ELECTION. Selon les résultats rendus publics par la Commission électorale nationale indépendante, le chef de l’État sortant remporte le scrutin du 18 octobre dès le premier tour.
C’est officiel : selon les chiffres provisoires publiés ce samedi 24 octobre par Kabinet Cissé, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Alpha Condé, le président sortant, candidat à un troisième mandat a remporté la présidentielle du 18 octobre avec 59,49 % des suffrages exprimés, contre 33,5 % pour Cellou Dalein Diallo, son principal rival. Les autres candidats sont loin derrière, beaucoup n’ayant pas dépassé la barre fatidique des 5 %.
L’annonce de la victoire du président Condé, dès le premier tour, intervient dans un climat de vive tension à Conakry où des affrontements entre de jeunes partisans de son rival Cellou Dalein Diallo et les forces de l’ordre ont fait des dizaines de morts et de blessés.
Le taux de participation lors de la présidentielle du dimanche 18 octobre a été de 78,88 %.
Depuis quelques jours, déjà, la tendance d’une victoire, ou plutôt d’un « coup K.O. » se profilait avec la publication par la Céni de résultats partiels pour au moins quatre préfectures.
Son principal challenger, Cellou Dalein Diallo, 68 ans, s’était proclamé vainqueur de la présidentielle, dès le lundi 19 octobre au soir, avant la publication des résultats. « Mes chers compatriotes, malgré les graves anomalies qui ont entaché le bon déroulement du scrutin du 18 octobre et au vu des résultats sortis des urnes, je sors victorieux de cette élection dès le premier tour », a-t-il lancé devant une foule de partisans.
La Guinée s’est retrouvée vendredi avec un internet fortement dégradé. Netblocks, groupe qui surveille de telles coupures, a expliqué soupçonner l’action de l’Etat guinéen. Il s’agirait de contrôler la diffusion d’informations à un moment critique.
Une telle censure avait déjà été observée en mars à l’occasion d’un référendum constitutionnel et de législatives controversées.
Les résultats doivent encore être validés par la Cour constitutionnelle.
Qui est Alpha Condé, le président réélu pour la troisième fois ?
Condamné à mort sous le régime du président-dictateur Ahmed Sékou Touré, Condé âgé aujourd’hui de 82 ans, avait ensuite été emprisonné durant plus de deux ans sous le règne du général Lansana Conté. Ironie de l’histoire : c’est justement devant le magistrat qui l’avait fait condamner en 2000 à cinq ans de réclusion criminelle « pour atteinte à la sûreté de l’État », le président de la Cour suprême Mamadou Sylla, qu’Alpha Condé avait prêté serment, au Palais du peuple à Conakry, cette année-là. Sa victoire et cette fierté retrouvée des Guinéens, le « professeur Condé », comme il aime à se faire appeler, la doit largement à l’attitude historique de son principal rival, Cellou Dalein Diallo, qui avait très vite reconnu sa défaite. « L’attachement à la paix et à la Guinée une et indivisible nous commande d’étouffer notre frustration et nos souffrances pour rester calmes et sereins et d’éviter toute forme de violence. La victoire et la défaite sont constitutives de la vie, comme nous l’enseigne la religion », avait déclaré Diallo. « Contenons notre amertume électorale par la légitime fierté de représenter, malgré les fraudes et les répressions, près de la moitié des suffrages validés », avait-il conclu.
Si Alpha Condé était alors auréolé de son image d’opposant acquise après des décennies de lutte, il est accusé 10 ans plus tard d’avoir plongé son pays dans la crise pour rester au pouvoir en faisant adopter une nouvelle Constitution. Quelles sont aujourd’hui ses priorités et les grandes lignes de son programme s’il était reconduit au palais de Sékhoutouréya ?
Alpha Condé hyperprésident
À 82 ans, cet homme encore svelte, qui boite légèrement, se présente comme un modernisateur, opposé à l’excision et aux mariages forcés. Il avait d’ailleurs choisi, début septembre, de s’adresser aux femmes de son parti pour officialiser sa candidature. « Moi, je suis le candidat des femmes et des jeunes », a-t-il assuré. « Je me suis battu pendant quarante-cinq ans, j’étais opposant, mes adversaires sont des fonctionnaires qui sont devenus Premiers ministres après avoir mis le pays à terre. C’est extraordinaire que je sois considéré comme un dictateur antidémocrate ! » a-t-il lancé, agacé, récemment sur France 24 et RFI.
Il vante aussi son bilan : réalisation de barrages hydroélectriques, révision des contrats miniers et mise au pas de l’armée, alors que le pays a traversé la pire épidémie d’Ebola de l’Histoire (décembre 2013-2016). Mais, malgré la richesse de son sous-sol, plus de la moitié de la population de Guinée vit sous le seuil de pauvreté, avec moins d’un euro par jour, selon l’ONU.
Human Rights Watch dénonce pour sa part les conséquences désastreuses sur l’environnement et les populations de la « croissance fulgurante » de l’exploitation de la bauxite, principal minerai permettant la production d’aluminium, dont le pays détient les plus importantes réserves mondiales.
Se réclamant de la gauche, Alpha Condé est un orateur érudit, qui sait séduire son auditoire, mais il goûte peu la contradiction. « Je suis choqué de vous entendre dire que la Guinée n’a pas émergé, je suis choqué, franchement. Je suis choqué ! » a-t-il pesté tout au long d’une interview en 2018 à des médias français pour le 60e anniversaire de l’indépendance.
Sanguin, Alpha Condé l’est certainement, comme lorsqu’il réprimande des étudiants qui lui réclament les tablettes informatiques promises pour sa réélection en 2015. « Vous êtes comme des cabris : tablettes, tablettes ! » grince-t-il en sautant sur place à pieds joints.
Mais c’est surtout sa volonté intransigeante de doter le pays d’une nouvelle Constitution qui a divisé les Guinéens. Selon Amnesty International, la répression des manifestations de masse contre un troisième mandat a fait au moins 50 morts depuis octobre 2019. « Je ne prends pas Amnesty International au sérieux. Ils font des enquêtes à charge, des rapports unilatéraux », rétorque le président. Socialiste, il est l’un des derniers présidents africains formés « à la française », ami de Bernard Kouchner et de François Hollande.
Son destin se confond avec l’histoire de la Guinée
Le destin d’Alpha Condé prend sa source à Boké, en Guinée maritime, le 4 mars 1938, au sein d’une famille de commerçants malinkés plutôt aisés. De longues années d’opposition en exil, la prison, une accession quasi miraculeuse au pouvoir et deux mandats présidentiels ont forgé son caractère.
Il part en France dès l’âge de 15 ans et y obtient des diplômes en économie, en droit et en sociologie. Il enseigne ensuite à l’université parisienne de la Sorbonne. Parallèlement, il dirige dans les années 1960 la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) et anime des mouvements d’opposition au régime dictatorial d’Ahmed Sékou Touré, « père de l’indépendance » de la Guinée, qui le fait condamner à mort par contumace en 1970.
Il rentre au pays en 1991, sept ans après la mort de Sékou Touré, auquel a succédé l’officier Lansana Conté. Aux présidentielles de 1993 et 1998, ni libres ni transparentes, Condé est officiellement crédité de 27 % et de 18 % des voix. Il inquiète néanmoins Lansana Conté, qui le fait arrêter après la présidentielle de 1998 et condamner en 2000 à cinq ans de prison. Sous la pression internationale, il est gracié en 2001. Il reste dans l’opposition après l’avènement de la junte du capitaine Moussa Dadis Camara en 2008.
Mais, en 2010, le « professeur Alpha Condé » – marié trois fois et père d’un garçon – est enfin élu, au second tour, après avoir été très nettement distancé au premier par l’ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo. En 2015, il est réélu au premier tour, loin devant son principal opposant, qu’il retrouve de nouveau face à lui ce dimanche. « Cette élection va se jouer pour Alpha Condé sur (sa faculté) à mettre en avant (ses) politiques publiques ; l’autre enjeu, c’est la rupture, c’est la conquête pour Cellou Dalein Diallo », selon Kabinet Fofana, président de l’Association de sciences politiques. « La question de l’âge d’Alpha Condé revient d’emblée », dit-il.
Le Point Afrique