Il vient régulièrement au stade, notamment lors des matches de la sélection nationale, mais depuis la fin de la CAN 2002, personne n’a entendu Sory Ibrahima Makanguilé. Dans cette interview exclusive, celui qui a présidé aux destinées du Comité d’organisation de la CAN revient sur l’événement et raconte tout.
Des révélations qui vont vous surprendre
Nous sommes le samedi 6 juin 1998 : alors que les spéculations allaient bon train sur le nom du président du Comité d’organisation de la CAN 2002 (COCAN), le président de la République, Alpha Oumar Konaré prend tout le monde à contre-pied, en nommant un conseil fiscal, Sory Ibrahima Makanguilé à la tête du comité qui allait avoir la lourde charge d’organiser la CAN 2002, confiée, en janvier de la même année à notre pays, par la Confédération africaine de football (CAF), à l’issue d’un vote mémorable à Ouagadougou (Burkina Faso) face à l’égypte et à l’Algérie.
Un conseil fiscal pour diriger un COCAN, c’était une première sur le continent où jusque-là, les pays organisateurs choisissaient pour la plupart, d’anciens ministres de sports ou de dirigeants sportifs. Personne ne s’attendait donc à voir un conseil fiscal à la tête du COCAN, y compris Sory Ibrahima Makanguilé lui-même. «Très honnêtement, je ne m’attendais pas à cette nomination et jusqu’à ce jour, je ne connais pas le nom de la personne qui m’a recommandé au président», assure Sory Ibrahima Makanguilé. «Quand la CAF a confié l’organisation de la CAN 2002 au Mali, le président Alpha-que je connaissais pour avoir participé avec d’autres camarades à l’élaboration de son programme économique lors de la présidentielle de 1992-m’a demandé de lui faire une note technique sur cet événement et le profil du président du COCAN.
J’ai fait la note technique et quelques jours plus tard, il m’a appelé pour me dire que ce profil correspond au mien. Je pensais qu’il plaisantait. Après deux rencontres sur le sujet le président Konaré conviait à un buffet à Koulouba l’ensemble du monde sportif (ministère des Sports, du Comité national olympique et sportif et certaines associations sportives-fédérations) pour leur informer que le Mali allait organiser la CAN 2002. C’est à la suite de cette rencontre que le président Konaré a pris sa décision» raconte Sory Ibrahima Makanguilé.
Tout est parti de là et à partir du 6 juin 1998, date de sa nomination par décret présidentiel, Sory Ibrahima Makanguilé devient l’un des hommes les plus sollicités et les plus importants du Mali. Âgé alors de 40 ans, marié et père de 4 enfants, le conseil fiscal découvre son nouveau statut 48h plus tard (8 juin 1998) lorsqu’il se retrouve pour la première fois face à la presse. D’entrée de jeu, le nouveau président du COCAN affiche sa détermination et fait parler sa fibre patriotique.
«Je pense que dès l’instant où un homme travaille dans son pays, il doit être prêt à relever tous les défis. Je ne considère pas l’organisation de la CAN 2002 comme une simple affaire de sport mais plutôt comme une affaire de développement de mon pays. Il n’y a aucune raison que notre pays échoue là où d’autres ont réussi », martèle-t-il, avant d’évoquer sa feuille de route, notamment la mise en place de son bureau (voir ci-dessous l’article de S. B. TOUNKARA). «Pour la formation du comité, Alpha m’a dit que la présidence ne donnera aucun nom, mais qu’elle se réserve le droit de faire une enquête de moralité sur toutes les personnes appelées à être membres du comité. Nous nous sommes mis d’accord sur ça et c’est ainsi que le comité a été constitué», révèle Sory Ibrahima Makanguilé, en précisant la liste a été modifiée deux fois, après l’enquête de moralité menée par la présidence de la République.
PREMIÈRE RENCONTRE, PREMIÈRE DÉCEPTION-Aussitôt le comité constitué, le président du COCAN se rend en France pour rencontrer Michel Platini, président du Comité français d’organisation (CFO) de la Coupe du monde, France 98. Cette initiative avait pour but de prendre conseil auprès de l’ancien international français, mais la rencontre avec ce dernier tourne au vinaigre pour le premier responsable du COCAN. «Ma rencontre avec Platini n’a duré que deux petites minutes, il m’a clairement dit que le Mali ne pouvait pas organiser un événement comme la CAN, avant de demander à son secrétaire général, Jérôme Champagne de s’occuper de moi. J’étais très déçu », raconte Sory Ibrahima Makanguilé qui se rabat alors sur le secrétaire général du CFO. Jérôme Champagne donne quelques conseils à son interlocuteur et lui remet des documents.
Le chantier du nouveau format de la CAN est gigantesque : le nombre de pays qualifiés à la phase finale est passée de 12 à 16 sélections et la CAF exige la construction de quatre sites différents pour abriter les matches et de terrains d’entraînement dans chaque ville. Ce n’est pas tout, il fallait palier à l’insuffisance de lit des infrastructures hôtelières du Mali par un vaste programme de construction de nouveaux hôtels, des villages CAN.
Quant aux infrastructures sanitaires elles furent quasiment toutes boostées pour les principales. « Sur proposition du COCAN, le Mali a décidé de faire de la CAN un projet de développement pour tout le pays. Pour ce faire, il fallait mobiliser 164 milliards de FCfa. Pour nombre de personnes, c’était irréalisable, surtout que les travaux devaient être effectués par des entreprises privées.
Nous avons mené des réflexions et c’est le ministre Soumaïla Cissé (ministère du Transport et des Travaux publics, ndlr) qui nous a permis de trouver la solution avec ce qu’on appelle les queues de budget (argent non utilisé par les départements ministériels qui s’échelonnait à l’époque entre 9 à 11 milliards de Fcfa par an). C’est Soumaïla Cissé qui a eu cette idée géniale et le président Alpha a tout de suite donner des instructions au ministre de l’économie et des Finances» (Bakary Konéndlr), révèle Sory Ibrahima Makanguilé.
Outre feu Soumaïla Cissé (l’ancien chef de file de l’opposition, ancien député et plusieurs fois ministre est décédé le 25 décembre 2020, ndlr), deux autre personnalités ont joué un rôle crucial dans la réussite de la CAN 2002. Il s’agit, du Premier ministre IBK qui a su mobiliser tout le gouvernement et doter le COCAN d’un budget de fonctionnement adéquat. Et une personnalité étrangère au Mali est arrivée comme un messie dans l’organisation de la CAN 2002 souligne le président du COCAN, c’est l’ancien chef d’état sud-africain Thabo Mbeki. «Il (Thabo Mbeki, ndlr) nous a invités en Afrique du Sud et quand nous sommes arrivés avec le ministre de la Jeunesse et des Sports (Ousmane Issouffi Maiga, ndlr), le ministre des transport (Mme Touré Alimata) et notre équipe technique il nous a dit que son pays a décidé de mettre à la disposition du Mali et de façon gratuite, tout ce dont le COCAN avait besoin pour la réussite de la CAN.
Non seulement Thabo Mbeki a mis un avion (un Embraoer Bi-réacteurs, ndlr) à la disposition du Mali pour assurer le transport, mais son pays a également pris en charge le volet montée des images et retransmission des matches à partir de satellites. Je n’oublierai jamais ce geste de solidarité de l’Afrique du Sud », témoigne Sory Ibrahima Makanguilé. Selon notre interlocuteur la nation Arc-en-ciel avait également décidé d’offrir 100 véhicules au COCAN, mais ce projet n’a pu aboutir, « à cause d’un petit problème avec la société française qui devait fournir les véhicules en question».
30 VOYAGES EN GUINÉE-ÉQUATORIALE-Le conseil fiscal a-t-il encore des souvenirs de la CAN 2002 ? « Plusieurs, répond Sory Ibrahima Makanguilé, des bons qui m’ont marqué à jamais et des mauvais ». « Ma plus grande satisfaction pour ne pas dire, ma fierté est qu’après la CAN, le président Alpha Oumar Konaré et le Premier ministre Mandé Sidibé ont reçu le bureau du COCAN au palais de Koulouba pour nous transmettre ce message de la CAF : La CAF nous a dit que la CAN 2002 au Mali est l’une des meilleures CANde toute l’histoire de la compétition. Ensuite, le chef de l’état a décoré l’ensemble des membres du COCAN ».
Le deuxième meilleur souvenir du conseil fiscal, c’est le but égalisateur de Seydou Keïta «Seydoublen», contre le Liberia de Georges Weah, en ouverture de la CAN. «Ce but, je ne l’oublierai jamais parce qu’il a été déterminant dans le parcours du Mali» (quatrième de la CAN, après avoir été éliminé en demi-finale par le Cameroun, futur vainqueur du tournoi, ndlr), explique-t-il.
Les troisième et quatrièmes meilleurs souvenirs de Sory Ibrahima Makanguilé peuvent être considérés comme des faits divers qui se sont produits pendant et après la CAN. Le premier concerne la sélection sénégalaise qui a invité le maire de la Commune V au Sénégal et à la Coupe du monde, Japon-Corée du Sud, pour avoir été leur Jatigi, alors que le deuxième s’est produit avec la délégation camerounaise que le COCAN a logée dans une clinique pendant une nuit, faute de places dans les hôtels.
«L’encadrement technique de l’équipe du Cameroun a passé toute la nuit à fêter et était très content du travail effectué par le COCAN et de l’hospitalité de notre pays. Ils ont logé dans une clinique médicale faute de lit libre dans les hôtels. Quand nous sommes passés les voir la nuit à la clinique, ils étaient très heureux », confie le président du COCAN.
Le succès de la CAN 2002 a traversé les frontières du Mali et même d’Afrique. Ainsi, le concept du Jatigiya, une idée lancée par le Mali lors de la CAN 2002 pour permettre à toutes les équipes d’avoir des supporters locaux pendant leurs matches, même lorsqu’elles affrontaient les Aigles, va avoir des échos à la Coupe du monde co-organisée quelques mois plus tard par le Japon et la Corée du Sud. Et quatre deux années après la CAN au Mali plus tard (2012), le président du COCAN, Sory Ibrahima Makanguilé sera sollicité par le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema pour prêter main forte à son pays dans la réalisation d’infrastructures sportives .
«J’ai fait 30 voyages en Guinée-équatoriale et à chaque voyage, j’ai été reçu par le président Obiang. Il répétait chaque fois avoir été émerveillé par ce que le Mali a fait et m’a accordé toute sa confiance pour apporter mon expertise d’abord quand la Gabon et la Guinée équatoriale ont co-organisé la CAN et ensuite quand son pays a seul pris la responsabilité de sauver la CAF de plusieurs défections de pays promus pour l’organisation.
Ça aussi, je ne l’oublierai jamais », souligne le président du COCAN. Mais Sory Ibrahima Makanguilé n’a pas que de bons souvenirs, il peine encore à digérer le fait d’avoir perdu un compagnon de route, Modibo Traoré dit Zoba avant même le début de la CAN, l’élimination des Aigles en demi-finale et l’hostilité de certaines personnes qui ont tout fait pour mettre les bâtons dans les roues de l’équipe du COCAN et empêcher son bon fonctionnement. «Il fallait être fort mentalement pour résister, je pense que toute l’équipe a joué sa partition pour la réussite de l’événement», estime aujourd’hui le conseil fiscal. «Ma sincère gratitude au président Konaré pour avoir fait confiance aux Maliens et avoir porté le projet Mali 2002», complète-t-il.
Si depuis la fin de la CAN 2002, Sory Ibrahima Makanguilé se fait discret dans le monde du sport, il ne rate pourtant aucun match des Aigles. «Je viens au stade à chaque fois que la sélection nationale joue et la Fédération malienne de football me réserve toujours une place dans la loge officielle», confie le conseil fiscal qui répète à l’envie à ses cinq petits enfants que la CAN 2002 a été une belle histoire pour lui, l’équipe du COCAN et le Mali tout entier.
Souleymane Bobo TOUNKARA
Source : L’ESSOR