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Tiona Mathieu Koné, responsable de la communication à EDM SA: «Ce n’est pas le potentiel qui manque, c’est plutôt l’argent»

Dans la seconde et dernière partie de l’entretien qu’il nous a accordé, le responsable de la Communication d’EDM sa, Tiona Mathieu Koné, parle de perspectives rassurantes pour sa structure. Elles concernent la mise en œuvre de nouveau barrages, le développement de l’interconnexion dans la sous-région et les centrales hybrides solaires, entre autres…

Tiona Mathieu Koné, chargé de communication de l'EDM

Tiona Mathieu Koné, chargé de communication de l’EDM

Peut-on avoir une idée du rapport qui existe entre vos capacités de production et les besoins énergétiques du Mali?

Nos capacités installées oscillent entre 200 et 250 MW au maximum aussi bien sur le réseau interconnecté que dans les centres isolés. L’un dans l’autre, on ne dépasse les 300 MW. Il faut préciser que le thermique joue encore un grand rôle. Il fournit, en effet, 40% de l’électricité produite. C’est qui cause justement problème. Dans le mixte de production, le thermique est encore en hausse. Je vous rappelle que nous enregistrons une demande qui croît de 10% l’an. On ne construit pas un barrage en dix jours, ni en six mois. Tout cela pour dire que les besoins sont immenses. On n’arrive pas, par exemple, à couvrir les besoins des miniers. Chez les miniers, les besoins ne se chiffrent pas à 1 MW ; chez eux c’est de l’ordre de 40 à 50 MW et ils ont les moyens de payer. Si l’on fait le choix de raccorder Sadiola, cela se fera aux dépens de la consommation domestique. C’est pourquoi nous attendons toujours des moyens additionnels. L’Etat s’emploie à promouvoir le potentiel, pour faire face à tous ses besoins de développement, y compris l’exploitation aurifère. Mais, parfois, les choses viennent en retard. Les premiers coups de pioche de Manantali ont été donnés dans les années 82 – 83, mais il a fallu attendre 2002 pour voir le fonctionnement de l’ouvrage. L’inauguration a eu lieu sous le Président Alpha Oumar Konaré. Idem pour Sélingué. L’interconnexion, qui devait être là en 2008, n’est finalement intervenue qu’en 2012. Des situations imputables parfois au contexte géopolitique et d’autres fois à des considérations d’ordre financier. Mais le Mali jouit d’un grand potentiel. Quand la Côte d’ivoire va se réveiller, avec son potentiel gazier, cela permettra l’augmentation de la puissance au Mali. L’autre jour, nous avons procédé à la pose de la première pierre d’un barrage à Soubré, en Côte d’Ivoire. Bientôt, on va procéder aux essais du barrage de Félou, dont les travaux de construction ont pris fin. Les essais vont bientôt commencer…

Quelle sera sa contribution dans le réseau interconnecté?

Félou, c’est de l’ordre de 60 MW, mais nous n’aurons que 45% de cette production. C’est dans le cadre de l’OMVS, qui regroupe le Sénégal, la Mauritanie,  le Mali et la Guinée. Ensuite, il y a Gouina, toujours dans le bassin du fleuve Sénégal. Après Félou, ce sera le tour de Gouina, qui est un grand barrage de 200 MW. Au Nord, nous avons Taoussa, dont la construction a été arrêtée à cause de la crise. Le marché sera exécuté par la Chine. Il y a aussi Kénié, qui se trouve près de Koulikoro. On attend des investisseurs pour sa mise en valeur.

Kénié, c’est combien de MW?

C’est de l’ordre de 40 – 50 MW. Cela dépendra aussi des fortifications et de la pluviométrie, parce que c’est un barrage au fil de l’eau. Sans compter Sotuba, dont la capacité sera augmentée de 5 – 6 MW en fonction de la pluviométrie. Donc, ce n’est pas le potentiel qui manque, c’est plutôt l’argent, qui se trouve être le nerf de la guerre. C’est un domaine à forts capitaux. Le gouvernement a une politique en la matière. Au sortir de la crise, je suis sûr que tout ce potentiel sera boosté, afin de donner au Mali, à défaut d’une autosuffisance énergétique, une couverture satisfaisante de ses besoins énergétiques. Nous avons un projet très avancé d’interconnexion Ghana – Burkina – Sikasso – Bougouni. A ce propos, il faut signaler  qu’une réunion doit se tenir incessamment sur le sujet, en vue d’un grand réveil de ce projet, dans le cadre du WAP, le WAP étant le système énergétique de la CEDEAO. L’un dans l’autre, je pense que le présent est difficile, mais que l’avenir immédiat peut être très rassurant.

Comment se présente la situation financière d’EDM sa?

EDM sa est une entreprise qui connait un décalage structurel entre les coûts de production et les prix de vente. Je crois que c’est clair et net. EDM sa est dans un pays en crise, dont la situation économique n’est pas reluisante…

Vous étiez sur le point d’atteindre l’équilibre financier à un moment donné…

Oui, c’était au moment où le pays était en paix, quelques années en arrière. Aujourd’hui, il est en guerre. Dans les équilibres financiers, je crois que nous étions à moins 14 ou moins 15 milliards de FCFA. On ne pratique pas la vérité des prix. Vous voyez qu’on a passé près de dix ans avec des tarifs gelés. Vous vous rappelez qu’au nom de la demande sociale, il y a eu deux réductions de 5% et 5%. Cela fait 10%. En 2009, on est revenu à un petit réajustement de 4%. Tout cela nous a ramené à la vérité des prix des années 2 000. Ce n’est que tout dernièrement qu’on a initié de légères hausses, de 3% et de 7%. Tout cela participe du désir…

Pouvez-vous vous appesantir sur ces dernières augmentations?

C’est appliqué à partir de février. Autrement dit, sur les factures de février les gens verront qu’il y a une hausse selon les consommations. L’Etat a veillé à épargner une bonne couche, ce qu’on appelle les tranches sociales, autrement dit les moindres revenus. Dans le cadre de la solidarité nationale, ceux qui sont dans la tranche sociale, c’est-à-dire de 0 à 50 kwh, ne seront pas touchés. Mais, à partir de ce seuil jusqu’à 200 kwh, on peut aller dans les 3%.  Et, au-delà, on peut aller dans les 7% pour les gros consommateurs et les industriels. Cela dénote d’une politique d’aide à l’entreprise, à travers ses capacités financières, pour lui permettre de faire face aux immenses besoins, car un pays ne peut pas se développer sans le secteur énergétique. Ce réajustement est un accompagnement demandé aux uns et aux autres. Je vous donne un exemple: à EDM sa le kw est produit à 140 FCFA pour être revendu à  environ 95 FCFA…

Vous tournez donc  à perte?

Nous tournons à perte. Mais, chez nos cousins de l’AMADER, dans les localités qu’ils desservent, le courant coûte 3 ou 4 fois plus cher qu’à EDM sa. Et pourtant leurs clients sont aussi des Maliens. Ils n’ont même pas la durée de fonctionnement. Parfois, c’est juste de 18 h à 23 h. Je pense que tout cela dénote de la politique nationale de faire en sorte que chacun bénéficie des bienfaits de l’électricité.

Les arriérés de l’Etat ne sont-ils pas à la base de vos difficultés financières?

Pour parler franc, l’Etat n’est pas un mauvais payeur. Bien sûr, la facture de l’Etat n’est pas acquittée mensuellement. L’Etat a des factures trimestrielles, bien définies, mais, ce n’est un secret pour personne, l’Etat a d’autres obligations, l’Etat fait face à plusieurs défis, surtout dans une période de crise  telle que nous la vivons. Mais l’Etat met un point d’honneur à payer ce qu’il doit à EDM sa. Cela peut venir en retard. Parfois, les crédits budgétaires alloués à ce chapitre sont insuffisants. Une situation qui invite justement à des comportements, partout, dans tous les secteurs publics, tournés vers l’économie d’énergie, pour que la facture énergétique baisse dans tous les compartiments des services de l’Etat.

Je crois que ce serait faire mauvaise presse que de dire que l’Etat du Mali est un mauvais payeur. Ce serait faire un mauvais procès à l’Etat. Il fait ce qu’il peut, dans la mesure de ses moyens. Bien sûr, les crédits budgétaires alloués à ce chapitre, pour ce qui concerne certains cas, parfois ne sont pas à hauteur  de consommation constatée. Mais, avec l’adoption des économies d’énergies, on peut  davantage maîtriser cette consommation. Manifestement, il y a beaucoup d’efforts à déployer dans ce domaine. Par rapport à ce que nous voyons dans d’autres pays, je dis franchement que l’Etat finit par payer. L’accompagnement de l’Etat malien est acquis et constant.

Les énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne, au regard du potentiel du Mali, n’offrent-elles pas une opportunité à même d’assurer l’indépendance énergétique du Mali? Quelles actions avez-vous entreprises dans ce sens?

Vous avez raison. Le Mali a fait l’option pour les énergies renouvelables, solaire, éolienne, biocarburant. Je pense que tout cela participe de la volonté de l’Etat de ne rien ménager pour la satisfaction des besoins objectifs du pays. EDM sa a fait cette option de façon décisive. Nous avons l’une des premières centrales hybride solaire de la sous-région à Ouelessébougou. Et, n’eût été la crise, nous serions le seul pays de la région ouest-africaine à avoir quatre localités alimentées par des centrales solaires hybrides. Il s’agit de la ville de Tominian, d’Ansongo, de Bankass et de Koro. Dans peu de temps, nous aurons quatre ou cinq villes en hybride et le programme continuera. Tout cela pour profiter du solaire. Mais je me dois de vous dire,  en vérité,  que, pour le moment, l’investissement est très cher au départ. On parie sur l’avenir, parce que le solaire est une bonne option, mais, pour le moment, si l’on veut appliquer les coûts d’investissement – qui sont faramineux – à la réalité du coût de revient, le kwh serait hors de portée du Malien moyen. Je vais vous faire une confidence. Plusieurs investisseurs privés étaient venus nous voir, avec beaucoup de projets dans les cartons. Nous étions preneurs, mais quand on leur a demandé à quel coût ils allaient nous donner cela, on s’est rendu compte qu’ils étaient prêts à investir et à nous vendre le kwh  à 180 FCFA .Vous comprenez aisément que nous ne  pouvons pas acheter le kwh à  180 ou 200 FCFA  pour le revendre à 95 FCFA. Ce serait tourner à perte. Ils ne sont pas prêts à faire le pari du long terme. Je pense que, face à la flambée du prix du pétrole et au caractère non polluant de l’énergie solaire, beaucoup de pays vont s’y mettre. Les ateliers du monde vont  faire baisser les prix et, à terme, chacun y gagnera. Pour le moment, l’investissement est encore très lourd au départ et personne ne peut vous démontrer qu’il peut vendre le kwh à moins de 100 FCFA, à partir d’un investissement actuellement dans le solaire au Mali.

Avez-vous un appel à lancer?

Vous savez quand on cause des désagréments à ses partenaires, aux usagers, le premier message c’est toujours de leur renouveler les excuses les plus sincères. Nous avons des métiers à haute sensibilité. Ils touchent tout le monde et tous les secteurs. Souvent, on entend parler de sabotage et de manque d’engagement. Nous  sommes des Maliens, nous n’allons pas jouer avec le nerf de la stabilité sociale, ce qui est le nerf de la productivité. Jamais nous ne pouvons manquer de volonté pour mieux faire. Cela dit, c’est un domaine qui n’est pas du tout facile. C’est un domaine à lourds investissements. Les travailleurs d’EDM sa habitent les mêmes quartiers que tous les autres Maliens. Malgré tout, nous présentons, encore une fois, nos excuses pour les désagréments causés. Nous demandons plus de compréhension et, surtout, nous invitons à l’économie d’énergie, qui nous permettra d’éviter la saturation, en attendant que la société et l’Etat aient davantage de moyens pour la mise en exploitation du riche potentiel dont nous disposons. Aujourd’hui, par exemple, la Guinée est dix fois plus nantie que le Mali en termes d’exploitation énergétique. Dans les années à venir, si la Guinée réussit  à mieux mettre en valeur son potentiel inégalé – ce sont des milliers de MW, car, la Guinée, c’est le château d’eau de l’Afrique à partir de la zone du Fouta Djallon – l’interconnexion à ce pays et aussi avec la Côte d’Ivoire, le Ghana, les pays du Golfe de Guinée, rendra possibles des solutions intégrées.

A quand la sortie du tunnel?

Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous faisons face à un présent difficile, mais que notre futur immédiat est rassurant.

Propos recueillis par Yaya Sidibé   

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