Mal en point, la filière pensait trouver un ballon d’oxygène dans les contrats de performance. Mais c’est partie remise
Ce serait un truisme que de dire que l’économie nationale a lourdement pâti de la crise qui s’est déclenchée en 2012. Aujourd’hui, l’heure est à la relance. Mais l’entreprise s’annonce laborieuse et les menaces sécuritaires qui persistent malgré la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation ne sont pas de nature à accélérer le rythme de la reprise.
Parmi les secteurs qui peinent à se redresser, il y a l’industrie. Les mines, les manufactures, les textiles, les secteurs du bâtiment et des travaux publics, les petites et moyennes entreprises, les petites et moyennes industries, les industries alimentaires avaient été fortement fragilisées au début de la crise. Plusieurs des unités industrielles les plus importantes avaient été obligées de mettre au chômage technique des cohortes de salariés, lorsqu’elles ne s’étaient pas vu contraintes au licenciement d’une partie de leur personnel. Depuis, trois années se sont écoulées. Aujourd’hui, le secteur industriel redémarre tout doucement. Mais le paysage général n’est guère reluisant. Aujourd’hui, l’une des filières stratégiques de notre industrie, le secteur textile, se trouve au bord du gouffre.
Rappelons tout d’abord que dans notre pays la production industrielle est basée sur la transformation des productions agricoles (Industries agroalimentaires) mais fait aussi cohabiter les industries textiles, de tabac, chimique et pharmaceutique, du bâtiment et des travaux publics. Les plus fortes concentrations d’entreprises se trouvent dans les activités de fabrication (95%), notamment celle des produits alimentaires (62%). Leur contribution dans la richesse nationale représente entre 3,5% et 4% du PIB pour le secteur manufacturier et celle plus globale du secteur industriel oscille entre 10% et 11%. La valeur ajoutée du secteur industriel est passée de 283,4 milliards de FCFA en 2004 à 456,6 milliards de Fcfa en 2007, soit une variation annuelle de 20,38 %. Quant aux emplois permanents industriels, ils sont estimés à plus de 60.000 emplois.
DES EFFORTS MÉRITOIRES DE REVITALISATION. Dans notre pays, la filière textile est constituée de cinq grandes unités industrielles. Il s’agit de Maseda (spécialisé dans la fabrication de coton hydrophile, de serviettes hygiéniques, de coton tiges et de disques d’ouate), de Batexi (confection de pagnes et autres tissus imprimés), de Fitina S.A. (confection de fils et tissus naturels), de Comatex S.A. (Compagnie maliennes des textiles) et de la Sofacoh (coton brut et hydrophile). Ces entreprises traversent d’énormes difficultés dont la plus importante est certainement l’accès à la matière première (coton fibre). Malgré les actions entreprises pour le Gouvernement pour une relance effective de ce secteur stratégique, les unités textiles affichent un bilan qui se passe de commentaires. Sur les cinq entreprises citées, la Batexi et la Comatex tournent au ralenti. Maseda, Fitina et Sofacoh ont été obligés de mettre la clé sous la porte par manque de matière première.
Cet argument résonne étrangement dans un pays grand producteur de coton fibre comme le nôtre (plus de 500.000 tonnes par an) et qui s’est fixé comme objectif la transformation sur place de 20% de sa production à l’horizon 2020. Mais la réalité est là. Maseda et Fitina ont été obligés de mettre leurs travailleurs en chômage technique en attendant d’avoir la matière première pour reprendre la production. Leurs responsables totalement dépités disent préférer ne pas faire de commentaires. « Notre sort est dans les mains du gouvernement. C’est regrettable que nos usines possédant une excellente technologie et une main d’oeuvre qualifiée, avec des fortes commandes commerciales à l’extérieur comme l’intérieur, en soient réduites à la fermeture pour des difficultés d’accéder au coton», lance, dépité, un chef d’entreprise.
Depuis deux décennies, l’industrie textile dans notre pays essaie tant bien que mal de redécoller. Le chemin est cahoteux, puisque la filière a essuyé fermetures, licenciements et pertes de parts de marché. Mais elle a aussi fait des efforts méritoires de revitalisation et de modernisation. Malgré tous, les pagnes Comatex et Batexi ont encore du mal à s’imposer face aux importations massives de produits textiles « made in Asia »et de l’invasion de la friperie. Madesa, Fitina et Sofacoh, avaient pour leur part fait le pari de la diversification, mais elles n’ont pas remporté le challenge de l’approvisionnement. Pour trouver des solutions durables aux difficultés rencontrées par la filière, le gouvernement à travers un comité interministériel de suivi du cadre macroéconomique avait pris des mesures pertinentes en faveur de celle-ci en proposant notamment un contrat de performance les deux parties, Etat et entreprises. En 2010, les « Cinq », en raison de l’importance stratégique que leurs activités représentaient l’économie nationale, accédaient au bénéfice des dits contrats.
Pour l’administrateur général adjoint de Batexi, Alioune Badara Diawara, le problème aujourd’hui se situe au niveau de l’application scrupuleuse des engagements pris. « La situation que nous vivons aujourd’hui découle de la non application par le Gouvernement de certaines clauses du contrat de performance. Celui-ci stipulait que l’Etat devait nous fournir du coton fibre en qualité et en quantité suffisantes pour permettre à nos usines de tourner en plein régime et même de d’accroitre nos productions. Pour la première année des signatures du contrat, nous, entreprises textiles, devions payer 50% du prix fixé, 40% pour les deux années suivantes et 30% pour la dernière année. Mais depuis la signature des contrats l’Etat n’a rien fait. Les entreprises ont été obligés de s’endetter pour produire », rappelle l’industriel.
Parlant du cas de Batexi, il indiquera que son entreprise qui dispose d’une capacité de traitement de plus de 5000 tonnes de coton par an, n’a reçu pour le moment que 650 tonnes (soit moins de deux mois de production). « Le secteur textile a été frappé de plein fouet par la crise. La reprise annoncée à travers la politique de relance industrielle ne produira jamais les effets escomptés sans l’application stricte des contrats de performance. Car en plus du non respect par l’Etat de ses engagements, nous enregistrons la réticence des banques. Pour ces dernières, s’engager au côté des industries représente un financement à risques. Enfin la demande nationale est en récession constante, car le pouvoir d’achat des populations s’est fortement réduit du fait de la crise et il n’y a presque pas de vente au niveau des tissus », témoigne notre interlocuteur.
L’ÉMOI DES INDUSTRIELS. Pour le président de l’organisation patronale des industries, Cyril Achcar, la situation des industries textiles est à prendre très au sérieux aujourd’hui. Car elle peut annoncer la désindustrialisation progressive du pays. « Aujourd’hui, 76% de nos unités industrielles sont en activité et 24% sont liquidés ou à l’arrêt. Notre industrie a été fragilisée depuis que la crise économique sévit à la suite des événements de mars 2012 et la non application des engagements de l’Etat nous fragilise encore plus. Dire que l’un des plus grands producteurs du coton d’Afrique continue d’importer les pagnes, les T-shirts, les bazins ainsi que d’autres produits dérivés du coton, sans compter les centaines de milliards de Fcfa consacrés à l’économie d’autres pays à travers les importations de la friperie vestimentaire. Et que moins de 2% seulement de la production cotonnière sont transformé sur place. Cela est tout simplement insensé », a indiqué très remonté le patron des industriels maliens. Il ajoutera que l’accès difficile au coton fibre pour les usines textiles alors que le Mali est connu comme un grand producteur d’or blanc décourage les potentiels investisseurs qui nourrissaient le projet d’installation d’une usine de bazin au Mali.
Au département de l’Industrie, on comprend l’émoi des industriels, mais l’on se veut pourtant rassurant. Ici, l’on garantit que toutes les dispositions sont en train d’être prises pour honorer les engagements de l’Etat dans le cadre des contrats de performance. Les techniciens soulignent que les autorités se sont bien acquittées de certaines obligations. Mais l’octroi aux usines de la subvention sur les approvisionnements en coton a été confronté à un problème de formulation. L’Etat avait bien inscrit au budget national un fonds d’un milliard au titre de la subvention. Dans l’ordonnancement, l’utilisation dudit fond a été définie de manière trop générale. Il a été inscrit que le fonds servirait tout à la fois à soutenir les entreprises en difficulté, à financer les engagements de l’Etat dans le cadre des contrats de performance et enfin à liquider les droits des travailleurs licenciés des entreprises d’Etat. La direction du Budget aurait finalement utilisé les crédits disponibles à la prise en charge des travailleurs licenciés. Laissant les bénéficiaires de contrats de performance Gros Jean comme par devant.
Cependant, aujourd’hui, les ministres en charge de l’Industrie et des Finances sont entrain de prendre des dispositions urgentes en faveur des industries textiles. Le ballon d’oxygène serait le bienvenu pour une filière actuellement en pleine déprime. Mais celle-ci craint aussi de voir ses partenaires financiers l’enterrer définitivement en se détournant d’elle. Car inutile de se le dissimuler, l’aide de l’Etat est indispensable, mais elle ne constitue pas à elle seule la panacée.
D. DJIRÉ
source : L’ Essor