Aménagé et réhabilité pour un montant dépassant les 8 milliards de Fcfa, le canal drainant l’eau du Niger à la ville de Tombouctou, occasionne chaque année (en période de crue) des morts d’hommes et d’animaux.
Une vue de la ville de Tombouctou
De la réalisation d’un « rêve » est né un cauchemar pour les habitants de Tombouctou.
Long d’environ 7 kilomètres, le fameux canal a été creusé entre Kabara, ce vieux port de Tombouctou (situé sur un bras du fleuve Niger) et la ville des 333 Saints. Il a été réalisé grâce à un financement (plus de 8 milliards, dit-on) de la Libye, avec le concours d’experts libyens en la matière et qui avaient élu domicile à Tombouctou pendant toute la période de sa réhabilitation.
Mais, l’enthousiasme des habitants de Tombouctou au cours de la cérémonie d’inauguration de ce canal, n’aura été que de façade. Et pour cause.
Du rêve de voir la ville retrouver son charme d’antan, ces piroguiers de lointains villages, apporter patates, riz, mil, et autres produits jusqu’au marché de « Yoboutawo », des jardins maraîchers, et des plages tout au long du canal, il n’en est ressorti qu’un cauchemar.
En effet, avec une profondeur de 9 à 10 mètres, des berges trop glissantes parce que, (naturellement) ensablées, l’actuel canal de Tombouctou, ne profite guère au maraîcher ou au berger, ni même à personne.
Pire, pour le berger, il ne peut ni même étancher sa soif, au risque de boire… pour la dernière fois.
En plus, les bergers sont obligés d’avoir désormais leurs animaux à l’œil, afin que ceux-ci, pour s’abreuver, ne s’aventurent vers le canal mortel.
Ainsi, explique Aljoumat Ag Ibrahim, berger de son état à Tombouctou : « vous savez, nous avions ici il y a environ 40 ans, un canal naturel, peu profond et dont l’eau débordait, formant de manière naturelle des cours d’eau, ressemblant à des mares et dont les profondeurs n’allaient jamais au-delà des 50 cms. Ces lieux de débordement du canal étaient nombreux et connus de tous. Même des animaux. Cela nous permettait d’abreuver nos animaux, de nous laver et même de pêcher. Lorsque, on nous avait annoncé que Kadhafi allait faire creuser ce canal qui n’existait plus depuis plusieurs années, naturellement, nous avions accueilli la nouvelle avec enthousiasme. Malheureusement, le canal a été mal conçu, mal fait. Avant de faire ce travail, si réellement c’était pour nous soutenir, on aurait dû l’effectuer avec nos suggestions et nos préoccupations. Personne ne connaît ce canal, autant que nous les bergers, les éleveurs, et les maraîchers. Certes, la bonne volonté des autorités du pays et de Kadhafi est à saluer dans cette histoire, mais, les Libyens ont commis l’erreur d’avoir travaillé tous seuls sur un terrain qu’il ne connaissent guère ».
Cet autre éleveur est plus tranchant, M. Alhassane Echaffeg : « ce canal est maudit ! Il tue et continuera de tuer. Il a déjà enseveli près de 20 personnes. Pendant ce temps, combien de personnes ici à Tombouctou en ont profité ? Personne !
Aussi, de l’aéroport situé à 5 kilomètres de Tombouctou, il n’y a qu’un seul pont. Nous sommes obligés, avec nos animaux, de parcourir des kilomètres, lorsqu’on se situe d’un côté ou de l’autre du canal pour joindre la ville ou la brousse. Ce canal est purement d’ordre esthétique. Il n’est pas fait pour les citoyens de Tombouctou. Il est fait pour les autres ».
Même sulfureux, le constat de M. Echaffeg est réel.
En effet, tout au long du canal, de Kabara à Tombouctou, il n’y a aucune présence humaine, aucune activité. Tout est monotone et triste.
Toute chose qui a permis à ce notable de la Cité des 333 Saints de conclure : « Ici à Tombouctou, dès lors qu’il s’agit d’un cadeau, nous applaudissons automatiquement. Même, lorsque, ce cadeau est empoissonné. Ce canal n’est pas celui de notre rêve, mais, celui de notre cauchemar ».
Notons que, c’était lors du « spécial » Maouloud, célébré à Tombouctou en 2006 et auquel a participé le président Libyen Mohamar Kadhafi (et d’autres chefs d’Etats Africains), que ce dernier avait décidé de financer l’aménagement et la réhabilitation du canal de Tombouctou. Une promesse qu’il avait tenue, à peine, rentrait-il dans son pays.
Boubacar Sankaré
SOURCE: Le 26 Mars