Dans sa vocation d’être la voix du peuple par la dénonciation des pratiques néfastes au développement national, mais aussi en allant à l’écoute de tous les hommes et femmes dont les propos sont susceptibles d’apporter un petit changement au sein de notre nation, mais aussi du monde entier, votre quotidien Le Pays est allé à la rencontre d’un grand militant imprégné du marxisme-léninisme, mais aussi formateur d’un des grands panafricanistes, Thomas Sangara. Youssouf Diawara a accepté de témoigner à notre micro sur Thomas Sangara et son combat. Lisez l’entretien !
Le Pays : M. Diawara, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs ?
Youssouf Diawara : Je suis né à Bobo Dioulasso le 27 juillet 1941. J’y ai vécu sous l’époque coloniale jusqu’à mes 19-20 ans en faisant des études à Bobo, à Ouaga, avec des promotionnaires comme Alassane Ouattara, l’actuel président de la Côte d’Ivoire, avant de rejoindre la France en 1962 où j’ai rencontré certains de vos dirigeants actuels dans les mouvements étudiant, tels que Ali Nouhoum Diallo, Ibrahim Boubacar Kéita, à l’époque membres de l’AESMF (Association des étudiants stagiaires maliens de France) pendant que moi je dirigeais l’AEVF (Association des étudiants voltaïques en France).
Après des études de sociologie et d’économie, je suis rentré au Burkina qui est ma patrie, bien que mes parents viennent du Mali, pour exercer mes fonctions. De 1962 jusqu’à nos jours, j’ai toujours été un militant. D’abord dans les mouvements syndicalistes étudiants, puis ensuite dans les mouvements clandestins de l’époque, parce qu’il n’y avait pas assez de démocratie pour qu’on soit des partis. On a d’ailleurs même connu le monopartisme. C’est dans cette lutte clandestine pour l’avènement d’une autre Afrique, d’un autre Burkina, que j’ai rencontré le capitaine Sankara.
Pourriez-vous nous parler de votre relation avec Thomas Sankara ?
Contrairement à ceux qui se réclament aujourd’hui du Sankarisme, moi, je ne suis pas un Sankariste. J’ai d’abord eu des relations de voisinage avec sa famille paternelle. Dans la maison que j’occupais à Ouaga, son père était juste à côté de moi, une rue nous séparait. C’est comme cela que j’ai connu sa famille. En bon Soudanais, nous étions dans la dimension culturelle de respecter le vieux qui était tout le temps assis près de notre maison. Outre cet aspect, en tant que membre fondateur du bloc marxiste-léniniste voltaïque à l’époque, mouvement clandestin que j’animais, la zone où habitait sa famille faisait partie de la juridiction qui m’était confiée pour le travail idéologique de formation des jeunes, de mobilisation des travailleurs. Certains de ses petits frères étaient dans les cellules clandestines que j’avais montées à l’époque puisqu’ils étaient dans mon quartier. C’est ainsi qu’il a dû entendre parler de moi à deux niveaux. Le premier par sa famille, le second par le travail politique clandestin que nous menions dans le quartier.
C’est ainsi qu’un jour, de façon très paradoxale, j’ai vu débarquer chez moi un jeune officier qui, après avoir fait un garde-à-vous impeccable, m’a salué et m’a fait savoir que le vieux lui a dit que c’est moi maintenant le fils aîné et pas lui. C’est de là que nos relations ont commencé. Il était déjà un jeune militaire politisé. Il venait alors discuter avec moi des problèmes politiques du Burkina. Il était sans doute informé aussi de mon travail politique dans la zone. À l’époque, nous étions tous marxistes. L’armée, fondement du pouvoir, a deux rôles à jouer, soit elle devient la garante du pouvoir de ceux qui oppriment le peuple, soit les militaires prennent conscience qu’ils sont une partie du peuple et qu’eux aussi ont un rôle politique à jouer. Nous avions à l’époque organisé ce que nous appelions l’Université populaire, où beaucoup de jeunes qui avaient fait le baccalauréat et l’avaient raté, nous leur donnions des cours gratuits pour qu’ils se repréparent.
Beaucoup de jeunes militaires, de jeunes officiers, venaient à ces cours. J’étais chargé de l’aspect philosophique et j’enseignais le marxisme et le léninisme. J’étais impressionné de cet enthousiasme des jeunes militaires à mon cours et qui à la suite me poursuivaient jusqu’à la maison afin d’avoir plus d’informations sur les ouvrages à lire, sur les explications plus fouillées sur le matérialisme dialectique et historique et l’histoire du mouvement ouvrier jusqu’à Lénine. C’est peut-être ce travail de fond que moi et d’autres camarades menions qui a amené ces jeunes officiers comme Sankara, Blaise Compaoré, Henry Zongo, à former, déjà à l’époque, le ROC (Regroupement des Officiers communistes). Voilà mes premières relations avec Sankara.
Sankara a-t-il des liens avec le Mali ?
Au moment de la guerre au Mali, il a été au front, il a beaucoup combattu. Dans les discussions que j’ai eues avec lui à l’époque, il était extrêmement peiné et attristé par cette guerre, comme il disait lui-même, entre deux pays qui n’arrivent pas à nourrir leur population, mais qui achètent des armes pour s’entre-tuer. Il était un peu sur les mêmes positions que nous, mais à la différence que nous on n’était pas au front, lui, il était obligé d’y aller. Il n’a jamais été porteur de cette guerre. Ce n’était pas un va-t-en-guerre. C’était plutôt quelqu’un qui, suite à l’idéologie qu’il avait, considérait le Mali, le Burkina et tous ces pays-là comme des entités coloniales factices dont les peuples sont obligatoirement contraints de se lier. Une guerre entre des pays pauvres comme les nôtres est une catastrophe. Quand il a pris le pouvoir, nous lui avons suggéré de faire sa première visite d’État au Mali qui venait d’avoir une confrontation avec nous. Devant l’accueil enthousiaste que la jeunesse malienne lui a réservé, il en est ressorti, ébranlé.
Dans une de nos discussions, il a été jusqu’à me dire qu’il ne voit pas les raisons pour lesquelles le Mali et le Burkina ne forment pas un seul État. Il trouvait qu’il serait mieux que le Mali et le Burkina forment une fédération comme font les Blancs, avec un gouverneur au Burkina et Moussa Traoré allait être nommé président fédéral. Cette vision ne s’appliquait pas qu’au Mali, mais à toute la sous-région. C’est un véritable panafricaniste. Il estimait que ce que nous faisions à l’époque au Burkina devait servir à aider les autres peuples de la sous-région à imprimer une autre voie que celle néocoloniale dans laquelle nous étions. C’est pour cette raison que quand j’ai été nommé directeur de l’Ecole internationale de Bordeaux, les séances de travail que j’ai eues avec lui et un de ses plus fidèles compagnons, son aide de camp, c’était de voir comment à partir de mon poste qui est stratégique, d’où je faisais venir par rangs près de 1000 cadres africains des pays francophones, on pouvait détecter les éléments les plus à-gauche pour les aider.
Déjà à cette époque, il était très obnubilé par le fait que le Burkina ne doit pas s’enfermer sur lui-même, mais aider les autres groupes. C’est ainsi que j’ai été choisi pour une mission en Afrique de l’Ouest. Au Mali par exemple, quand je venais, j’avais trois contacts : Ali Nouhoum Diallo, Kadari Bamba (ancien député de Sikasso), Kary Dembélé (Professeur à l’époque à l’ENSUP). Pour les Maliens de l’extérieur, Malamine Kakou. Sankara avait une vision extrêmement ouverte sur l’Afrique, conscient qu’aucun pays ne peut s’en sortir tout seul, conscient que si on veut mener une lutte vraiment anti-impérialiste, il faut aller vers l’unité.
Sankara n’est-il pas d’origine malienne ?
On pense qu’originellement ce sont les Peuls du Wassoulou, les Sangaré, qui ont bougé vers le pays des Mossis. N’ayant plus de troupeaux, ils se sont installés parmi ceux-ci. C’est des transhumants qui sont arrivés jusqu’en pays mossi et qui sont appelés les Peuls mossis, des Silmi-Mossis. Leur origine se situe vers le Mandé. C’est pourquoi, bien que ne parlant plus le peul, ils restent marqués par cette culture.
Que reste-t-il de ce combat aujourd’hui ?
Ce qui reste de ce combat au Burkina, après la mobilisation de masse que Sankara a opéré dans le pays, c’est une extrême conscientisation de notre jeunesse. Les preuves sont là. Je ne pense pas qu’il y ait une jeunesse plus combattive dans la sous-région que celle du Burkina. Vous n’avez aucune idée du pouvoir qu’avait Blaise Compaoré sur le pays, vous n’avez aucune idée de la force armée, le RSP (Régiment de sécurité présidentielle) qui était la seule armée réelle du pays. Les autres composantes de l’armée avaient à peine des munitions. C’est notre jeunesse très consciente et les femmes qui ont, en trois jours, mis fin à ce régime lorsqu’il a voulu après vingt ans changer encore les règles démocratiques en changeant la constitution. Nous avons une jeunesse fortement mobilisée, on a une population très sensible au côté de la politique. Ne serait-ce que cet aspect de la psychologie libératrice des masses, le rôle de Sankara a été très important.
Durant les quatre années que Sankara a passées au pouvoir, il a mené une lutte de fourmi pour asseoir l’autosuffisance alimentaire, équilibrer un budget déficitaire, lutter contre la corruption, instaurer un régime de consommation des produits locaux, pour consommer ce que nous produisons. Tous ceux-ci ont laissé des traces. C’est la raison pour laquelle, au Burkina, vous avez une des sociétés civiles les moins corrompues, plus indépendantes du pouvoir. Vous prenez le Balai citoyen, ce sont des jeunes citoyens, mais personne parmi eux n’est intéressé par le pouvoir. Aujourd’hui, on est en train de lui faire un mausolée. Cela signifie qu’il a laissé des traces profondes, pas seulement au Burkina, mais dans tous les pays de la sous-région et même en Afrique.
Pourquoi la volonté panafricaniste de Sankara n’a pas pu se réaliser ?
Le Burkina, c’est un petit pays dans le concert des 50 ou 51 pays africains. Les idées que Sankara amenait à l’OUA étaient des idées iconoclastes, c’est-à-dire qui brisaient tous les tabous. Je prends un exemple, « au lieu d’acheter des armes, achetons plutôt de quoi faire vivre notre population. Nous sommes tous des pays endettés, refusons collectivement de payer nos dettes. Si on refuse de les payer, ceux à qui on doit l’argent, ils n’en mourront pas, ils sont déjà suffisamment riches, mais nous on va en mourir si on paye nos dettes. Le Burkina seul ne peut pas se lever pour dire je ne paie pas mes dettes ». Les idées de Sankara étaient bien perçues par les populations, mais il n’y avait pas de structures dans ces pays capables de les mettre en action. Ce n’est pas Sankara qui pouvait promouvoir l’unité africaine, selon notre modèle. Le Burkina, dans sa petitesse, ne pouvait pas être le déclencheur d’une Afrique révolutionnaire.
Quels seront vos derniers mots ?
À l’âge où nous sommes arrivés, après le combat que nous avons mené et au vu de l’évolution de la situation en Afrique, l’Afrique a les grandes ressources du monde actuel. À moins de 25 ou 30 ans, un jeune sur 4 dans le monde sera noir. Cela signifie que nous aurons la population la plus importante à l’échelle du monde. Ceci est contrebalancé par des effets négatifs extrêmes. Le premier effet, c’est la pauvreté qui a été vaincue en Afrique du Sud-Est, dans la plupart des pays du monde, mais qui n’a pas régressé en Afrique de l’Ouest. Nous faisons face à l’extrême pauvreté où la population se contente de moins de 2 dollars par jour. Cela n’a pas changé. Lorsqu’on vous dit que nous avons une économie en croissance de 7%, ça ne veut pas dire grand-chose parce que c’est inégalement réparti. Nous avons la zone du monde où les ressources et les biens sont les plus inégalement répartis. Nous sommes la zone du monde où la vitesse d’enrichissement est la plus grande. Ce qui fait que nous avons un énorme problème d’avenir, une masse de jeunes qui va aller en croissant, personne ne peut empêcher cela. Lorsque les démographes vous disent, le taux de fécondité est trop élevé, il faut investir pour empêcher que ce taux soit aussi important, c’est un vœu pieux parce que personne ne pourra empêcher les gens qui n’ont pas les moyens de ne pas avoir d’enfants. Ce serait une double peine.
Nous qui avons lutté pour l’émancipation de l’Afrique, nous appelons les jeunes à se mobiliser, à ne pas se laisser attirer par les éléments factices que l’avenir n’est pas dans ça, mais dans une jeunesse conscientisée qui intervient directement dans la politique, qui a l’œil sur le politique et qui aussi élève des politiciens. L’époque des vieillards comme les nôtres, 70, 75 ans, c’est dépassé. Les jeunes sans conscience politique n’ont aucune valeur. Une large conscientisation des jeunes et des femmes est nécessaire pour que l’Afrique s’en sorte car on ne doit jamais compter sur l’extérieur.
Propos recueillis par
Source: Le Pays