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Saleh Kebzabo, opposant : « Idriss Deby n’est pas le président légitime du Tchad »

En visite privée à Bamako depuis le 24 août, le chef de file de l’opposition tchadienne, le député Saleh Kebzabo, conteste la réélection du président Idriss Deby le 10 avril 2016 en dénonçant un hold-up électoral. Dans l’entretien ci-dessous, il parle du Mali et de l’avenir politique de son pays, le Tchad.

Saleh Kebzabo chef opposition tchadienne undr

Votre parti est arrivé en deuxième position à la présidentielle tchadienne  du 10 avril, comment expliquez-vous cette performance ?  

Avant de vous présenter le parti, je tiens à rectifier que j’ai été victime d’un hold-up électoral. C’est moi qui ai gagné cette élection. Beaucoup de Tchadiens, étrangers  et Africains qui ont suivi les élections au Tchad le savent très bien. C’est mon parti qui est l’instrument qui m’a permis d’avoir ce bon résultat.

Notre parti, l’Union nationale pour le développement et le renouveau existe depuis maintenant 24 ans. C’est l’un des premiers partis de l’heure démocratique au Tchad avec le départ forcé d’Hissène Habré. C’est dans cette mouvance que notre parti a été créé en 1991-1992. Je n’en suis ni le fondateur ni le premier président.

D’ailleurs, l’un de nos slogans est que l’UNDR n’a pas de père fondateur ni guide éclairé. C’est l’un de nos camarades qui a été installé au début, à la création du parti. Et après un certain temps, il a volontairement, sans un problème quelconque,  demandé à être remplacé. C’est ainsi qu’un congrès du parti m’a désigné et depuis 1992-1993 je continue avec bonheur et réussite.

J’ai participé pour la troisième fois à l’élection présidentielle du 10 avril. Je suis arrivé troisième aux précédentes élections. Je viens vous expliquer les raisons qui m’ont fait venir à la 2e place aux élections de 2016. Et à chaque législature, nous avons toujours un nombre suffisant de députés pour constituer un groupe parlementaire par nous-mêmes. Lors des élections législatives prochaines, nous espérons accroitre les résultats pour avoir suffisamment de députés.

 

Vous dites que vous avez été victime d’un hold-up électoral ?

Depuis 2007, un accord politique a été signé par les acteurs politiques tchadiens et ont, entre autres, prescrit la biométrie. Mais ce n’est que l’année dernière qu’il y a eu le recensement biométrique. Lorsque vous avez la biométrie dans votre système électoral c’est toujours un plus pour aller vers la transparence et la démocratie. Mais, malheureusement notre biométrie a été domestiquée dès sa mise en place.

Il y a deux kits essentiels dans la biométrie. Il y a le premier kit qui vous permet de récupérer votre carte d’électeur. Ce kit-là, le président Deby a bataillé dur pour le refuser, au niveau de la CENI ça été avalisé. Le deuxième kit est dans le bureau de vote. Vous venez avec votre carte d’électeur, vous entrez dans votre bureau de vote, vous vous présentez devant le président du bureau de vote avec votre carte qu’il introduit dans le kit. Vous posez votre doigt et le kit vous reconnait en tant que détenteur de la carte et il vous dit que c’est bien ici votre bureau de vote. Ce kit-là a été aussi refusé. Vous voyez bien dès lors que deux kits essentiels de reconnaissance de l’électeur n’ont pas été admis dans le jeu politique, ça veut dire que nous revenons à la case départ. C’est pratiquement la même fraude par le vote multiple qui a toujours caractérisé nos élections, notamment celle du 10 avril.

Vu tout cela, beaucoup nous ont demandé pourquoi nous acceptons d’aller aux élections. J’ai dit lors de la campagne que même sans carte d’électeur nous irons à cette élection. Parce qu’on a fait un travail en profondeur dans le pays. J’ai fait trois précampagnes depuis l’année dernière avant la campagne de cette année. La sensibilisation, l’information, la mobilisation ont été telles que nous pouvons aller à cette élection sans risque de la perdre. Et cette élection était l’élection des jeunes qui représentent les 2/3 de l’électorat tchadien.

J’ai battu campagne auprès d’eux pour les sensibiliser à s’inscrire, retirer leur carte. Pour le reste, je les ai laissés devant leur responsabilité en leur disant que le prochain président tchadien peut être un âne ou un singe c’est vous qui l’auraient choisi. Et voilà qu’ils ont assumé leur responsabilité. Ils se sont organisés pour faire en sorte qu’on ne vote pas Idriss Deby. Et effectivement, c’est ce qui s’est passé. Deby n’a pas été voté par les Tchadiens. Au moins 80 % n’ont pas voté pour lui. Pour la plupart ils ont été votés pour moi, et d’autres candidats.

Nous avons publié notre propre résultat. Au moment où je vous parle, je n’ai pas eu contestation de nos chiffres par quelqu’un de la majorité présidentielle, ni par le parti au pouvoir et ni par Deby lui-même. Personne n’a jamais contesté les chiffres que nous avons publiés. Nous avons fait le décompte pour démontrer tout simplement que d’après les chiffres dont nous disposons personne ne pouvait gagner cette élection au premier tour contrairement à ce que Deby a manigancé comme un coup d’Etat électoral. Il a pu le faire avec la mobilisation de toutes ses capacités, de toutes ces potentialités dans le Nord du pays, au-delà de Ndjamena, avec des opérations frauduleuses.

Tous nos représentants ont été chassés des bureaux, les bulletins de vote n’étaient pas distribués dans tous les bureaux, les urnes par dizaine ont été enlevées en fin de journée. C’est la fraude classique qu’il a fait. Mais le coup électoral en lui-même c’est quoi ? D’abord la Céni était aux ordres. Elle a concocté les résultats qui n’en sont pas. Et à la fin de l’annonce des résultats provisoires le soir du 21 avril, c’était le déclenchement de tirs d’armes automatiques et lourdes dans Ndjamena et dans tout le reste du pays. On a tiré pendant toute la nuit. C’était pour intimider la population, parce qu’il savait qu’on allait descendre dans la rue pour refuser ce résultat. Deby n’a pu avoir 62 % comme la Céni l’a dit ni 59 % comme décidé par la Cour constitutionnelle.

 

En Afrique quand les élections sont truquées, les gens appellent à la violence, quels sont les moyens de recours que vous êtes en train d’utiliser pour avoir gain de cause ?

Je voudrais dire que la situation des élections en Afrique, surtout francophone est une situation déplorable. Et ça veut dire que les pays francophone n’avanceront jamais parce que sans la démocratie aucun pays ne peut faire de progrès. Voilà ce à quoi nous sommes condamnés et pourquoi ça se passe toujours dans nos pays ? C’est parce que si on voit notre histoire plus ancienne sous la colonisation et même récente depuis nos indépendances, nous avons des pouvoirs qui n’ont pas su s’adapter à la démocratie et des pouvoirs souvent incultes ou en tout cas qui n’ont pas bien assimilé la leçon démocratique. Ce qui fait que c’est des pouvoirs souvent patrimoniaux, c’est des gestions patrimoniales qui ont peur du changement. Dès lors que vous avez passé votre temps à voler, à piller et à tuer, vous êtes obligés de vous accrocher au pouvoir indéfiniment pour ne pas tomber dans les corrections qui peuvent intervenir. Voilà ce qui se passe aujourd’hui au Gabon par exemple. Les gabonais mêmes s’ils ne voulaient pas sanctionner la gestion d’Ali Bongo, eux ils sanctionnent la dynastie Bongo, parce que depuis 1967 c’est la famille Bongo qui est au pouvoir, 50 ans je pense que c’est suffisant.

Au Tchad, 26 ans de pouvoir pour Deby, nous pensons que c’est suffisant, et c’est la leçon que les Tchadiens lui ont infligée le 10 avril pour ne pas voter pour lui et il sait très bien qu’on n’a pas voté pour lui. Donc je pense qu’en Afrique francophone, comme je le disais tout à l’heure, tout est fait à l’image du président de la République. Dès que le président est élu il lance les élections législatives pour contrôler l’Assemblée nationale, il met en place les autres institutions à son image, notamment les institutions judiciaires, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, etc.

Dans le cas du Tchad, la Cour constitutionnelle, qui a confirmé et validé les résultats, est pratiquement constituée des membres du parti au pouvoir. Le président de la Cour constitutionnelle a été Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, secrétaire général de la présidence, chef de cabinet, directeur de campagne ainsi de suite. Qu’est-ce que vous voulez attendre de lui? Voilà un peu la situation que nous vivons.

 

Comment se porte l’opposition tchadienne et quel est votre rapport avec les autres chefs de file de l’opposition africaine, notamment Soumaïla Cissé au Mali ?

J’aimerais commencer avec les chefs de file de l’opposition en Afrique. On peut avoir des contacts comme j’en avais eu à l’époque avec Me Sankara au Burkina Faso qui était chef de file de l’opposition et puis plus récemment avec Diabré qui lui a succédé et qui est toujours le chef de file de l’opposition. Aussi on peut avoir des relations personnelles avec des chefs de file comme je l’ai avec mon frère et ami Soumaïla Cissé que je rencontre en Afrique du Sud au Parlement panafricain auquel nous appartenons tous les deux. Tout cela crée des relations de rapprochement entre les individus mais peut-être pas entre les institutions.

Mon parti appartient  à l’International socialiste. Nous avons un certain nombre d’amis qui sont au pouvoir avec qui nous avons des relations privilégiés, notamment avec le RPM, avec l’Adéma, qui sont tous les deux membres de l’International socialiste. Ce sont nos amis de première ligne au Mali. Mais cela ne nous ferme pas la porte d’avoir des relations avec d’autres partis notamment de l’opposition comme le cas de Soumaïla Cissé. Au Tchad, l’opposition existe et elle se porte bien.

 

Quels sont vos projets  pour votre pays ?

Le projet le plus important je pense c’est celui qui concerne la démocratie. Ce problème n’est pas seulement tchadien, c’est un problème africain et il faut qu’en Afrique on fasse sauter le verrou qui plombe l’évolution de nos pays en ouvrant la voie vraiment à la démocratie.

Je suis un démocrate invétéré et je vais continuer dans cette voie en faisant en sorte que l’éducation, l’information, la sensibilisation, des valeurs démocratiques soient notre premier credo. Si on doit prendre le pouvoir demain, on fera en sorte que le Tchad soit réellement un pays démocratique. Les valeurs démocratiques doivent être enracinées dans notre culture politique.

Propos recueillis par Maliki Diallo

Source :l’indicateur du renouveau

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