Le Dakar-Niger naquit pendant l’ère coloniale pour relier les territoires du Sénégal et du Soudan français afin de permettre le transport des produits rentiers vers la métropole française. Très vite, l’importance de cette voie ferrée devint grandissante. Elle entraîna alors l’apparition d’un nouveau pôle de développement urbain : la gare de chemin de fer. Laquelle attira naturellement les activités industrielles et de service.
La gare ferroviaire devint ainsi un élément structurant de l’urbanisme qui permit l’émergence des villes par la mutation des petites localités, tout au long de l’axe ferroviaire. Villes dans lesquelles, les populations allogènes se sont ajoutées aux autochtones pour donner un brassage biologique et culturel qui favorisa le développement socio-économique de ces villes-gares. C’est par exemple le cas de Kita, Toukoto, Mahina et Kayes.
Ainsi, l’axe Dakar-Niger contribua, à défaut de faire disparaître réellement les frontières géographiques, à réduire leurs impacts entre les deux colonies d’alors : le Sénégal et le Soudan Français. Les villes desservies par la voie ferrée s’agrandirent et connurent la prospérité. Par la suite, des économies entières reposèrent sur l’activité ferroviaire. Le passage du train était devenu un moment phare à ne jamais manquer. Il servait à tout et devenait à tout point de vue indispensable pour les riverains tel le Nil pour l’Egypte. Cela demeure encore de nos jours une réalité.
Malheureusement, le passage en 2003 des deux sociétés nationales malienne et sénégalaise des chemins de fer à la Concession est venu tout chambouler. Non seulement cette Concession, ayant pris corps à travers la société privée TRANSRAIL-SA, n’a pu permettre le développement du trafic-marchandises qui devait être son principal challenge mais aussi, elle n’a pu faire aucun investissement pour renouveler les vieilles voies et acquérir des locomotives qu’elle s’était engagée à faire. Sur l’axe Bamako-Kayes, le trafic voyageur finit même par s’arrêter progressivement.
D’année en année, pendant les treize pluies qu’auront duré la Concession, au lieu de permettre aux Etats du Mali et du Sénégal de relever le défi du transport ferroviaire, TRANSRAIL-SA n’a de cesse profiter de subventions déguisées des deux pays. Pis, la Concession ne paya plus les redevances dues. Au finish, la perte devenait colossale pour les deux Etats à telle enseigne qu’il y a un peu plus d’un an, on assista à la fin de cette malheureuse concession pour l’avènement d’un nouvel organe de gestion de la phase transitoire devant mener au nouveau schéma institutionnel : Dakar-Bamako-Ferroviaire ou « DBF ». Mais, force est de reconnaître que cette nouvelle entité, qui appartient aux Etats du Mali et Sénégal, manque cruellement, pour le moment, de ressources financières comme de matériels roulants, notamment pour la reprise du trafic voyageur.
Pourtant, au moment de la mise en Concession, le Sénégal a eu l’intelligence de remettre les prérogatives du service public voyageur à une société appelée Petit Train de Banlieue (PTB). Alors que, malheureusement, l’Etat malien s’en est quasiment dessaisi pour signer simplement une convention d’un an avec TRANSRAIL-SA pour accomplir cette tâche. Ce qui laissa ensuite la place à un vide juridique doublé d’un manque de suivi ; toutes choses qui permirent à TRANSRAIL-SA d’ignorer cette mission de service public qui finit par ne plus fonctionner.
Or présentement, plus que jamais, l’arrêt du trafic voyageur sur l’axe Bamako-Kayes est devenu un véritable point de crispation entre les populations riveraines (mobilisées sous la houlette du « Collectif Sauvons les Rails »), le Ministère des Transports et l’organe de gestion de la phase transitoire : Dakar-Bamako-Ferroviaire (DBF). Cette mobilisation est certainement de bonne guerre pour ces riverains qui se retrouvent carrément enclavés par l’arrêt du trafic voyageur qui était leur boussole économique et culturelle. Bref, leur principale source de revenus.
Toutefois, la méthode de blocage des voies ferrées choisie par le « Collectif Sauvons les Rails », depuis deux mois comme moyen de revendication, empêchant les quelques trains marchandises de circuler sur l’axe Dakar-Bamako pour maintenir l’activité ferroviaire et ravitailler les populations, est loin d’être la meilleure. Au contraire, elle nuit considérablement aux intérêts des populations que le Collectif prétend défendre. Déjà, avec l’arrêt de deux semaines du trafic marchandises en cette période de Ramadan, les produits de première nécessité commencent à manquer dans les magasins de ravitaillement du cercle de Bafoulabè.
Ce seul fait suffit pour expliquer que la radicalisation de leur revendication, certes légitime, si elle ne cesse pas immédiatement, conduira plutôt à l’arrêt total des trains. Toute chose qui produira des pertes colossales pour les deux Etats. Cet organe bi-étatique, comme c’est déjà dit plus haut, manque considérablement de ressources financières. Ce qui ne lui permet pas de relever tout seul, le défi ferroviaire. Encore que ce sont les populations riveraines du rail qui feraient essentiellement les frais de ce blocage des voies.
Aujourd’hui, au risque de se répéter, DBF n’existe que par la subvention des Etats du Mali et du Sénégal. Cette manne financière, en plus des maigres ressources que le trafic marchandises génère, est la seule ressource de l’organe. En l’empêchant de faire circuler ses trains, il va de soi que l’on cherche à l’étouffer. Cela entrave toute solution pour une reprise rapide du train voyageur, voire, son arrêt total. Or, DBF reste la seule alternative pour que ce trafic voyageur puisse reprendre au plus tôt sur l’axe Bamako-Kayes.
A cet effet, les notabilités du cercle de Bafoulabè, au-delà, celles de la région de Kayes et toutes les personnes ressources locales et nationales, doivent illico presto faire comprendre aux brebis égarées du « Collectif Sauvons les Rails » que la radicalisation comme moyen de résoudre un conflit social, n’est jamais la panacée. Elles devront donc les encourager, sinon les contraindre, à continuer de s’asseoir avec DBF et les autorités nationales compétentes pour trouver tous les voies et moyens nécessaires afin de faire reprendre le trafic voyageur sur l’axe Bamako-Kayes.
Cependant, pour permettre que le train continue à siffler sur l’axe Bamako-Dakar, notamment pour que le train voyageur puisse reprendre l’axe Bamako-Kayes, il est aussi impératif que l’Etat du Mali s’investisse, à défaut de l’acquisition de nouvelles locomotives et voitures, dans la réhabilitation du parc existant ou la location de locomotives. Cette demande, avec un peu de volonté politique et vu l’importance du train dans le développement socio-économique, n’est pas du tout un luxe. Elle n’est pas au-dessus des moyens de l’Etat malien. Simplement, il faut qu’il soit prestement regardant.
Puisse le ciel ramener la jeunesse du « Collectif Sauvons les Rails » à la raison, pour favoriser les conditions idoines d’un retour du train voyageur. Mais, ils devront surtout comprendre que leur combat est aussi celui de DBF dont l’administration ne cesse de multiplier des efforts quotidiens pour mener à bien sa mission de service public, c’est-à-dire : continuer de faire siffler le train (marchandises et voyageur) sur l’axe Dakar-Bamako.
Gaoussou Madani Traoré
Source : Le Challenger