Le report très controversé des élections législatives plonge le Mali dans une transition qui ne dit pas son nom. En effet, après cinq ans de règne sans partage du président IBK, c’est la marche à reculons pour revenir à la situation de l’après coup d’état du 22 mars 2012, avec notamment des députés nommés par la Cour constitutionnelle, au détour d’un Avis qui en dédit un autre en l’espace d’un mois. Pour plusieurs mois donc des députés sans mandat des populations devront pourtant conduire des réformes vitales pour l’avenir de l’unité et de l’intégrité territoriale du Mali. C’est la preuve que le Mali n’était prêt pour aucun scrutin crédible, présidentiel comme législatif. Mais IBK joue au plus malin pour d’abord confisquer le fauteuil présidentiel, avant de reconnaître, la mort dans l’âme que tenir des législatives dans les délais n’est pas possible. Un aveu d’échec de taille car il n’a pu, en cinq ans au pouvoir, régler aucun des problèmes fondamentaux pour lesquels il était élu en 2013.
Faire tout pour organiser l’élection présidentielle et éviter ainsi une transition qui hante ses nuits de sommeil, tel est le principal mobil du président IBK, lorsqu’il nommait Soumylou Boubèye Maïga au poste de Premier ministre. Plusieurs fois annoncé et disons même attendu à la Primature, Soumeylou tardait à y arriver, à cause des multiples résistances à sa nomination ayant pu provoquer des réticences chez IBK.
Mais finalement, la situation du pays obligera le président de la République à le nommer « puisqu’il est l’homme de la situation » disent souvent ses thuriféraires, sans jamais nuances ces propos. En effet, de quelle situation s’agit-il ? La réponse est sans équivoque : imposer des élections sur mesure pour sauver IBK de la transition qui se précisait et se préparait jusque dans des cercles influents de la société civile.
Sur ce plan, l’actuel Premier ministre a réussi sa mission, même s’il devra encore trainer le bruit assourdissant des casseroles de cette élection présidentielle, marquée par le jeu trouble de la Cour constitutionnelle et la fumisterie des observateurs internationaux dont la plupart, devenus des professionnels de la chose en Afrique, en font un véritable marché pour toujours soutenir le président sortant, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Le reste, c’est un jeu de mots par lequel on cite toujours un chapelet de griefs qui ôte tout crédit au scrutin, pour conclure, honteusement et parfois avec un brin d’ironie, que cela n’entame en rien la sincérité du scrutin.
Parmi ces observateurs, il y en a qui viennent de pays africains qui ont même de la peine à respecter le calendrier électoral républicain, encore moins détenir un fichier électoral correct pour pouvoir organiser ne serait-ce qu’un semblant de scrutin.
Une fois son fauteuil sauvegardé par une élection au forceps, IBK ne se soucie plus du reste, passant son temps à voyager, pour aller contempler des champs de lilas et se prélasser dans des palaces et hôtels qui coûtent une fortune à l’économie malienne, déjà exsangue. Les problèmes du Mali, il s’en tape le jabot et laisse faire un Premier ministre qui s’est positionné à son niveau comme un omnipotent après Dieu, donc capable de tout gérer et de mettre tout le peuple malien au pas.
En effet, Soumeylou Boubèye Maïga s’est subitement arrogé une influence et une audace de prise de décisions que le président IBK n’a voulu laisser à aucun autre de ses Premiers ministres. Mais aussi parce que les autres avaient de la retenue, n’ayant jamais voulu de l’étiquette d’homme capable de tout faire et à tous les coûts, voire tous les coups.
Même la date de l’organisation de la résidentielle passée fut annoncée par le Premier ministre, en lieu et place du président de la République, comme l’impose la coutume républicaine. Et en plus, pas de façon solennelle comme l’aurait voulu l’usage et par respect aux citoyens, mais avec désinvolture, à l’occasion d’un de ses nombreux voyages à l’intérieur du pays, pour en réalité poser le dispositif devant rendre captif le fauteuil présidentiel.
Depuis lors, c’est un Premier ministre aux allures de président de la République par procuration qui est là, se mêlant de tout, flanqué de son épouse à n’importe quel déplacement, comme le ferait le président de la République avec la Première Dame, faisant feu de tout bois et se permettant même d’engraisser son parti sur les flancs du parti présidentiel, non seulement en lui soutirant ses députés, mais en les dressant contre le même parti présidentiel pour les législatives.
Il y a deux façons d’accéder au pouvoir, dit-on souvent : en prenant l’ascenseur pour gagner la présidentielle ou passer par les escaliers en remportant les législatives et imposer un partage du pouvoir au président de la République élu. Pour beaucoup d’observateurs, Soumeylou serait dans cette logique et le report des législatives joue en sa faveur, pour lui permettre de mettre complètement en place ce dispositif. Puisque c’est lui, en tant que chef du gouvernement qui organise les élections comme lors de la présidentielle, le reste se passe de tout commentaire…
Dans tout cela, IBK reste à la fois invisible et inaudible, pendant que le pays est fortement secoué par le front social, en plus de l’insécurité grandissante mettant à nu son échec dans ce domaine, le pouvoir judiciaire effondré, l’année académique qui peine à démarrer à cause de multiples mouvements d’humeur des enseignants, les violences qui reprennent dans l’espace scolaire et universitaire, le football national pris en otage par une crise qui s’éternise, le branle-bas de combat suscité par le projet de redécoupage administratif, la CMA et ses amis de l’Extérieur qui mettent la pression pour hâter le processus de mise en œuvre de l’Accord d’Alger, les fronts contre le régime qui se multiplient et déclarent ne pas vouloir prendre de gants de velours dans les actions à mener…
La Cour constitutionnelle, en donnant deux avis contraires en l’espace d’un mois, pour permettre la prolongation du mandat des députés, donc le report des législatives, évoque un cas de force majeure, oubliant que c’est elle qui soutenait, peu de jours auparavant, qu’aucune disposition constitutionnelle ne permettait cette prolongation du mandat des députés. En plus, rappelons-le, c’est cette même Cour constitutionnelle qui défendait que le référendum portant révision constitutionnelle pût se tenir car l’insécurité évoquée par les opposants n’était que « résiduelle ». Alors, il est temps que les Maliens se trouvent une autre Cour constitutionnelle. Celle qui est en place, très déconnectée de la réalité du pays, semble être une Cour constitutionnelle non du Mali, mais du Gondwana.
De toute façon, en reconnaissant qu’il y a un cas de force majeure pouvant permettre le report des législatives, la Cour constitutionnelle admet, indirectement, que quelque part dans la vie nationale existent des germes d’une situation d’exception pour appeler des mesures exceptionnelles. Ce qui balaie d’un revers de la main toutes les flagorneries sur le bilan du président IBK dont le résultat final est l’impossibilité de tenir des élections législatives à date échue. Une capitulation !
Karamoko
Source: Le Pays