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Une révision constitutionnelle qui divise

« Je ne suis pas les réseaux sociaux mais on me tient au courant de ce qui s’y passe ».

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En prononçant cette phrase, Me Kassoum Tapo, ministre des Droits de l’Homme et de la Réforme de l’État place la conférence de presse organisée dans les locaux de son département, à la Cité administrative, dans son contexte : une vive contestation a cours, notamment sur les réseaux sociaux, depuis le vote par l’Assemblée nationale, le vendredi 2 juin 2017, du projet de révision constitutionnelle. Quelques heures avant la rencontre à laquelle une cinquantaine de journalistes ont pris part, preuve que le besoin d’information sur le sujet était là, à peu près une centaine de jeunes s’étaient réunis à la Maison des jeunes de Bamako. À l’initiative du Mouvement « Trop c’est trop », ils ont discuté pendant des heures de la révision et des raisons qui, selon eux, en font une entreprise inopportune. Une opinion partagée par de nombreux autres regroupements de jeunes, d’organisations de la société civile et de partis politiques, qui appellent à surseoir au projet, malgré son vote à l’Assemblée nationale.

« Je souhaitais vous rencontrer pour vous faire l’économie de ce projet, qui est porté par le chef de l’État et qui a pour objectif le confort de notre démocratie », déclarait le ministre Tapo. Création de nouvelles institutions et renforcement du pouvoir des anciennes, réaffirmation des valeurs de la République, participation des Maliens de l’extérieur aux élections législatives, constitutionnalisation des collectivités territoriales et interdiction du nomadisme politique à l’Assemblée nationale font partie des « avancées majeures » contenues dans le texte qui devrait être soumis à référendum le 9 juillet prochain. À un mois de cette échéance, alors que le texte proposé au vote n’a pas encore été divulgué, l’exercice a été salué par les hommes de presse qui en ont « appris un peu plus. Parce qu’on était dans le noir »… Mais cet effort d’explications ne semble pas satisfaire les détracteurs du texte qui estiment que, par son fond mais aussi son chronogramme, cette réforme de la loi fondamentale de 1992 n’est pas à propos et intervient dans un contexte défavorable.

Multiples obstacles « Chez moi, à 15 km de Macina, ici tout près dans la région de Ségou, aucun homme en uniforme n’ose s’y rendre », se lamente Abdoulaye Koné, rencontré à la réunion de « Trop, c’est trop ». « Comment alors va-t-on faire pour y faire voter des gens qui n’ont même pas oser résister contre la fermeture de leurs écoles ? », poursuit-il. Baba Dakono, juriste et ancien collaborateur de la commission Daba Diawara, chargée en 2011 de proposer un projet de révision constitutionnelle, est du même avis. Ce précédent projet avait également été voté par le parlement, mais le coup d’État de 2012 avait empêché sa ratification par référendum. « Si le président de la République, garant de l’intégrité territoriale, estime qu’un référendum peut être organisé, il est important pour lui, le gouvernement, l’Assemblée nationale, de donner l’assurance au peuple que le vote pourra s’exprimer en toute liberté », affirme-t-il, en citant une longue liste de localités, du Nord comme du Centre, qui sont sous contrôle de groupes armés et échappent au giron de l’État malien. « Dans la région de Ségou, sur les sept cercles de la région, deux sont, en grande partie, sous contrôle de groupes armés. Dans la région de Mopti, l’État malien n’a aucun contrôle sur les cercles de Tenenkou, Youwarou et Douentza. Aucun des groupes armés dans ces localités n’est signataire de l’Accord pour la paix. Dans ces conditions, comment garantir la liberté de vote dans ces localités sous domination de groupes armés, où l’État malien n’existe que dans les souvenirs ? », s’interroge-t-il.

L’opposition qui a voté contre le texte à l’Assemblée nationale, estime elle aussi que le référendum n’a pas lieu d’être en ce moment. « Est-ce que le moment est propice à une révision ? La constitution elle-même résout ce problème. L’article 118 dit qu’on ne peut pas engager une procédure de révision quand le problème d’intégrité se pose. Certains vont dire que c’est quand on est agressé. Ce n’est pas ça ! L’intégrité est entachée quand la souveraineté de l’État ne s’exerce plus sur l’ensemble de son territoire. Laissons l’origine de la crise et regardons l’état  de notre pays aujourd’hui. Il y a des territoires où il n’y a plus d’État, plus d’armée. On peut tenter de faire des communales dans ces conditions, parce qu’on pourra toujours rattraper avec des scrutins partiels. Mais une révision de la Constitution, quand une bonne partie de la population ne vote pas, vous ne pouvez pas rattraper cela », déclare le député Mody N’diaye, président du groupe parlementaire VRD à l’Assemblée nationale.

Les inquiétudes portent également sur le calendrier du vote. Le mois de juillet est en plein dans la saison des pluies et des travaux du début de la campagne agricole, ce qui fait craindre une faible participation des populations rurales au scrutin. « Si on ne fait pas ce référendum maintenant, on ne pourra pas le faire à la fin septembre début octobre, parce que ce sera la période de révision des listes électorales. Un travail qui ira jusqu’en décembre. 2018, ce sera l’année des grandes élections, et ce ne sera pas également l’idéal de le faire à ce moment-là. Il vaut mieux faire le sacrifice de le faire maintenant », défend Me Tapo.

Divergences sur le fond Au cœur de la controverse, le renforcement du pouvoir du président de la République. Pour ses pourfendeurs, ceci fait passer le Mali d’un régime semi-présidentiel à un régime présidentiel, mais avec la sauvegarde de l’irresponsabilité du président vis-à-vis du parlement. « Cela veut dire qu’on veut créer un président monarque, alors qu’en 92, c’était l’équilibre des différents pouvoirs. Toucher à cela, c’est toucher à la quintessence de ce que le peuple voulait », déplore Mody N’diaye. La question du Sénat est également sur le tapis. « Le Sénat va avoir dans ses missions le vote des lois. Il doit être indépendant vis-à-vis de toute autre institution. Nous sommes tous des humains, comment pouvez-vous comprendre que les nommés ne soient pas regardants dans leurs décisions par rapport à l’autorité qui nomme ? Donc, une nomination du tiers des Sénateurs ne peut pas s’expliquer, c’est anti-démocratique », poursuit le député. « Certains disent que l’objectif est de permettre aux notabilités d’accéder au Sénat, eh bien qu’on trouve des mécanismes par les collèges appropriés pour leur élection », conclut-il. « Les autorités coutumières ont souvent beaucoup plus de légitimité que les politiques. Malheureusement, elles ne participent pas de manière officielle aux institutions dans le pays. Cette innovation va permettre au président de la République de choisir, indépendamment de toute coloration politique, les personnes qui ont une légitimité reconnue, les sages, les gens responsables, afin qu’ils viennent au niveau de la représentation nationale pour défendre les populations à la base », répond le ministre Tapo. Pour Abdou, internaute très virulent sur le sujet, « il est même difficile de comprendre en quoi il nous faut ce Sénat, quand plusieurs pays sont en train d’y renoncer ».

Alors que les conditions matérielles sont en train d’être réunies pour la tenue du scrutin et que la « campagne référendaire va bientôt commencer », selon Me Tapo, certains veulent tout simplement son annulation pure et simple. « C’est pour cela que nous devons nous battre. Si on tient cette élection, le oui va gagner quel que soit ce qu’on pourra faire », déplore D., militant associatif. « Il faut empêcher sa tenue ». Comment ? Il ne sait pas trop. À l’Assemblée nationale, l’opposition affûte ses armes et se prépare pour déposer un recours devant la Cour suprême. Argument : le président de la République, en annonçant cette réforme, avait mis l’emphase sur la décentralisation poussée. « C’est ce qui justifiait son initiative. Mais ici, nous tous nous avons refusé cela, et toutes les dispositions relatives à la décentralisation ont été supprimées. On est revenu stricto sensu à la formule de 1992. Cela veut dire que nous ne sommes plus dans l’initiative présidentielle », explique l’Honorable N’diaye. Si le recours est rejeté ? On appellera à voter non, répond-on. Un camp du non qui pourrait grossir au fil des jours. Une marche est prévue ce 8 juin dans cet objectif. À moins que la campagne d’information annoncée par les autorités, qui devrait se faire dans la plupart des langues nationales, ne finisse par convaincre les électeurs qui attendent encore de prendre connaissance du texte qui n’est pas encore rendu officiel à l’heure où nous bouclons ce numéro…

 

Source: journaldumali

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