Dans la nuit de vendredi à samedi, le Burkina Faso, pays d’Afrique de l’Ouest, a été le théâtre de l’un des massacres les plus sanglants de toute la guerre menée par la France au Sahel. Un assaut a tué au moins 160 personnes, dont 20 enfants, et en a blessé plus de 40, dans le village de Solhan, dans la province de Yagha, au nord du Burkina Faso, à la frontière du Niger. À l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun groupe n’a revendiqué la responsabilité de l’attaque.
Hamadi Boubacar, le maire de la ville voisine de Sebba, a déclaré: «Les assaillants très nombreux sont arrivés sur une vingtaine de motos aux environs de 2 h du matin. Ils s’en sont pris surtout au site minier, accolé au village de Solhan.» Les assaillants étaient «sans pitié et ont tué tous ceux qu’ils voyaient sur leur passage», a ajouté Boubacar.
La ruée vers l’or dans la région, proche du Niger et du Mali, a fait de Solhan un carrefour où des personnes de différentes ethnies et tribus se rencontrent et vivent ensemble. Boubacar explique: «Solhan est un gros village, il y a beaucoup de personnes qui y habitent à cause de l’or, plus de 30.000 personnes. Les personnes qui ont été attaquées viennent d’un peu partout de la province. Il y a même des gens de Bouri, chef-lieu de la région, il y a des gens de Sebba, il y a des gens de villages environnants. Il y a plusieurs nationalités».
Une source locale à Solhan a déclaré à l’AFP que les assaillants ont attaqué des maisons et procédé à des «exécutions» après avoir frappé une position de la milice des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), qui soutient l’armée nationale burkinabè.
Le VDP a été créé en décembre 2019 pour aider l’armée burkinabè tandis que les milices ethniques et d’autres groupes armés se répandaient dans la région sur fond de guerre au Mali et à travers le Sahel. Les volontaires du VDP ne reçoivent que deux semaines de formation militaire avant d’être déployés pour travailler aux côtés des forces de sécurité, effectuant des tâches de surveillance, de collecte d’informations ou d’escorte. Les VDP ont subi plus de 200 morts, selon un décompte de l’AFP.
Un habitant anonyme a raconté à l’Associated Press qu’alors qu’il rendait visite à des proches dans une clinique médicale à Sebba, près de Solhan, il a vu de nombreux blessés arriver à la clinique. «J’ai vu 12 personnes dans une pièce et une dizaine dans une autre. Il y avait beaucoup de parents qui s’occupaient des blessés. Il y avait aussi beaucoup de gens qui couraient de Solhan pour entrer à Sebba… Les gens ont très peur et sont inquiets», a-t-il déclaré.
Le gouvernement burkinabè a déclaré un deuil national de 72 heures, du 5 au 7 juin. Le président Roch Marc Christian Kabore a qualifié l’attaque de «barbare» et d’«ignoble», ajoutant: «Nous devons rester unis et soudés contre ces forces obscurantistes».
Les puissances européennes ont fait des déclarations de sympathie symboliques. L’Union européenne (UE) a condamné «les attaques barbares et lâches». Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a annoncé sur Twitter un voyage «cette semaine» au Burkina Faso, et qu’il exprimerait «la solidarité de la France lors de mon déplacement cette semaine au Burkina Faso.»
En fait, l’escalade du bain de sang dans cette région, qui comprend de nombreux pays parmi les plus pauvres du monde, est le produit de la guerre néocoloniale menée par la France au Sahel depuis huit ans. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont tous connu une résurgence de la violence. En cherchant à mener une politique de division et de domination pour maintenir leur contrôle sur la région, la France et ses alliés de l’OTAN ont attisé les conflits ethniques et soutenu diverses milices rivales. C’est cela qui a entraîné une recrudescence des massacres sanglants dans la région.
L’attaque de samedi s’est produite dans la zone dite des «trois frontières» entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger. C’est un endroit qui est régulièrement la cible de groupes armés islamistes liés à Al-Qaïda, des forces de sécurité de l’État et de violences ethniques perpétrées par des milices rivales. En mars, des assaillants ont tué 137 personnes lors d’attaques coordonnées sur des villages de la région de Tahoua, dans le sud-ouest du Niger, après qu’une autre attaque ait tué au moins 58 villageois dans la région voisine de Tillabery.
Les attaques se multiplient depuis mars 2019, lorsque des hommes armés ont tué 160 personnes dans le village majoritairement peul d’Ogossagou, dans la région malienne de Bankass, à la frontière du Burkina Faso. De nombreux soupçons pèsent sur les responsables français et maliens, qui ont tacitement soutenu le massacre: il visait un groupe ethnique dans lequel les milices islamistes ont recruté davantage de forces, et les responsables maliens ont appréhendé, mais n’ont pas poursuivi les membres de la milice qui avait perpétré le massacre.
La force dite du G5 Sahel mise en place par la France – qui comprend des troupes du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad – participe à des opérations militaires aux côtés des forces françaises et maliennes.
Récemment, des organisations de défense des droits de l’homme ont accusé les forces de sécurité burkinabè de commettre des atrocités contre la population au nom de la lutte contre le terrorisme. Selon un rapport de l’Observatoire des droits de l’homme (Human Rights Watch) de juillet dernier, basé sur des témoignages de résidents locaux, les forces de sécurité ont tué illégalement plusieurs centaines d’hommes soupçonnés de soutenir des groupes islamistes armés liés à Al-Qaïda.
Les atrocités commises à Solhan sont survenues quelques semaines seulement après que le ministre de la Défense, Cheriff Sy, et d’autres hauts gradés se soient rendus à Sebba pour assurer à la population que la vie était revenue à la normale, après plusieurs opérations militaires dans la région. De manière significative, bien que les forces de sécurité aient été déployées près du village, elles ne sont arrivées sur les lieux qu’après le début du massacre. Cela a soulevé de nombreuses questions sur la complicité potentielle des forces de sécurité avec les assaillants dans le récent massacre.
Nicolas Haque, journaliste d’Al Jazeera, a déclaré: «Il y avait également une caserne militaire non loin de l’endroit où l’attaque a eu lieu. Mais ils n’ont pas réagi. Ils ne sont jamais arrivés sur les lieux. C’est un sentiment que les gens à travers le Sahel partagent maintenant: qu’ils ne peuvent pas compter sur leurs forces de sécurité pour les protéger».
Plus de 2,2 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du Sahel par les combats, selon les chiffres de l’ONU. Le Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P) a déclaré que «près de 7.000 personnes ont été tuées en 2020, ce qui en fait l’année la plus meurtrière au Sahel central depuis le début du conflit.» Au moins 2.400 civils ont été tués dans des attaques au Burkina Faso, au Mali et au Niger en 2020. Le GCR2P note: «Au Burkina Faso et au Mali, davantage de civils ont été tués par les milices locales et les forces de sécurité nationale que par les attaques des groupes armés islamistes».
Alex Vines, directeur du programme Afrique du groupe de réflexion britannique Chatham House, a déclaré à Al Jazeera: «Je crains que nous devions nous attendre à d’autres reportages de ce type.» Restant silencieux sur le rôle des puissances impérialistes européennes dans la région, il a imputé le massacre aux gouvernements africains: «Les gouvernements sont de plus en plus faibles et inefficaces. Et ils ne fournissent pas la sécurité dont les populations ont besoin. Et donc les groupes armés… comblent ces lacunes».
Vines a prédit fadement que l’effusion de sang aller se propager du Mali et engloberait pratiquement toute l’Afrique de l’Ouest. «Tout cela est très grave et s’étend à l’échelle régionale. Il ne s’agit pas seulement du Sahel», a-t-il déclaré, tout en ajoutant: «il y a maintenant des incidents de sécurité qui débordent, dans les pays situés le long de la côte du Golfe de Guinée. Pensez donc au Bénin, au Togo. Les Ghanéens sont particulièrement inquiets de ce qui se passe le long de leur frontière avec le Burkina Faso. La Côte d’Ivoire, également. Cela devient de plus en plus un problème international».
Ces horribles massacres sont en fait le produit toxique d’années de guerre et d’intrigues néocoloniales et ils ne peuvent être arrêtés qu’en unifiant les travailleurs de toute l’Afrique de l’Ouest et de l’Europe dans un mouvement contre l’oppression impérialiste.
(Article paru d’abord en anglais le 7 juin 2021)
Source: wsws