Le gouvernement a décidé uneprorogation du mandat des députés pour une année allant du mois de juillet prochain jusqu’au 2 mai 2020. Cette énième prorogation est jugée anticonstitutionnelle et illégitime par plusieurs partis politiques qui se mobilisent pour faire barrage à cette prolongation.
C’est à travers des communiqués, assemblées générales ou des conférences de presse que plusieurs partis politiques ont porté à la connaissance de l’opinion nationale et internationale leur hostilité au projet de loi organique portant sur la prorogation du mandat des députés. Ce projet adopté par le gouvernement, lors de son conseil des ministres du 07 juin, vient proroger une 2e fois consécutive le mandat des députés pour une année jusqu’au mois de mai 2020. Le gouvernement a pris cette décision s’appuyant sur l’impossibilité d’organiser le scrutin législatif dans la situation actuelle du pays et sur la mise en œuvre de l’accord politique en décembre 2018. Les partis politiques contestataires dénoncent ce projet. Pour eux, c’est une violation flagrante de la constitution qui ne prévoit nullement la possibilité d’une telle loi.
Que dit la constitution ?
La constitution du 25 février 1992 stipule dans son article 61 que: « Les Députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. Une loi fixe les modalités de cette élection. ». Ce qui rend totalement impossible d’augmenter leur mandat par un quelconque moyen constitutionnel. Pour contourner cet obstacle, l’assemblée nationale avait saisi la cour constitutionnelle pour avoir son avis avant de procéder à la première prorogation en décembre 2018. Et cette dernière institution avait donné son feu vert, avec un avis favorable, en s’appuyant sur l’argument de ‘’cas de force majeur’’ vu l’impossibilité d’organiser les législatives à l’époque. L’avis favorable de la cour était accompagné par la possibilité de procéder à une deuxième prorogation et c’est ce que le gouvernement vient de mettre en œuvre avec son projet de loi organique.
Les réactions des partis politiques
Le parti Yelema fut le premier à réagir. Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, il annonce: « qu’il avait demandé au Précédent Gouvernement d’engager un dialogue avec la classe politique au sujet de la question des élections législatives ; cet appel n’a pas été entendu et le Gouvernement n’a pas été en mesure d’engager l’organisation des législatives dans le délai qu’il avait pourtant lui-même fixé. Tout en s’opposant au projet de loi, estime que le dialogue politique seul est: « le cadre approprié permettant d’aboutir à des solutions consensuelles qui conduiront, dans un délai raisonnable, à la réinstauration d’un cadre institutionnel par des élections législatives crédibles et apaisées et auxquelles toutes les composantes politiques du pays participeront».
La ligue Démocratique pour le Changement (LDC), à sa tête, Moussa Sinko Coulibaly fut aussi catégorique contre la prolongation du mandat des députés. Dans un communiqué, elle annonce que: « Pour justifier l’injustifiable, le gouvernement se fonde sur une autre violation de la constitution c’est à dire la première prorogation. Il se fonde aussi sur un prétendu Accord politique qui primerait à ses yeux sur la Constitution. Enfin il avoue tristement qu’il (Gouvernement) est incapable d’organiser des élections législatives régulières et transparentes». La LDC «invite ses militants et l’ensemble du peuple malien et amis du Mali à rester attachés au strict respect de la Constitution du Mali».
Le parti FARE et l’ADEMA-ASSOCIATION ont tout aussi réagi conjointement le 10 juin. En effet, dans une déclaration, ils appellent les autorités à retirer le projet de loi. Ils sont unanimes que ça porterait gravement atteinte à la constitution du pays et que cela est un fait inacceptable dans une République. Toutefois, ils invitent le régime« à initier un cadre de dialogue inclusif permettant de trouver une solution à la situation qui prévaut ».
ADP-MALIBA qui a aussi soulevé la violation de la constitution que constituerait cette seconde prorogation. Bien qu’étant présent à l’Assemblée nationale, le parti estime que c’est une violation indiscutable de la constitution. Aussi, ADP-MALIBA a exprimé son indignation dans un communiqué en appelant à la formation d’un large Front pour bloquer toute tentative de forcing par le régime.
Le 11 juin dernier, le RpDM et le même parti ADP ont publiéun communiqué conjoint dans laquelle ils appellent le retrait du projet de loi. Ils ont appelé toutes les forces vives du pays à peser de tout leur poids afin d’obtenir le respect strict de notre constitution.
Le plus grand regroupement d’opposition à ce projet de loi a été mis en place le mercredi, 12 juin, dernier à la Pyramide du souvenir. De nombreux partis politiques comme le RpDM, ADP-MALIBA, le FAD et d’autres mouvements politiques ainsi que des associations se sont réunis pour former la plateforme : « Anta Tala, An Ko An Faso ». Son objectif principal étant l’empêchement de toute forme de prorogation du mandat des députés est accompagné par le rejet la révision constitutionnelle dans l’état sécuritaire actuelle du pays.
Quant à l’opposition politique pilotée par Soumaila Cissé, député à l’Assemblée nationale, elle a toutefois réagi à travers un point de presse, le jeudi 13 juin. Pour le président du FSD: «Cette prorogation est une violation grave de la constitution considérant son article 61 qui est clair sur la question». M. Cissé estime que la violation est si flagrante qu’on le constate par le fait que le gouvernement n’a même pas demandé l’avis de la cour constitutionnel comme ça se doit en la matière. «Nous avons augmenté leur mandat pour six mois et le résultat n’a rien donné. Nous pouvons tous dire sans détour une autre prorogation d’une autre année donnera rien aussi comme résultat vu l’état actuel du pays», a-t-il ajouté. A la question de savoir ce que le FSD propose en lieu et place d’une prorogation,Soumaïla Cissé réplique que cette tache revient au camp présidentiel.«Le Président reste le premier garant de la constitution donc il revient à lui de prendre des décisions pour éviter sa violation». A Mountaga Tall d’ajouter que le FSD tiendra des activités auprès de la population afin de le prévenir des dangers lié à une nouvelle prolongation du mandat des députés.
Les alternatives proposées
Quant aux propositions de sortie de crise faites par les contestataires comme alternatives à la prorogation, nous avons trois options.
La première est logiquement ce que la constitution même prévoit en cas de dissolution de l’Assemblée Nationale à savoir la gouvernance par ordonnance effectuée par le président de la République. Le problème est que cette option constitutionnelle sera difficilement une solution adéquate de l’avis de nombreuses personnes. Aussi,le président a l’obligation d’organiser des élections législatives en quarante jours après la dissolution. Vu l’état sécuritaire du pays, force est de reconnaitre que la réunion de toutes conditions d’un scrutin libre et transparent sur toute l’étendue du territoire est quasi utopique dans ce délai. A l’épuisement de ce temps, c’est le retour irréversible dans le même vide constitutionnel. Donc à la case de départ !
La seconde est la formation d’une Assemblée Constituante. Celle-là est une demande formulée par des partis comme l’ADP-MALIBA ou le RpDM dont le Président, Dr Cheick Modibo Diarra, avait proposé depuis lors de la première prorogation. Selon les partisans de cette option, la fin du mandat des députés et le refus du Président de gouverner par ordonnance nous plonge dans un vide constitutionnel. Et dans cet état de fait, aucune institution ou des institutions n’ont le droit de se mettre à la place du peuple pour appliquer leur vision de sortie de crise. Toute solution adéquate part de ce qui est décidé par l’ensemble du pays malien à travers ses forces vives donc en toute légitimité. Considérant le fait qu’une démocratie ne peut fonctionner sans parlement, ils proposent tout simplement de remplacer les députés illégitimes par des représentants de chacune des forces vives du pays. La composition, les critères de sélection, la mission, les prérogatives et les privilèges de ces nouveaux membres de notre hémicycle feront objet de dialogue consensuel.
Enfin la troisième option est celle prônée par des partis comme les FARE ou YELEMA à savoir l’organisation d’un dialogue national inclusif. Ce dialogue aura pour objet de décider de la marche à sortir pour une sortir du vide conditionnel qui ne peut être effectué par la prorogation du mandat des députés.
En entendant de voir la décision que prendra le gouvernement face à ces réactions politiques hostiles à son projet, les forces politiques opposées qui le rejettent multiplient les rencontres dans la perspective de la formation d’un large front de contestation.
Ousmane Dembélé
Source: L’Aube