance du pays. Le parti de Modibo Keïta, l’US-RDA, devint parti unique de fait. Il était censé jouer un rôle de premier plan dans la construction du socialisme : c’était en son sein qu’étaient définies les grandes options économiques, sociales et politiques ; c’était lui qui était chargé d’encadrer la population. Dès l’indépendance, le régime élabora une politique économique ambitieuse qui prévoyait un taux de croissance annuel de 8 p. 100 et reposait sur la création de sociétés d’État. Ainsi furent constitués la SOMIEX (Société malienne d’import-export), qui avait le monopole de l’import-export, l’OPAM (Office des produits alimentaires du Mali), qui disposait du monopole d’achat et de distribution des céréales, Air Mali et la Régie des transports du Mali. Pour ce qui était de l’agriculture, l’accent fut mis sur la mise en place de coopératives et de groupements ruraux de secours mutuel, encadrés par le parti. On attendait de ces réformes qu’elles permettent de dégager des surplus de nature à financer l’industrialisation. Une autre réforme majeure engagée par le régime fut celle de l’éducation adoptée en 1962 pour une école performante, capable de doter le pays de ressources humaines qualifiées pour servir l’Etat. Dans le domaine monétaire et bancaire, le régime chercha à se défaire de l’influence française : le système bancaire fut nationalisé et le franc malien quitta la « Zone franc ». Cependant, cette politique se solda par un échec retentissant. Les sociétés d’État devinrent un gouffre financier et aboutirent à une bureaucratisation stérile de la vie économique pour le seul profit d’une classe pléthorique de fonctionnement.
Le pays sera donc confronté à des difficultés économiques. En 1967, les objectifs du Plan quinquennal ne sont pas atteints et le pays est au bord de la faillite. Les deux dernières années du régime, le développement économique est bloqué et la République requiert l’aide de la France pour combler son important déficit. L’échec de cette expérience économique s’explique principalement par la stagnation de la production agricole, les erreurs de gestion ainsi que l’insuffisance de personnel qualifié. Le régime échoue quant à la modernisation de l’agriculture, car les structures traditionnelles persistent. Ainsi, la production agricole ne fournit pas les résultats escomptés par le Plan quinquennal. Ce dernier prévoyait une ambitieuse croissance annuelle du Produit intérieur brut (PIB) de 8%. Or, entre 1961 et 1966, elle n’est que de 2,3%. Le 15 février 1967, le Mali signe des accords avec la France afin d’être réintégré dans la Zone franc anéantissant les espoirs d’indépendance économique. Les 19 et 20 juin 1968, des paysans manifestent à Ouélessébougou. Ils s’opposent aux versements de « contributions volontaires », à des « travaux d’investissement humain » et à la livraison de mil à l’OPAM, l’organisation qui avait le monopole de la commercialisation des produits agricoles. Le régime socialiste de Modibo Keïta est chassé par un coup d’État militaire le 18 novembre 1968. Les conditions économiques catastrophiques des dernières années ainsi que la rigidité du parti auprès des masses, soumises à des conditions de vie de plus en plus difficiles, expliquent en grande partie la chute du gouvernement de l’US-RDA.
Etat autoritaire, armée redoutable mais régime fragile
A la chute du régime « autoritaire » socialiste par le groupe des 14, le pays entend s’ouvrir au monde à travers un libéralisme économique. Le régime de Moussa Traoré a été marqué par deux phases. Il s’agit notamment de la période allant de 1968 à 1979, appelée phase CMLN (Comité militaire de libération nationale), où c’était les militaires au pouvoir. Ensuite, il y a eu la phase dite constitutionnelle, de 1979 à 1991. En effet, face aux exigences de l’heure, une nouvelle constitution a été adoptée. C’est à partir de cela que le régime est devenu fréquentable sur le plan international. C’était un régime beaucoup plus ancré au niveau de la population, car basé sur le monde rural. C’était en réalité l’une des grandes forces du régime Moussa Traoré. Des entreprises comme la CMDT ont eu leur pic de développement sous Moussa Traoré. La CMDT était devenue une entreprise très intégrée. A cette période-là, en plus de la culture du coton, on avait pu organiser les populations autour des « Tons villageois » ou coopératives. C’est dire qu’autour de la CMDT, on avait pu organiser de façon magnifique le monde rural. La satisfaction alimentaire, autrement dit l’autosatisfaction alimentaire, était presque garantie. A ce niveau, il faut reconnaitre que le régime était très fort. Même sur le plan sanitaire, le général Traoré a beaucoup travaillé à garantir aux pauvres une santé acceptable. On peut toujours discuter de la qualité, mais le pauvre n’était pas laissé à lui-même, comme c’est le cas actuellement. En ce qui concerne l’école, on a beau dire, les meilleurs élèves et étudiants étaient du Mali. La plupart des vieux cadres d’aujourd’hui sont les purs produits de cette école. C’est à partir de 1991 que l’école malienne a perdu sa lettre de noblesse. Mais sous Moussa Traoré, dans la sous-région, l’intellectuel malien était respecté et recherché. Sur le plan énergétique, ce que Moussa Traoré a réalisé n’a pu être fait en 30 ans de régime démocratique. Les infrastructures énergétiques, notamment les grands barrages de Manantali et Sélingué, qui assurent aujourd’hui plus de 80% des fournitures d’électricités du Mali, ont été construits sous le régime Moussa Traoré. Personne ne peut nier cet état de fait. Un aspect très important et essentiel à l’époque, c’est qu’il y avait l’autorité de l’Etat. Il y avait un Etat fort. Les forces armées étaient à la hauteur. On ne pouvait pas faire du n’importe quoi au Mali. Avec une armée républicaine fortifiée et redoutable, le Mali était respecté dans la sous-région et dans le monde. Ce qui fait que la société n’était pas dépravée. Les gens avaient honte de voler sous Modibo Keïta ; mais ils avaient peur de voler sous Moussa Traoré. Cependant, la faiblesse du régime du général Moussa Traoré a résidé surtout dans sa rigueur. De ce fait, les différentes oppositions se sont préparées dans la clandestinité. C’était dû au fait qu’il n’y avait pas assez de démocratie et une certaine liberté. La population se sentait pratiquement terrorisée à un moment. En plus, l’ajustement structurel a aggravé la situation. A partir des années 1980, l’Etat malien, sous la pression de la Banque mondiale, a été obligé d’adopter l’ajustement structurel. Ce qui a obligé l’Etat à ne plus recruter directement dans la fonction publique. Il fallait faire des concours. Des sociétés ont été mises en liquidation avec des départs volontaires à la retraite. Ces différents faiblesses ont véritablement secoué le régime et engendré les contestations et soulèvements populaires. Lesquels ont fait chuter le régime le 26 mars 1991 par un coup d’Etat militaire dirigé en son temps par le Lieutenant-Colonel Amadou Toumani Touré.
L’ère démocratique ou le règne de la corruption et de l’injustice
Après le renversement du régime de Moussa Traoré, le peuple a chanté victoire. Cette ère a donné naissance à l’institution de la troisième République en 1992, et l’instauration du multipartisme intégral. Il existe plus de 120 partis politiques à ce jour au Mali. De nos jours, la démocratie participative, loin de s’opposer aux fondements de la représentation, se veut une forme complémentaire de partage des décisions. Il préserve le rôle de l’élu mais, tout en associant plus largement et plus directement les citoyens au débat autour des questions d’intérêt général. Pour tout observateur averti et honnête de la scène politique nationale, le tableau n’est pas du tout reluisant. En effet, en 1991 les objectifs de la lutte étaient, entre autres : « Plus d’ouverture démocratique avec l’instauration du multipartisme intégral ; plus de liberté ; la requête de meilleur partage des richesses ; le développement du pays ». 30 ans après l’avènement de la démocratie, c’est tout le contraire de ce qui était attendu par le peuple. Le seul petit éclairci dans ce domaine est la mise en œuvre de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). Pendant ces trois dernières décennies nous avons assisté à de graves dérives qui ont fini par mettre en danger l’existence de la nation. Aucun domaine de la vie n’est épargné. L’établissement des libertés a conduit à un libertinage où le citoyen n’a plus de devoir, mais uniquement des droits. La politique est devenue le chemin d’ascension le plus court, où les médiocres ont supplantés le meilleurs dans la conduite des affaires du pays. Les partis politiques ont cessé d’avoir des projets de société et sont tous guidés par la recherche des strapontins. La nature ayant horreur du vide, les religieux ont fait irruption sur la scène politique. L’ouverture démocratique a ouvert la voie à l’éclosion de la corruption. La recherche du profit immédiat a façonné le nouveau citoyen. Chacun veut tout et tout de suite et tous les moyens sont bons pour y parvenir.
Au lieu d’un meilleur partage des richesses, de nouveaux milliardaires sont sortis de nulle part et de manière arrogante. Le développement du pays a été relégué au second plan. Tous les secteurs sont négativement impactés. Le système éducatif ne fait que mettre sur le marché des produits inadéquats, mal formés. La santé est à terre et les structures privées ont pris le dessus sur les structures publiques. Le citoyen lambda est livré à lui-même. L’autorité de l’Etat est bafouée. La justice est instrumentalisée. Sur le plan de la sécurité, l’outil de défense a été démantelé et le pays s’est affaibli. La grande muette, autrefois source de fierté pour le Malien, est devenu la risée de la sous-région. Dans cette armée politisée, trahie, et malmenée, les faibles sont envoyés à l’abattoir. Le secteur agricole, jadis florissant à travers des entreprises phares comme la CMDT, a été totalement démantelé et la recherche de l’autosuffisance alimentaire est devenue un rêve. Les paysans s’appauvrissent davantage chaque jour. En égrainant cette litanie, on ne peut passer sous silence la crise foncière qui continue d’ébranler le peuple. On a beau vouloir chercher à valoriser la lutte du mouvement démocratique, il faut se rendre à l’évidence que les résultats sont largement en deçà des attentes. Les martyrs ont été floués. Cette décadence du système démocratique et de la mauvaise gouvernance s’explique par les coups d’Etat du 22 mars 2012, du 18 août 2020 et du 24 mai 2021.
Jean Goïta
Source: La Lettre du Peuple