L’Essor : Depuis quelques semaines, les producteurs de coton multiplient des mouvements d’humeur. Quelles en sont concrètement les vraies raisons ?
Sanoussi Bouya Sylla : Depuis un certain temps, les gens essaient de gérer l’avenir des producteurs de coton sans eux. Un bureau est sorti des élections des cotonculteurs. Les résultats ont été contestés par Fédération régionale de Koutiala qui les a attaqués en justice.
Celle-ci a tranché. Mais les incompréhensions persistent. Nous avons l’impression que certains ne veulent pas que les cotonculteurs s’entendent. À mon initiative, une commission a été mise en place. Les protagonistes ont été entendus sur le fond du problème et les solutions à apporter ont été proposées pour mettre fin à la crise.
Ainsi, le bureau actuel a accepté de s’ouvrir au camp adverse : les membres du collectif aux niveaux national et régional. Les gens ont refusé cette offre. Ils réclament la nomination d’un administrateur judiciaire qui n’est ni un cotonculteur, ni un paysan pour gérer l’avenir des producteurs de coton.
L’Essor : Quelles peuvent être, selon vous, les conséquences de cette crise sur le secteur du coton ?
Sanoussi Bouya Sylla : Les conséquences seront catastrophiques. Cette crise risque de compromettre la campagne qui s’annonce. Les cotonculteurs n’ont pas encore livré leur coton à cause du retard pris pour faire l’appel d’offres relatif à l’achat de l’engrais. Chaque fois que le bureau actuel a voulu le lancer pour permettre d’acquérir de l’engrais moins cher, cela a été reporté par la CMDT qui refusait de donner les documents.
Ainsi, l’engrais qui coûtait 375.000 Fcfa la tonne à l’internationale pour l’amener à Bamako, est cédée aujourd’hui entre 525.000 à 575.000 Fcfa. C’est déjà une perte énorme. Les camions qui devaient amener l’engrais dans les zones de production pour ramener le coton à la CMDT, sont en train d’aller à vide pour prendre le coton et revenir.
Cela fait des charges inutiles pour la CMDT. Si une solution idoine et consensuelle n’est pas trouvée pour gérer cette affaire, la saison prochaine pourrait être compromise.
L’Essor : Qu’est-ce que l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (Apcam) a proposé ou propose pour endiguer cette crise qui prend des proportions inquiétantes ?
Sanoussi Bouya Sylla : L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali est la faîtière mère de toute les faîtières paysannes au Mali. Nous avons d’abord proposé de faire un bureau consensuel ouvert aux producteurs de coton de l’autre camp. Nous avons proposé ensuite l’annulation de la nomination du mandataire judiciaire.
Le problème des paysans ne se règle pas en justice. Nous sommes une famille. La justice laisse toujours des séquelles graves dans nos sociétés. C’est ce que nous voulons éviter. Le troisième point, c’est la gestion de l’appel d’offres. Depuis avril 2001, la situation a été tranchée par le gouvernement et les partenaires techniques et financiers. La CMDT doit se limiter exclusivement à son rôle de conseil, d’industrialisation et de commercialisation du coton.
Quant à la fourniture en intrants dans le système coton, la présidence revient exclusivement aux producteurs de coton. Ils veulent lancer un appel d’offres qui sera signé par un administrateur judiciaire qui n’est pas cotonculteur et contresigné par la CMDT qui n’est pas non plus producteur de coton. Cette machination ne nous engage pas.
L’Essor : La campagne agricole 2021-2022 tend vers la fin, les récoles ont débuté dans certaines localités. Les nouvelles en provenance des champs sont-elles bonnes ?
Sanoussi Bouya Sylla : Cette campagne s’apparente à une mauvaise année agricole. Sur le plan de la pluviométrie, il n’a pas plu sur une bonne partie de Mopti. Le fourrage n’est pas renouvelé à hauteur de souhait. Les marres sont déjà à sec. Les animaux n’ont ni d’herbes pour brouter ni d’eau pour s’abreuver.
Pour ce qui est des céréales dans la région de Ségou, certains cultivateurs n’ont pas cultivé à cause de l’insécurité. La pluviométrie n’a pas été abondante. Nous avons connu des périodes sèches allant de 25 à 30 jours dans certaines localités de Koulikoro. Beaucoup de céréales comme le maïs et autres souffrent de cette situation.
Le coton, lui, donne de l’espoir. Nous avons une très bonne production cette année. Nous tenons à la sauver pour permettre aux producteurs d’en tirer profit et sauver le pays.
L’Essor : L’État a-t-il respecté tous ses engagements en termes de subventions à accorder aux intrants ?
Sanoussi Bouya Sylla : L’État a pris une décision courageuse visant à libéraliser les subventions agricoles, en dehors du système coton. Mais à cause de la Covid-19, il est très difficile d’avoir de l’engrais. Les quantités d’engrais reçues n’ont pas été à la hauteur des attentes. On aurait pu faire beaucoup mieux. Nous espérons que les enseignements nécessaires en seront tirés. On aurait dû, à cause de la crise dans les Régions de Mopti et du Nord, concentrer tous les efforts sur les Régions de Ségou, Sikasso, Koulikoro… pour pouvoir produire afin de créer des excédents pour nourrir les zones en proie à l’insécurité.
L’Essor : Quelles sont les difficultés qui ont impacté cette année le déroulement normal de la campagne ?
Sanoussi Bouya Sylla : Ce sont les mêmes difficultés chaque année. Nous devons carrément renouveler notre système agricole. Cette innovation que nous voulons apporter à l’agriculture malienne doit porter sur quatre points essentiels. Le premier se rapporte au recensement et à l’enregistrement des exploitations agricoles familiales avec la géolocalisation, assortie d’une carte professionnelle agricole. Ce qui permettra de savoir qui est qui, qui produit quoi, où il le fait et comment l’aider : il a besoin de combien d’intrant pour produire plus.
Le deuxième point concerne le programme de coopérative d’utilisateurs de machines agricoles. Il faut mécaniser notre agriculture en dotant les agriculteurs (paysans, éleveurs, pécheurs, pisciculteurs, etc.) de matériels adaptés. Nous perdons par exemple près de 25% de nos productions au moment des récoltes à cause des moyens rudimentaires utilisés à l’occasion.
Le troisième volet porte sur les réformes institutionnelles. Nous devons faire en sorte que le paysan devient riche, un entrepreneur agricole. L’État qui est le plus grand acheteur de la République doit acheter directement aux coopératives de paysan 50% de ce qu’il consomme en termes de produits locaux.
C’est-à-dire 50% des dotations des Forces de défense et de sécurité, du stock de sécurité alimentaire doivent être achetés directement aux paysans. Ainsi, au lieu de vendre les 3/4 de leurs productions pour subvenir à leurs besoins, ils ne vendront que le 1/4. Ils pourront alors investir pour faire prospérer leurs affaires.
Le quatrième point a trait au partenariat public-privé. Nous produisons énormément de céréales qui profitent à beaucoup de pays limitrophes du Mali. Il faut que nous ayons les moyens d’acheter notre propre production pour la transformer, la valoriser et la commercialiser afin de la vendre sous le label Mali. Il s’agit-là de faire en sorte que l’enfant du paysan, même diplômé de l’université, ait envie de devenir paysan comme son père.
L’Essor : Outre le coton, les prévisions de production concernant les autres cultures pourraient-elles être atteintes ?
Sanoussi Bouya Sylla : J’attends encore la remontée de toutes les informations. Nous pourrons répondre avec précision à cette question dans un mois. Toutefois, j’appelle à l’union sacrée de tous les producteurs de coton autour de l’essentiel : l’intérêt des producteurs de coton. Nous voulons que tous les producteurs de coton soient unis pour défendre leurs droits acquis durant des décennies de combat. Nous n’accepterons plus que les choses qui nous concernent se fassent sans nous.
Propos recueillis par
Fadi CISSÉ
Source : L’ESSOR