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Sahel. Impasse du dialogue entre la France et l’Algérie –

Un coup pour rien. La visite éclair du président Emmanuel Macron le 6 décembre à Alger n’a pas débloqué le désaccord sur la guerre au Mali. Au centre du différend, les cinq armées du G5 Sahel porté par Paris et qu’Alger voudrait voir revenir sous la coupe de l’Union africaine, dont la France ne fait pas partie.


Qu’est allé faire Emmanuel Macron le 6 décembre dernier à Alger ? Quel était le motif de cette visite éclair qui ressemblait plus à une escale précipitée sur la route de Doha, où l’attendait dès le lendemain une attrayante corbeille de onze milliards d’euros de commandes princières, qu’à un moment « de travail et d’amitié » dans la capitale algérienne ? Rien sur le plan politique, économique ou symbolique ne l’exigeait, aucune annonce spectaculaire ne le justifiait. La partie économique abandonnée aux deux premiers ministres, qui se sont vus à Paris le lendemain matin, était pour le moins modeste : sur onze accords signés, trois étaient des reconductions d’accords passés entre grandes écoles et les autres des confirmations de promesses connues.

Au plan politique, le mutisme est de mise et la France officielle s’interdit toute préférence publique dans la bataille des prétendants à la succession du président Abdelaziz Bouteflika prévue en avril 2019, a fortiori d’en faire le motif d’un voyage express. Enfin, au titre du « travail mémoriel », le bilan est plutôt maigre : la restitution à venir de 6 ou 7 crânes de résistants à la conquête de l’Algérie, morts il y a presque deux siècles, et le renouvellement d’une promesse faite par Fleur Pellerin, ministre de la culture, en 2012, d’autoriser la partie algérienne à copier les archives encore détenues par la France.

UNE COOPÉRATION MILITAIRE EN PANNE

Alors quoi ? Dans son message du 14 juillet 2017 à Abdelaziz Bouteflika, Emmanuel Macron s’est dit prêt à se rendre en Algérie, « au moment qui vous conviendra ». En l’absence de réaction de la part d’Alger, c’est au Maroc qu’il a effectué sa première visite au Maghreb, contrairement à l’usage qui veut que priorité soit donnée à l’Algérie. Entre temps, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a rencontré en moyenne tous les deux mois son collègue algérien Abdelkader Messahel. À l’ordre du jour : la sécurité, un mot qui recouvre dans l’esprit des responsables français à la fois la lutte contre le terrorisme djihadiste, le contrôle des migrants africains, l’impasse politique permanente en Libye et enfin, la situation au Sahel. C’est sur ce dernier sujet qu’il y a urgence pour le nouveau président français.

De l’autre côté de la frontière algérienne, l’opération française Barkhane, lancée en août 2014 après l’opération Serval de 2013 est menée dans cinq pays (Tchad, Niger, Mali, Mauritanie, Burkina Faso) de la bande sahélo-saharienne, une zone vaste comme l’Europe. C’est actuellement la plus importante opération extérieure des troupes françaises, la plus risquée aussi pour ses finances, sa réputation et son armée. La France y a déployé plus de 4 000 militaires, dont la majorité au Mali, essentiellement à Gao (1 700 militaires), avec deux bases à Kidal et à Tessalit (nord-est) à 120 kilomètres de la frontière algérienne.

Le 19 mai 2017, moins d’une semaine après son entrée à l’Élysée, Emmanuel Macron s’était rendu en urgence à Gao pour demander aux pays de la région de participer au combat commun. Il a été clair quant aux limites de « la région » telle qu’il la voit : « Moi, ce que je veux, c’est une exigence sans doute renforcée à l’égard des États du Sahel et de l’Algérie, pour que tout ce qui est inscrit dans les accords d’Alger soit appliqué et pour que la responsabilité de tous et toutes soit prise ». La veille de son voyage à Alger, il réaffirme à El Watan (6 décembre) : « J’attends une coopération totale de tous ceux qui partagent l’objectif d’une paix durable au Mali ».

Signé en mai-juin 2015, l’accord « issu du processus d’Alger » entre la République du Mali et la coordination des mouvements de l’Azawad, une alliance brinquebalante de groupes touaregs et arabes, n’est pas vraiment appliqué deux ans et demi après. Ce qui devait être un traité de paix se résume en fait à un fragile accord de cessez-le-feu remis en cause périodiquement par des combats meurtriers à Kidal, Menaka et Gao, des embuscades contre les soldats de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).

LA PÉTAUDIÈRE MALIENNE

Le 12 novembre, Le Drian rencontre à Alger son homologue et tente d’obtenir une implication plus active des autorités algériennes au Sahel. En vain. Coup de sang du président de la République qui à, Tourcoing, répond tout de go à la question d’un passant et annonce sa prochaine visite à Alger le 6 décembre. Algérie presse service (APS), l’agence officielle algérienne, prise de court, la confirme peu après. Il ira donc en discuter de vive voix avec les supérieurs de Messahel. Visiblement, Macron juge que les dirigeants algériens ne font pas ce qu’ils devraient en tant que garant d’accords signés dans leur capitale. Le ministre algérien tempère en énumérant devant ses interlocuteurs français des « points positifs », comme la mise en place de patrouilles mixtes entre les forces armées maliennes (FAM) et certains groupes de la coordination ou l’installation d’autorités intérimaires, mais il admet qu’il reste encore du travail.

D’autant que la situation sur le terrain empire. Début octobre, quatre soldats des forces spéciales américaines trouvent la mort au Niger. Le 24 octobre, le chef d’état-major américain, le général Joe Dunford révèle que, selon ses services de renseignement, l’organisation de l’État islamique (OEI), étrillé en Syrie et en Irak, se replie sur l’Afrique de l’Ouest où le Pentagone va envoyer des renforts. Le même jour, un raid français dans la région d’Abeïbara à l’extrême nord du Mali anéantit quinze rebelles d’Ansar dine et suscite une polémique à Bamako en pleine campagne électorale. Les Français sont accusés d’avoir tué au passage onze soldats maliens détenus sur place.

Au Mali, c’est la pétaudière. Au moins cinq armées de valeur opérationnelle inégale se battent côte à côte — mais pas forcément ensemble — pour la « sécurité » du pays : les Français de Barkhane, les forces spéciales américaines, la Minusma des Nations unies, le G5 Sahel qui coordonne depuis 2014 les forces armées des cinq pays de la bande sahélo-saharienne, et les Maliens. L’ennemi est insaisissable, les groupes armés touaregs, arabes, peuls se multiplient, sans parler du djihadisme et du banditisme qui se développe. Ici un préfet est blessé, là une ville est occupée une demi-journée, cinq employés des télécoms assassinés le samedi 9 décembre, à peine trois jours après la visite de Macron à Alger. Bref, le « pourrissement » du Sahel, pour reprendre une expression de l’état-major employée durant la première guerre d’Indochine (1947-54), est en cours.

SOUS L’ÉGIDE DE L’UNION AFRICAINE ?

D’où l’importance de mettre de nouvelles forces dans la balance. L’Armée nationale populaire (ANP) algérienne, forte de ses 400 000 hommes, de son armement lourd venu pour l’essentiel de Russie et de sa proximité est une candidate toute trouvée. Sauf qu’aux yeux de l’Élysée, elle ergote. « L’Algérie, acteur régional majeur, va plus loin et conditionne son soutien au G5 à l’intégration de celui-ci dans le processus de Nouakchott qu’elle considère comme plus légitime, car initié par l’Union africaine. Comme à son habitude, ce pays observe d’un œil inquiet cette initiative soutenue par la France… », peut-on lire dans le dernier rapport de l’International Crisis Group écrit avant la visite du président français à Alger. La rencontre de ce dernier avec le général-major Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la défense et chef d’état-major de l’ANP — une première dans les relations franco-algériennes depuis au moins un quart de siècle — n’a visiblement rien changé. « L’Algérie déploie des efforts considérables pour la sécurisation (de la région) du Sahel », mais l’Algérie a des « barrières constitutionnelles » qui l’empêchent d’intervenir militairement au-delà de ses frontières, confie le premier ministre algérien Ahmed Ouyahia (Le Quotidien d’Oran, 9 décembre) devant ses compatriotes réunis à l’ambassade.

L’Algérie est absente de la réunion de neuf délégations dont celle de l’Allemagne et l’Italie, tenue au château de La Celle Saint Cloud le 13 décembre 2017 pour financer le G5 Sahel, malgré les pressions élyséennes et l’absence d’interdit constitutionnel. Les Africains réclament 423 millions d’euros quand jusqu’ici seulement 108 millions ont été réunis, cependant l’Arabie saoudite a promis 100 millions de dollars et les Émirats Arabes Unis 30 millions. De son côté, le 30 octobre, Washington a promis 60 millions de dollars, pourtant, au total, on reste loin du compte.

À l’évidence, Emmanuel Macron n’a pas fait mieux que son ministre des affaires étrangères. Le dialogue franco-algérien est dans l’impasse. Alger refuse de bouger tant que le G5 Sahel ne sera pas placé sous l’égide de l’Union africaine — dont la France ne fait pas partie — via son intégration au processus de Nouakchott. Paris attend toujours de son partenaire des hommes pour sécuriser la frontière algéro-malienne — une passoire selon Paris — et de l’argent. Les diplomates ont à peine deux mois pour reprendre l’ouvrage : la prochaine visite d’État du président français en Algérie est « promise » pour le mois de février 2018.

JEAN-PIERRE SÉRÉNI

Sourceorientxxi.info

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