La Haute Autorité de la Communication (HAC) du Mali a franchi un nouveau cap dans sa régulation du paysage audiovisuel malien. Le 9 mai 2025, l’institution a ordonné le retrait immédiat de la chaîne de télévision internationale TV5-Monde des bouquets de tous les distributeurs de programmes audiovisuels autorisés sur le territoire national. Cette décision, aux conséquences diplomatiques et médiatiques importantes, intervient dans un contexte marqué par une vigilance accrue des autorités maliennes sur les questions de souveraineté médiatique et de traitement de l’information.
Une émission jugée « biaisée » et « diffamatoire »
À l’origine de cette sanction : le Journal Afrique du 3 mai 2025, présenté par le journaliste Salah Eddine Gakou. L’émission, consacrée à une manifestation de l’opposition politique à Bamako contre l’abrogation de la Charte des partis politiques, est accusée d’avoir violé plusieurs dispositions relatives à la déontologie journalistique.
La HAC reproche à TV5-Monde d’avoir présenté un contenu partial, en donnant exclusivement la parole aux organisateurs de la manifestation sans accorder le moindre espace aux autorités étatiques présentes lors des événements. L’autorité de régulation évoque une violation flagrante du principe d’équilibre de l’information, fondement essentiel du journalisme responsable. Elle dénonce par ailleurs l’usage de propos qualifiés de diffamatoires envers les forces de sécurité maliennes, dont l’action aurait été caricaturée sans mise en perspective ni vérification factuelle.
Une récidive selon les autorités maliennes
Cette suspension n’est pas une première. La HAC rappelle qu’en mai 2023, TV5-Monde avait déjà reçu un avertissement officiel pour manquements similaires, notamment pour des traitements médiatiques jugés déséquilibrés sur des sujets liés à la situation sécuritaire au centre du Mali. En septembre 2024, une suspension de trois mois avait également été imposée, illustrant une tolérance de plus en plus limitée face aux récidives.
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Avec cette nouvelle mesure, l’autorité de régulation estime qu’il s’agit d’un dernier avertissement adressé à TV5-Monde, dont la couverture de l’actualité malienne continue, selon elle, de refléter un prisme occidental partial, voire paternaliste, incompatible avec les exigences de la régulation souveraine des médias en République du Mali.
Les fondements juridiques de la décision
La décision de la HAC s’appuie sur plusieurs textes législatifs, notamment la loi n°2012-019 du 12 mars 2012 relative aux services privés de communication audiovisuelle, ainsi que sur le Code de l’éthique et de la déontologie du journaliste au Mali. En invoquant le non-respect de ces normes, l’institution réaffirme son engagement à garantir une information pluraliste, responsable et respectueuse des réalités nationales.
Le retrait de TV5-Monde est annoncé comme étant en vigueur « jusqu’à nouvel ordre », sans date précise de réexamen du dossier. La chaîne est donc exclue des bouquets de Canal+, StarTimes, EasyTV et autres distributeurs opérant légalement dans le pays.
Un geste de souveraineté médiatique ou une dérive autoritaire ?
Les réactions sont contrastées. Si certains analystes voient dans cette décision un acte de souveraineté assumée, d’autres y lisent un signal préoccupant pour la liberté de la presse. La rédaction de France 24 et de RFI, dans leurs éditions du 10 et 11 mai 2025, ont relayé cette décision avec prudence, tout en mettant en avant des inquiétudes d’organisations internationales sur l’évolution de la liberté de la presse au Mali.
Cependant, les autorités maliennes répliquent que la liberté d’expression ne saurait servir de prétexte à la désinformation ni à la manipulation de l’opinion publique. Le gouvernement malien, à travers le porte-parole du ministère de la Communication, a déclaré que « la régulation des médias étrangers opérant sur le sol malien doit se faire selon les lois du pays et non les standards extérieurs imposés par les anciennes puissances coloniales ou leurs relais médiatiques ».
Une presse étrangère sous surveillance
Cette décision contre TV5-Monde survient dans un climat de reconfiguration profonde de l’environnement médiatique au Mali. Plusieurs médias occidentaux, dont RFI et France 24, avaient déjà été suspendus en 2022, accusés de diffuser de fausses informations portant atteinte à l’honneur de l’armée malienne. Depuis, les autorités maliennes ont renforcé le contrôle sur les médias étrangers, tout en encourageant la montée en puissance des médias nationaux.
Dans le même temps, les autorités travaillent à la réaffirmation d’un journalisme patriote, ancré dans les valeurs de souveraineté, de respect de l’État et de responsabilité sociale. Des organes de presse comme Bamada.net, Maliweb.net, ORTM et Journal du Mali sont désormais appelés à jouer un rôle central dans la couverture équilibrée de l’actualité nationale.
Conclusion : entre vigilance, souveraineté et exigence éthique
La suspension de TV5-Monde ne saurait être interprétée comme un geste isolé, mais plutôt comme l’expression d’une ligne politique claire en matière de régulation de l’information. Face à la persistance de discours jugés hostiles ou partiaux, les autorités maliennes entendent désormais faire respecter les lois nationales sans compromis.
Reste à savoir si cette position renforcera la confiance des citoyens dans les médias locaux et leur capacité à fournir une information complète, plurielle et responsable. D’un autre côté, il revient aussi aux médias internationaux de réinterroger leurs pratiques éditoriales, surtout lorsqu’ils couvrent des pays en pleine transition politique et sécuritaire.
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Fatoumata Bintou Y
Source: Bamada.net