Etait-ce une provocation de très mauvais goût? Au moment où, il vouait aux gémonies un fils du terroir –son prédécesseur poursuivi pour haute trahison- le président de la République en exercice foule majestueusement le sol du Suudu Baba. Froideur de l’accueil oblige, certainement, IBK n’avait probablement pas le choix que de faire bon cœur mauvaise fortune, en reconnaissant publiquement quelques mérites à celui qui reste, au-delà tout, l’homme du 26 Mars 1991. Mais, son amende honorable ne saurait toutefois occulter un autre épisode moins visible mais beaucoup plus regrettable : la mémoire assassinée des citoyens froidement abattus, qui gisent collectivement dans les puits abandonnés de Sévaré et qui ont fini par tomber dans l’oubli et la déshérence. Faute d’audace d’affronter la réalité et de correspondance entre les actes et les paroles, dans un pays où, l’on tente pourtant de fairecroire que «nul n’est au dessus de la loi».
Etait-ce une provocation de très mauvais goût ? Au même moment où, il vouait aux gémonies un fils du terroir –son prédécesseur poursuivi pour haute trahison- le président de la République en exercice foule majestueusement le sol du Suudu Baba. Froideur de l’accueil oblige certainement, IBK n’avait probablement pas le choix que de faire bon cœur mauvaise fortune, en reconnaissant publiquement quelques mérites à celui qui reste par-delà tout l’homme du 26 Mars 1991. Mais, son amende honorable ne saurait toutefois occulter un autre épisode moins visible mais beaucoup plus regrettable : la mémoire assassinée des citoyens froidement abattus, qui gisent collectivement dans les puits abandonnés de Sévaré et qui ont fini par tomber dans l’oubli et la déshérence. Faute d’audace d’affronter la réalité et de correspondance entre les actes et les paroles, dans un pays où, l’on tente pourtant de convaincre que «nul n’est au dessus de la loi».
Quoi qu’on puisse dire de son passage en 5e Région du Mali, il aura été pour le moins entaché par le malheureux incident de ces manifestants violemment dispersés par les forces de l’ordre. Il s’agit des enseignants et des élèves très remontés contre le pouvoir, à cause des abus et des supplices récemment infligés par des militaires. Ils ont ainsi profité du passage du président de la République pour protester, à travers une manifestation à laquelle se sont mêlées les revendications catégorielles relatives aux impayés des salaires des fonctionnaires des collectivités, à en croire certaines confidences.
Pour effacer leurs banderoles et slogans de la vue de l’illustre hôte, les forces de l’ordre n’y sont pas allées avec le dos de la cuiller. Mais, ce que le commun de l’opinion ignore, sans doute, c’est qu’IBK aurait pu et dû également être accueilli par des protestations dépassant la dimension de simples doléances, si la mémoire collective, dans la Venise malienne, n’avait sur la conscience d’avoir cautionné des crimes et forfaits délibérément refoulés dans son subconscient. Il s’agit de la tuerie massive de mendiants et autres élèves coraniques sur lesquels le sort s’est acharné, à cause de leurs affinités religieuses et ethniques avec l’ennemi victorieux à Konna.
Leurs bourreaux ne sont autres que des récalcitrants et capricieux soldats qui se bousculaient pour une affectation à Sévaré où les primes dites «Haya», dans la foulée du coup d’Etat, étaient distribuées à des bidasses triés sur le volet, selon leur aptitude à fouler aux pieds la hiérarchie militaire. Ce sont ces mêmes primes pour le règlement desquels IBK, à l’occasion de son passage dans cette région militaire, a promis de veiller comme sur la prunelle de ses yeux. Les victimes, quant à eux, n’ont mérité pas la moindre allusion et leurs dépouilles (ou du moins ce qu’il en reste), à quelques encablures de la caserne militaire, pourraient avoir subi le supplice d’entendre que leurs exécuteurs sont récompensés pour leur cruauté, par le premier responsable de la Nation.
Rappel de faits
L’épisode remonte au lendemain immédiat des affrontements entre l’armée nationale malienne et l’irrésistible vague de jihadistes déployée sur la ville de Konna. Comme on le sait, avant l’intervention de la force Serval, les dégâts ont été énormes dans les rangs de l’armée régulière contrainte au repli sur leur ultime retranchement, la ville militaire de Sévaré. Difficile à admettre pour une armée à laquelle les pouvoirs de la transition ont tout consenti, au gré des revendications parfois fantaisistes des putschistes. Prises d’un esprit de vengeance mêlé à la panique, après la chute de Konna, les éléments en débandade se sont vigoureusement rabattus sur les pauvres mendiants de la ville. Il s’agissait, à en croire certains témoignages, d’une véritable chasse à tout ce qui respirait la religion et les milieux de l’enseignement coranique. Stigmatisés comme des taupes ayant infiltré la ville au profit de l’ennemi, ils ont été pour la plupart traqués et froidement exécutés sans autre forme de procès au bord de leurs fosses communes, devant le regard complice d’une population affolée et sollicitée pour participer à leur dénonciation.
Combien sont-ils ? Entre une dizaine et une quinzaine probablement. Bref, les sources ne sont pas très précises sur les proportions des exécutions sommaires. Mais, elles sont assez conséquentes pour remplir deux puits marqués à la latérite dans le quartier Wailirdé, non loin du camp de gardes. Exaspérés par les odeurs pestilentielles et débordantes du charnier en pleine ville, le voisinage avait en son temps exigé et obtenu des militaires que les fosses soient hermétiquement fermées.
L’omerta
Les victimes ne gisent pas tous à cet endroit. Des témoins oculaires font également état du cas beaucoup plus pathétique de deux jeunes élèves coraniques connus de tous les habitués de l’Académie d’enseignement de Sévaré où, ils tendent souvent la sébile. Le jeudi ayant suivi la chute de Konna, aux environs de 16 h, les deux compères se précipitaient à leur domicile sis au quartier Million Kin, après avoir appris comme tout le monde que les assaillants se dirigeaient vers la ville de Sévaré. Ne se doutant de rien, ils ont emprunté, comme à l’accoutumée, l’artère principale qui mène au camp militaire. C’est là, affirment nos sources, qu’ils ont été brusquement surpris par la mort. Sans vérification d’identité, sans interrogatoire, ni même la moindre sommation, les pauvres mendiants ont été froidement abattus aux abords des barricades érigées devant la caserne de l’armée de terre. Ce crime odieux, sur fond de faciès, a été réduit à une dimension de simple bavure et les corps sans vie des deux victimes, confie-t-on, ont été récupérés par leur logeur pour être enterrés. Il s’agit, selon la même source, d’un respectable notable de Sévaré qu’on a réussi à faire taire aux moyens de multiples pressions exercées de toutes parts.
Tout comme à Sévaré, les langues se sont rarement déliées sur les innombrables cas de passagers brutalement extraits des cars aux niveaux des check points et qui conduit pour la plupart vers un chemin sans retour, à cause de simples appréhensions sur leurs aspects. Parmi eux, on rapporte le cas d’un enseignant à la retraite venu récupérer sa pension à Bamako en compagnie d’un de ses fils. Sur le chemin du retour, à Gao, ils ont malheureusement été interceptés et exécutés sans autre forme de procès.
Autant de crimes qui méritent d’être élucidés, pour qu’on soit réellement déterminé à lutter contre l’impunité. Mais, la même loi de l’omerta s’est bizarrement imposée au premier responsable de la Nation qui, en visite à Mopti, a choisi, pour des raisons difficilement justifiables, de s’appesantir sur les droits et mérites des éléments armés sans faire cas de leurs responsabilités dans les abominables crimes perpétrés dans la région militaire. À défaut d’être l’exception qui confirme la règle de «l’égalité de tous devant les loi», cette injustice pourrait découler d’une volonté de rachat auprès d’une armée probablement offusquée par l’inculpation de son donneur de primes et qu’il fallait peut-être éviter de décevoir davantage, en y rajoutant un intérêt superflu pour une question d’autant embarrassante qu’elle pourrait engendrer d’autres inculpations.
Tout cela ne saurait justifier la double injustice qui frappe les mendiants et autres victimes de Sévaré, dont la mémoire est foulée aux pieds, seulement, parce qu’ils sont dans la déshérence au point de n’avoir personne pour porter leur deuil.
A. Kéïta
SOURCE: Le Témoin