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Un compte rendu de lecture, en hommage à Ousmane Sow : Metteur en scène de la pièce Wari, le chant fraternel et solidaire d’un vieux et créatif pays.

Titre : Quarante petites années de théâtre

Auteur : Ousmane Sow

Editeur : La Sahélienne (Janvier 2020)

Quarante petites années de théâtre, ce livre de Ousmane Sow, publié par La Sahélienne en janvier 2020, est un témoignage palpitant sur son parcours ingénieux de metteur en scène mais aussi sur la place des arts dans l’émancipation sociale d’une nation.

Lire Quarante petites années de théâtre fut pour moi une tentative de sonder le mystère de Wari, le chef-d’œuvre de cet ancien directeur du Kotèba national. Wari, « l’argent », qui dénonce la corruption, l’injustice sociale, a t-il été écrit et joué pour un éveil de conscience collectif ?

Quarante petites années de théâtre, c’est d’abord une rencontre avec un homme passionné de théâtre, un iconoclaste pétri d’humanisme, ayant cheminé en parfaite complicité intellectuelle avec les plus grands de la littérature.

D’abord avec les auteurs de la Tragédie antique, Sophocle, Eschyle et Euripide. Ensuite ceux de la Négritude, Césaire, Damas, Senghor. Et aussi, ceux du théâtre contemporain Sartre, Beckett, Tchekov, etc.

Et, il ne faut pas non plus oublier les célèbres noms de la scène artistique et théâtrale du Mali qui lui mirent le pied à l’étrier dont :

– Abdoulaye Diarra qui appartient à la première promotion de l’Art dramatique de l’Institut national des arts, promoteur et directeur de la Compagnie du théâtre national ;

– Racine Dia, Mamoutou Sanogo, Aguibou Dembélé, camarades de l’Ina et des premières scènes théâtrales ;

– Balla Moussa Keita, partenaire dans « Nègres, qu’avez-vous fait ? » d’Alkady Kaba. Sur Balla Moussa, il porte le témoignage suivant dans son livre : « Par un heureux hasard, il s’était dressé sur mon chemin ce monstre sacré, cette icône du théâtre malien. Aucun parchemin, aucun diplôme n’avait sanctionné le parcours de cet autodidacte. J’eus honte de ma formation académique. Le théâtre n’avait pas fini de m’étonner ; il m’infligeait ainsi une grande leçon d’humilité. Quelques années après, Balla Moussa quittait le théâtre pour le cinéma où son immense talent fut disputé par les réalisateurs dont il fera le bonheur. C’est surtout au cinéma que Balla Moussa va asseoir définitivement sa notoriété. Sa mort affligera durablement le monde du théâtre et du cinéma. »

– Claude Rolin, « ressortissant français fut l’une des chevilles ouvrières des succès de la jeune compagnie : son concours fut inestimable ; grâce à lui, la scénographie franchissait une étape décisive. »

Quarante petites années de théâtre, c’est aussi son témoignage sur le Kotèba qui constitua une bouée de sauvetage pour un théâtre malien moribond, à la fin des années 1970. Il fallait amorcer un retour vers le patrimoine en adoptant la langue nationale, le chant, les danses !

Bain d’euphorie ! Bain de jouvence !

Le Mali du théâtre revivait !

Au fil des pages, je constitue le matériau autour de la problématique qui m’importe : l’écrit fut-il le vecteur incontournable qui rendit à cette pièce toute sa puissance, son rôle d’agitateur social ?

L’aboutissement scénique de Wari mais avant Wari, de Bougougnéri constitue un éclairage intéressant sur la question. Ousmane Sow évoque une pièce « en souffrance », pris dans le jeu du Kotèba improvisé, sans texte, sans support écrit où le jeu était laissé à la merci de presque tout un chacun, d’abord des comédiens eux-mêmes, et ensuite des hommes de théâtre et du public. Que pouvait faire l’actrice principale, Diarra Sanogo, malgré son talent, devant ce manquement : « La pièce Bougougnéri était en souffrance depuis plusieurs mois sur la scène du Kotèba ; l’accouchement s’avéra douloureux. J’étais frappé par la déliquescence dans laquelle le Kotèba s’était abîmé. L’actrice principale, Diarra Sanogo, très talentueuse d’ailleurs, s’escrimait sur la scène sifflée par ses camarades ; pour elle, la répétition devenait infernale. La pauvre ! Les critiques fusaient de toutes parts. L’absence de texte donnait le droit à tout comédien d’avoir son mot à dire, de juger, de blâmer au grand dam du metteur en scène noyé dans ce chaos… Pulvérisé ! »

Alors Ousmane Sow flairant toutes les promesses dont étaient porteuses Diarra Sanogo et cette pièce s’en empare. Et reconstitue la charpente. On n’improvise pas ! On écrit ! Et on joue en se servant de l’art de la dérision du Kotèba.

Ousmane Sow rappelle à bon escient d’ailleurs que le triomphe du Kotèba des années 1970 a fait long feu : de retour au milieu des années 1980 de la Yougoslavie où il décroche le diplôme de metteur en scène, il constate que de nouveau le théâtre est en panne. Le Kotèba embastillé dans ses propres ghettos dont celui de la langue : «Le Kotèba végéta longtemps dans les sphères prosaïques de la langue sans en découvrir le substrat, les métaphores, et les symboles qui ne pouvaient s’obtenir que par l’écriture. Seule l’écriture, cette opération alchimique peut accéder à la métalangue, à ce stade supérieur de la langue. Le Kotèba qui est par essence un théâtre d’improvisation ne pouvait connaître qu’un si funeste sort. En l’absence de texte, les pièces dégénéraient en de farces grossières, l’anarchie s’installait. Sevré du texte, le comédien restait insoumis aux exigences des techniques de la scène, il n’était plus qu’un pantin qui proférait des insanités… Un guignol ! »

Alors on écrit pour le Kotèba : un défi ! L’écriture qui vient à la rescousse de la parole ?

Le succès est immédiat : la voix de Bougougnéri, l’aide-ménagère, retentit dans tous les foyers du Mali plus particulièrement ceux de Bamako, la capitale, la grande ville dévoreuse de « petites bonnes » pour titiller l’arrogance, l’incompétence de la citadine-maîtresse de maison, au cœur d une société urbaine impitoyable ne faisant de place ni aux ruraux, ni aux faibles. Victime et bourreau, tous à plaindre finalement !

Tel pourrait être un des grands enseignements de cette pièce : une société, vivant d’injustice, de corruption, de haine, distille doucement mais sûrement le poison qui la détruira, le venin de son propre déclin.

Et Wari telle une déferlante bousculant tout sur son chemin, démasque une société qui se cache la vérité- d’ailleurs toutes les scènes de Wari se passent entre le crépuscule et le petit matin. Alcool, sexe, corruption font plier une société qui sombre dans le désespoir. Et tous les acteurs du jeu accusent et accusent ! Mais dans quel pays seront-ils demain ? Un autre pays, une autre société naîtra t’elle de leur désespoir ? Leur abime est elle porteuse de semence nouvelle ?

A lire ces 40 petites années de théâtre, rien ne semble pourtant évident. Ousmane Sow en s’emparant des poèmes de Tiécoro Sangaré, Moussa Kanouté, Adama Drabo et Moussa Touré avait-il pris la pleine mesure de la puissance de leur message ? Savait-il que l’écriture allait donner une tout autre dimension à cette pièce généreusement exécutée par une génération d’artistes, de comédiens de talent ! Une génération qui avait su prendre possession du corps et de l’âme de plusieurs millions de Maliens en jouant leur vie et en s’exprimant en leur nom à tous ! Une sacrée génération !

Habib-Guimba !

Michel !

Gabriel Magma !

Hélène !

Fanta Berthé !

Et tous les autres !

Ousmane Sow avait-il caressé le projet de contribuer au changement social et politique du pays à travers un théâtre d’éveil des consciences, un théâtre engagé ?

«Je restai imperturbable aux discours laudatifs qui saluèrent les deux pièces leur attribuant le rôle historique joué dans l’avènement de la démocratie. Je ne me leurrai pas, j’étais conscient que les lauriers n’étaient pas pour moi, et que la gloire dont on m’affublait n’était que fictive. Je n’étais ni le messie, ni le Vox Populis, mais simplement une voix dans la mêlée, une toute petite voix…Ma voix. »

Une chose est pourtant évidente : grâce certainement à cette alchimie de l’écriture que lui-même évoque plus haut, Wari devint le chant fraternel et solidaire du Mali, vieux et créatif pays.

En conclusion de son livre, une conclusion teintée d’amertume -tout fut loin d’être facile, d’être prometteur, d’être joyeux-, il pointe un doigt accusateur sur le théâtre de sensibilisation «Le théâtre de sensibilisation n’a t’il pas tué le théâtre ? »

Kadiatou Konaré

Promotrice des éditions Cauris

Le Républicain

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