Malgré le fait que 33 % des dépenses courantes de l’État vont à l’éducation, notre école se caractérise par une mauvaise qualité de l’apprentissage ayant pour conséquence, le faible niveau des élèves. C’est ce qu’a révélé, le ministre de l’Économie et des Finances, lors de l’interpellation du Gouvernement sur la grève des enseignants. Il préconise un rééquilibrage des dépenses courantes qui sont à 65 % et des dépenses en capital pour les constructions d’écoles, de salles de classe, l’achat de matériels didactiques, d’intrants pédagogiques qui équivalent de 20 à 25 %.
M. CISSE a fait savoir que les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État ont bénéficié et exécuté les 95 % de ce budget. Aussi, a-t-il préconisé : « le secteur doit se pencher sur la problématique des transferts de compétences et financiers du secteur ». « Il ne faut pas que l’on se trompe de problème ni de combat : il faut que les ressources qui sont allouées à ce secteur se transforment en résultat en termes d’apprentissage et de compétence acquis », dit le ministre CISSE.
La constante
Il renchérit : « observez : sur les 20 dernières années, tous nos plans quinquennaux ont toujours fait ressortir, parmi les 4 ou 5 axes stratégiques sur lesquels le Gouvernement souhaite se focaliser, le secteur de l’Éducation et le Capital Humain de façon générale. Le plan quinquennal que nous sommes en train de valider pour 2019-2023, qui est le CREED II, a repris la même chose sur le plan de politique publique et de stratégie de développement : le capital humain et en particulier le secteur de l’éducation. C’est pour dire comment ce secteur est important pour le Gouvernement et cette importance a été toujours traduite dans le budget », a ajouté le Dr Boubou Cissé, et d’enchainer : « cette auguste assemblée est la mieux placée pour savoir, d’un point de vue budgétaire, l’importance des ressources qui ont été accordées au secteur de l’éducation, au moins sur la base des cinq dernières années pour lesquelles vous avez voté les différentes lois de finances sous les différents gouvernements que le Président de la République a mis en place, depuis son arrivée au pouvoir ».
Selon le Dr Boubou CISSE, le secteur de l’éducation est celui qui coûte le plus au Budget de l’Etat : « quand vous regardez les années 2018 et 2019, qui ont les budgets les plus récents, le secteur de l’Education a toujours représenté au minimum 15 % du Budget de l’État. Nous étions à 300 milliards FCFA à peu près en 2018 et nous sommes à 352 milliards de FCFA en 2019 : soit exactement 15,56 % du budget d’État. Le secteur de l’Éducation, c’est 33 % des dépenses courantes totales de l’État. Il n’y a pas un département dans la structure gouvernementale actuelle ou un secteur qui arrive à ce niveau d’allocation budgétaire, malgré les crises auxquelles nous sommes confrontées : crise sécuritaire, terrorisme. Si vous combinez la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, le secteur de la Sécurité et le secteur de la Défense, c’est seulement à ce moment-là que vous arriverez à 22 % du budget d’État : sinon, si vous cloisonnez secteur par secteur, il n’y a pas un seul département qui arrive à ce niveau d’allocation budgétaire. Il s’agit donc d’une priorité évidente pour le Gouvernement. Cette priorité s’est toujours traduite par une allocation très importante des crédits budgétaires. Sur ce budget, les 80 % sont exécutés par le ministère de l’Éducation nationale, c’est-à-dire les deux cycles auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui : l’école fondamentale et le cycle de l’enseignement secondaire. Et sur la totalité de ce budget, les 95 % sont exécutés par les collectivités territoriales et les services déconcentrés. Donc, tout se passe au niveau des collectivités territoriales et des services déconcentrés. Seulement 4 % sont exécutés au niveau central. Donc, le problème du transfert de ressources humaines ou financières ne se pose pas, à ce niveau. »
La priorité
L’une des priorités, selon le ministre de l’Économie et des Finances, est de réfléchir à l’amélioration de la qualité de l’apprentissage et des résultats dans le secteur au regard des importants moyens engagés par l’État.
« Je pense que le problème qui se pose aujourd’hui est de voir comment transformer ces importants moyens, qui sont alloués au secteur de l’éducation, en des résultats d’apprentissage. Car, malgré les moyens que nous allouons à ce secteur, ils ne sont pas transformés en des résultats d’apprentissage. Et malheureusement, je ne pense pas que le fait d’aller vers une augmentation des salaires et de primes d’indemnités comme les enseignants demandent corrigera ce problème de manque de résultat d’apprentissage des élèves dans ces deux cycles-là. Ce n’est pas en augmentant ces primes et indemnités que nous arriverons à ces résultats alors que c’est cela le vrai problème », a-t-il analysé.
Pour le ministre, « dans la sous-région, le Mali est parmi les pays qui dépensent le plus par élève dans ce secteur de l’Éducation. Et sans toutefois avoir les résultats ! En 2018, la communauté internationale a publié un indicateur composite appelé “Indice du Capital Humain” qui classe les pays en fonction des attentes en termes de compétences acquises dans ces deux cycles jusqu’au lycée. Sur les 12 années d’apprentissage, de la 1re année jusqu’au Bac. Le Mali a, moins de 5. Cela veut dire que sur les 12 années d’apprentissage qu’un élève malien est supposé avoir acquis en termes de compétence au Bac, il ne sort qu’avec l’équivalent de 4,5 années. Et quand vous corrigez cet indicateur, vous l’ajustez sur la qualité, cela tombe à 2,8 ans. Cela veut dire que sur 12 années d’apprentissage, nos élèves n’auront appris que 2,8 ans en termes de compétence. C’est là que se situe le gros souci au niveau de notre pays. Et honnêtement, je ne pense pas que ça soit lié à un manque de ressources allouées à ce secteur. Sur les dépenses indiquées, 65 % sont les charges du personnel. Aujourd’hui, la masse salariale prend pratiquement la totalité des allocations faites au secteur. Nous devons inverser cette tendance et mettre plus de crédit dans l’investissement. Il n’est pas normal que les dépenses courantes soient à 65 % alors que les dépenses en capital pour les constructions d’écoles, de salles de classe, l’achat de matériels didactiques, d’intrants pédagogiques soient à l’équivalent de 20 à 25 % : c’est cela qu’il va falloir changer pour que les résultats en matière d’apprentissage soient au rendez-vous. Et on ne pourra pas changer cela si on continue à augmenter le niveau des indemnités et des primes qui nous sont demandées ».
L’incompatibilité
Le ministre a rappelé que le niveau de revendication salariale des enseignants ne peut être supporté par l’État au risque de ne pouvoir payer les salaires de l’ensemble des fonctionnaires. Pire, à son avis, certaines primes réclamées n’existent même pas dans la nomenclature des primes au Mali.
« Notre rôle est de répondre à des revendications sociales, mais il faut que nous puissions répondre en évitant de poser d’autres problèmes. Il faut que nous puissions répondre en assurant que les grands équilibres financiers continuent à être maintenus. Nous sommes dans un monde, en particulier dans un pays dont les ressources sont très limitées face à des besoins illimités. C’est notre rôle au ministère de l’Économie et des Finances de faire des arbitrages. Si on répond à ce qui est demandé aujourd’hui, demain on ne paye pas de salaires pour l’ensemble des fonctionnaires de l’État. Ce serait mentir aux uns et autres de dire que nous pouvons le faire. On nous demande des choses, objectivement, difficiles à satisfaire », a-t-il fait savoir.
Selon l’article 17 de la Loi relative au droit de grève : « ’l’absence de service fait donne lieu à une retenue du traitement ou de salaire et de ses compléments autres les suppléments pour charges de famille »’.
« Nous avons effectivement procédé à une retenue sur les salaires. J’ai entendu d’autres mots ici : “saisie”, “suspension”… C’est une retenue à ne pas confondre avec une saisie ou une suspension. Nous avons essayé, dans la mesure du possible, de procéder à cette retenue conformément aux dispositions réglementaires qui existent en la matière dans notre pays. Effectivement, il ne faut pas toucher aux allocations familiales. Lorsque le problème s’est posé, j’ai demandé à ce que l’on vérifie et nous sommes en train de vérifier. Si nous avons touché aux allocations familiales, cela sera remboursé. Le salaire est une contrepartie d’une prestation et la loi l’encadre. En tant que ministre de l’Économie et des Finances, je suis obligé de faire respecter cela, car il s’agit aussi de la loi de finances. »
Le véritable combat
Selon le ministre de l’Économie, le véritable combat demeurera l’amélioration de la qualité de l’enseignement et non l’augmentation salariale.
« Il ne faut pas que l’on se trompe de problème ni de combat : il faut que les ressources qui sont allouées à ce secteur se transforment en résultat en termes d’apprentissage et de compétence acquis. On n’y est pas encore aujourd’hui.
L’Éducation nationale a fait une évaluation du type PASEC ou EGRA : il est dit que 90 % de nos élèves qui arrivent en fin de cycle 2 n’ont pas le niveau requis. Ce sont ces mêmes chiffres qui sont transmis dans les résultats des examens nationaux. Si pour un examen comme le DEF on est obligé d’aller prendre des élèves qui ont 7,7/20 de moyenne générale alors que le minimum requis devrait leur faire obtenir 10/20, il y a un problème ! Si vous extrapolez cela sur les autres examens, cela veut dire que 80 % de nos élèves n’ont pas le niveau. C’est cela le vrai problème et c’est là où il faut se battre pour que la qualité revienne, pour que les gens puissent apprendre réellement. Ce n’est pas dans l’augmentation des primes ou des indemnités ! Les mêmes évaluations ont dit que 90 % de nos établissements publics n’ont pas de bibliothèques. Comment voulez-vous que l’élève apprenne ? Il n’y a pas de latrines, il n’y a pas de points d’eau, c’est affolant. On est déjà à 65 % des dépenses courantes du secteur de l’Éducation. 65 % des ressources de ce secteur vont dans la prise en charge des salaires. Faut-il amener cela à 80 % pendant que le minimum requis au niveau des établissements publics en termes de latrines, bibliothèques, points d’eau, tableaux n’y est pas ? On continuera à payer nos enseignants, mais la connaissance qui est recherchée n’y sera jamais et je pense que c’est cela le vrai débat et le vrai combat à avoir aujourd’hui. Sur cela, le gouvernement est prêt à ouvrir un dialogue avec les enseignants, car je suppose que c’est ce qu’eux aussi recherchent : être dans un environnement décent qui leur permet de dispenser un enseignement de qualité qui permettra de développer de vraies compétences et de vraies connaissances pour les élèves… ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », termine le ministre.
PAR BERTIN DAKOUO