La rubrique “Que sont-ils devenus ?” est en deuil. Sadia Cissé, ancien international du Djoliba AC a tiré sa révérence le jeudi 18 mai 2023 en France où il résidait depuis quelques années. C’est en 2019 que nous le rencontrions pour parler de sa carrière. Nous avions eu des échanges francs avec ce monument du football malien. Le Djoliba et l’équipe nationale étaient au centre de cet entretien. Ce jour-là, l’homme nous a révélé beaucoup de choses.
A sa famille durement éprouvée et à l’ensemble du monde sportif, nous adressons nos condoléances les plus attristées. Sadia Cissé appartenait à tous, à cause de son humilité. Que la terre lui soit légère ! Cela nous conduit à l’article qui a marqué son passage dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
En décembre 1981 Papa Haïdara écrivait lors de la dédicace du livret du jubilé de Sadia Cissé, “qu’il est un joueur appliqué. C’est celui qui a fait de la simplicité un élément fondamental de son esprit de jeu. Bon vainqueur, il a toujours accueilli la victoire avec modestie. Bon perdant, il a accepté la défaite avec bonne grâce. Sadia Cissé s’est forgé une réputation de celui qui veut toujours bien faire et mieux faire. Il a banni de son esprit toute idée contraire à l’esprit d’équipe. Il ne s’est jamais efforcé de plaire à la galerie par des gestes spectaculaires. Il a toujours maîtrisé son humeur quel que soit l’enjeu du match ou la situation du moment. Sa disponibilité à servir son équipe a toujours été totale. Sérieux dans tout ce qu’il fait, Sadia Cissé est devenu un modèle pour les jeunes générations de footballeurs. Avec son départ, disparait tout un monument du football malien. Le courage, le travail, la disponibilité et le dévouement sont autant de vertus que les jeunes doivent cultiver pour que l’exemple de Sadia Cissé fasse tache d’huile dans le domaine du football”. A l’époque sur les bancs du premier cycle, notre niveau intellectuel et notre degré de compréhension ne nous permettaient pas de lire entre les lignes pour bien comprendre ces phrases concises et simples. Aujourd’hui, on comprend bien que ces mots de Papa Haïdara sont dépourvus de toute complaisance. En rencontrant Sadia Cissé dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, les mots justes nous manquaient pour parler de ce joueur emblématique du Djoliba AC. L’exercice de fouille aux termes duquel nous avons pu retrouver dans nos archives le livret de son jubilé a déblayé notre esprit pour tenter d’écrire quelque chose de potable. Après un tel commentaire qu’est-ce qu’il fallait de plus dire sur Sadia Cissé ? Au risque de “tirer à côté”, nous retenons qu’il incarnait la sagesse. Même ses adversaires sur le terrain le faisaient intervenir quand ils se méprisaient entre eux. Malgré ce bonus de confiance réelle, Sadia Cissé arrête et organise son jubilé en décembre 1981. Un grand événement auquel ont pris part des vedettes de l’époque comme Salif Kéita dit Domingo, Cheick Fantamady Diallo, Moussa Traoré “Gigla”, Ousmane Diallo “Petit Sory”, Moussa Kanfédeny, le Guinéen Moussa Camara, l’Ivoirien Miezan Pascal, le Sénégalais Boubacar Sarr “Locotte”, le Camerounais Paul Bahoken et autres. La rubrique “Que sont-ils devenus ?” a rencontré Sadia Cissé à son domicile pour parler de l’homme dans toute sa plénitude. Il garde toujours sa sagesse, à travers son calme olympien. Quel a été son parcours au Djoliba ? En équipe nationale ? Quelle explication donne-t-il aux différentes crises qui secouent les fédérations ? A-t-il étudié parallèlement au football ? Flash-back sur l’ancien capitaine du Djoliba AC.
Notre entretien avec Sadia Cissé s’est déroulé le jeudi 29 août 2019. Jour doublement historique pour le sport malien avec l’élection sans heurt à Bamako de Mamoutou Touré dit Bavieux à la tête de la Fédération malienne de football et le plébiscite en Chine de notre compatriote l’ancien ministre Hamane Niang à la présidence de Fiba-Monde.
Avant Michel Platini
Avec ces deux bonnes nouvelles, nous étions suffisamment requinqués pour affronter Sadia Cissé, monument du football malien, qui n’a connu que le milieu du football. Pour preuve, après sa retraite en 1981, Sadia s’est converti administrateur de football, pour avoir été président de la Commission technique et des jeunes de la Fémafoot (1982-1985), puis trésorier général. De 1995 à 2002, il occupera pour la deuxième fois le poste de président de la CTJ. Il est nommé manager général des équipes nationales du Mali de 2002 à 2013. Enfin, il fut conseiller du président de la Fémafoot, Boubacar Baba Diarra de 2014 à 2017. Au bout du mandat de Baba, il est parti en France, mais suivait de très près l’actualité du football malien, notamment la grave crise qui le secouait. C’est pourquoi, nous avons insisté afin qu’il donne son avis sur l’origine des crises au sein des fédérations.
L’ancien international du Djoliba soutient que le football génère présentement beaucoup de ressources financières : les uns viennent uniquement pour s’enrichir, au même moment, d’autres servent la discipline. Selon lui, l’esprit de vengeance et la haine gratuite ont pris le dessus sur le bon sens, qui aboutit au développement du football.
Nous nous rappelons encore des buts splendides que Sadia Cissé marquait sur coup franc. On ne saurait parler de hasard, parce qu’ils étaient des tirs ajustés qui se logeaient dans les angles avec précision. On lui reprochait néanmoins de tirer toujours avant la mise en place du mur et l’ordre d’exécution de l’arbitre. Quel était son secret ? Qu’est-ce qu’il pense des commentaires autour de ses coups francs ?
“Mes buts sur balles arrêtées n’étaient pas du tout un fait du hasard. C’est l’entraîneur Vladimir qui m’a formé dans l’exécution des coups francs entre 1967 et 1970. A la fin de chaque séance d’entraînement, je tirais 150 coups francs trois fois dans la semaine. Cela a été ma force. Pour tirer un coup franc, on n’a pas besoin d’attendre l’ordre de l’arbitre. On peut le faire intervenir au cas où la distance réglementaire n’est pas respectée. Mais le joueur qui sait qu’il peut exécuter le coup franc malgré le non-respect du mur, rien ne l’empêche de tirer”.
Né le 15 avril 1944 à Bamako, Sadia Cissé n’hésite pas à dire que le Djoliba AC vient en troisième position dans sa vie, après Dieu et sa famille. Il n’a connu que ce club, qui lui a tout donné. Se voir sous les couleurs du Djoliba était plus qu’un serment pour sa génération. Son groupe ne jurait que par ce club.
Le constat amer qui met en évidence sa marginalisation par rapport à la gestion et à l’administration du Djoliba est plus que choquant. Certes, ce n’est pas la tribune indiquée pour parler des problèmes du Djoliba ici et aujourd’hui, mais Sadia Cissé reste persuadé que le temps remettra le club dans ses droits en termes de valeurs ancestrales.
Sociétaire de l’équipe des pionniers de Ouolofobougou, où il a eu le maximum de satisfaction dans les compétitions inter quartiers, il a signé sa première licence en tant que cadet au Djoliba en 1961.
L’année suivante, il est admis à la catégorie junior et remporte le titre de champion. Le 17 octobre 1963, Sadia Cissé joue son premier match officiel dans l’équipe fanion du Djoliba, en championnat d’honneur du district de Bamako contre le Stade malien de Bamako (score final un but partout).
D’abord attaquant, puis milieu et enfin libéro, il gagne sa place de titulaire en 1965 auprès des Barou Maïga, Abdoulaye Diawara dit Blocus, Kidian Diallo, Lamine Doe, Barou Kaba.
Une carrière en trois étapes
Notre héro du jour divise sa carrière en trois parties : avant les 1ers Jeux africains de Brazzaville (1965), entre Brazza et la Can de Yaoundé 1972, et après Yaoundé (1972-1981).
Sadia Cissé regrette aujourd’hui de n’avoir pas remporté de trophée avec l’équipe nationale avec laquelle il a joué son premier match en février 1964, tout en marquant l’unique but du Mali. Ce qui nous fait dire qu’entre le début de sa carrière internationale en 1965 et sa retraite du gazon le 23 décembre 1981, il a enregistré en équipe nationale 57 sélections auréolées par la Can de Yaoundé.
Avec le Djoliba, Sadia a remporté dix Coupes du Mali et autant de titres de champion. Il a également un palmarès bien fourni dans les compétitions africaines avec son club, le Djoliba AC. Ainsi on retient :
– Demi-finaliste de la Coupe d’Afrique des clubs champions en 1967 (battu par l’Ashanti Kotoko de Koumassi 2 à 1) ;
– Demi-finaliste de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe ;
– Quart de finaliste de la Coupe d’Afrique des clubs champions (1972, 1974, 1977) ;
– Huitième de finaliste de la Coupe d’Afrique des clubs champions (1975, 1976).
Ses meilleurs souvenirs ? Son premier match avec l’équipe nationale en février 1964 contre la Guinée, et face à l’Algérie, les finales de Coupe du Mali en 1978 contre l’AS Réal (finale de la vérité, 2 buts à 1) et contre le Stade malien de Bamako (3 buts à 1).
Ses déceptions concernent la finale de la Can de Yaoundé face au Congo, à laquelle il faut ajouter l’élimination du Djoliba en 1967 par l’Ashanti Kotoko de Kumasi en demi-finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions, la suspension du Djoliba AC par la Caf en 1977 alors qu’il était qualifié pour les demi-finales de la Coupe d’Afrique des clubs champions.
“20 buts marqués,
zéro encaissé !”
Au cours de notre entretien, nous sommes épatés quand il a affirmé que le Djoliba a remporté la Coupe du Mali de 1973 par le score de 20 buts à 0. C’était face à l’AS Réal. Alors douche froide sur notre corps !
Comment lui dire que sa révélation nous a troublé ? Mais, il a vite fait de nous expliquer le scénario : “Je parle de 20 buts à 0, parce que des éliminatoires à la finale, le Djoliba a marqué 20 buts et n’a rien encaissé. Comment ? Le Djoliba a respectivement battu la JSK, la Kayésienne, le Stade malien de Bamako par 5 buts à 0, l’Olympique de Ségou par 3 à 0 et enfin le COB en finale (2 à 0). Voilà l’explication”.
Parallèlement à sa carrière de footballeur, Sadia Cissé a fait des études supérieures et occupé de hautes fonctions dans l’administration publique et dans le secteur privé.
Après le baccalauréat (série SBT) en 1966, il est orienté à l’Ecole nationale d’administration (ENA). A sa sortie, quatre ans plus tard, il est recruté à la Société malienne d’importation et d’exportation (Somiex), une entreprise d’Etat qui a marqué son temps. Malheureusement, elle fermera en 1987, renvoyant du coup des centaines de chefs de famille au chômage. Sadia Cissé échappera à cette sentence, ayant été embauché immédiatement comme directeur adjoint de la Compagnie malienne de commerce et de transport, par l’ex-président du Djoliba, Abdoulaye Traoré alias “Tout Petit” (paix à son âme). Il y restera pendant trois ans.
En 1990, il occupera les mêmes fonctions chez U-Négoce, une maison de transit qui appartenait au président du Stade malien de Bamako, Mamadou Makadji.
Sur le coup, Sadia Cissé s’est précipité à apporter une précision. Peut-être a-t-il en intellectuel avisé compris qu’une question était en gestation par rapport au paradoxe, lié à sa présence dans une structure appartenant au président du Stade, le club rival du Djoliba. Il nous avouera qu’en leur temps, c’était l’adversité, mais ils n’étaient pas des ennemis. De U-Négoce, il prit sa retraite en décembre 2000.
Dans la vie, Sadia Cissé aime la musique afro-cubaine, celle du Congo Belge (actuelle RDC). Il déteste l’hypocrisie et la trahison. Son crédo : respecter tout le monde et se faire respecter.
Le monument, le modèle, le sage Sadia Cissé est marié et père de quatre enfants, dont deux filles.
Aujourd’hui-Mali du 7 Septembre 2019
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali