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Oumar Sory Ly : La disparition d’un Géant

La semaine dernière les obsèques d’Oumar Sory Ly ont eu lieu en son domicile sis à Korofina Nord en présence du Chef de l’état, de nombreuses autres personnalités, alliés et d’amis.

 

C’est au doyen Amadou Djicoroni Traoré que revint l’honneur, dans une   oraison fort remarquée, de retracer la vie du défunt notamment depuis le retour de celui-ci de Kouroussa à 33 ans pour occuper le délicat poste de Chef de Cabinet du Ministre de l’intérieur  en 1957.

Tout semble y avoir été dit par Traoré et tout semble donc venir trop tard quant il s’agit d’embrasser encore la personnalité de cet Homme.

Et pourtant, que ne reste-il pas à observer, à décanter, à apprendre de lui encore tant sa vie, dans une constance supra humaine, fut un exemple.

A l’époque où il assumait les fonctions sus-indiquées, notre  génération quittait l’école primaire pour entamer, jusqu’en terminale, le cycle du lycée. Cela signifie que, près de 6  à 7 ans durant nous fumes les adolescents de l’indépendance qui évoluaient l’œil polisson, un embryon de patriotisme en bandoulière la curiosité en éveil dans l’ombre tutélaire des hommes aux affaires dont Oumar Ly.

Si l’on prenait comme abscisse une ligne allant d’un point A en un point B, c’est à dire du 22 Septembre 1960 à ce mois de Janvier 2014 comme cheminement  du Mali, nul conteste que c’est dans les années 60 qu’à vibré l’âme même de ce pays. Vibrations en fait d’élan unanime constructeur, pureté de la réflexion en matière de solidarité et d’honneur. Ce n’est peu !

 Oumar, c’est grâce à toi et à d’autres de tes compagnons que nous les adolescents, nous avons pu assister (et participer) au déroulement des phases d’un mouvement d’ensemble qui avait valu à ce pays l’admiration non pas seulement  de l’Afrique mais aussi de l’Asie.

Le Président Soekarno d’Indonésie avait placé une petite carte du Mali dans son bureau.

Et à ses visiteurs étonnés de cela, il disait vouloir, comme ce pays, réussir à rassembler les Indonésiens comme un seul homme pour les tâches de développement.

Lorsque l’indépendance fut acquise en Septembre 1960, il y eut immédiatement ainsi que l’a signalé à Korofina le discours de l’oraison funèbre, un blocage  volontaire du commerce des denrées de première nécessité tenu alors par des Français et des Libanais.

Face donc à cette épée de Domoclès subite, le Président t’a nommé à la tête de la Somiex avec 100 millions de francs pour importer ces denrées petitement enfouies in situ pour faire souffrir les populations et provoquer  chaos et chienlit déstabilisateurs.

 Le Mali d’alors a assisté à ce qui fut jusqu’à ce jour probablement sa plus belle conquête économique .C’est  à dire  faire venir vite et répandre et au même prix, toutes les denrées dans toutes les régions et pendant des années. Cette prouesse inégalée, le Mali te le doit.

A côté de la maestria technique du fait en lui-même, il y a  à remarquer l’absolue honnêteté qui t’a guidé. Alors que, fort de la confiance des autorités, tu avais les mains libres en traitant d’immenses marchés.

Si  tu t’étais enrichi, à l’heure ou plus tard le destin implacable a poussé des décideurs incapables de déceler la pureté et la noblesse de ton patriotisme à t’envoyer dans les geôles du Nord et la prison de San, ta famille n’aurait pas souffert comme elle l’a fait. En ces temps glauques que dut traverser notre pays, certains de tes enfants avaient à peine 10 ans. Il fallait que tous s’entassent comme des sardines dans les voitures des voisins pour pouvoir aller à l’école. Et ton épouse Mama, Sage femme diplômée de la dure Ecole de Dakar empruntait quant à elle les  » dourouni  » pour se rendre à la PMI de Missira afin d’exercer son art, dominant sa peine et les privations. Si tu avais mené le Somiex en pensant secrètement et indélicatement à toi-même, ces souffrances familiales d’extrême dignité n’auraient pas été là.

Tous les combats que tu as menés l’on été dans le seul objectif de faire émerger ton pays des souffrances  sans nom qui étaient son lot. Mieux, tu souhaitais  même qu’il fut, ce pays,  » premium inters parès  » (premier parmi les égaux) y compris face à des voisins qui eux ont la chance naturelle d’une façade mâtine, puissant levier de développement c’est bien connu.

Fidèle à toi-même, à ce tempérament altruiste qui aura été en fait ton moteur, à ta foi au Mali et aux Maliens invités se serrer les coudes, tu as posé dans la discrétion, des actes d’une rare noblesse. Un seul ou deux exemples suffisent pour éclairer et étayer cette affirmation :

  1. Au sortir des geôles, alors que, comme le veut la loi chez nous au Mali, seul un quart du salaire du fonctionnaire arrêté est versé à sa famille chaque mois, tu as mis en place une  stratégie. A savoir que, devenu libre maintenant, tu partageras chaque mois une partie a ton salaire devenu  intégral entre des familles de détenus, tes compagnons non encore libérés. Le tout, oui, sans tambours ni trompettes.

  1. Malgré les difficultés financières et psychologiques enveloppant ta famille, celle-ci, depuis toujours, n’a  jamais cessé d’héberger des élèves ou étudiants venus de l’intérieur pour les écoles de Bamako où ils n’avaient guère de famille ou de logeur.

 

Certains  d’entre eux ont réussi dans la vie et oubliant de regarder dans le rétroviseur, ils passent sur la rue principale d’à côté sans se souvenir de l’hospitalité offerte jadis lors de la fragile et juvénile phase des vaches maigres. D’autres à l’occasion de la Tabaski par exemple viennent en visite pour saluer des bienfaiteurs d’antan. Car ainsi est, finalement, la trame même de la vie, l’ingratitude ou, à contrario la reconnaissance se conjuguant pêle-mêle dans les dédales du commerce des hommes entre eux.

En tout cas, en ton domicile, le bâtiment  et la clôture se murmurent des confidences. Ils en ont tant vu avec le soutien offert aux enfants d’autrui, qu’in fine, ce sont eux la mémoire infinie en laquelle on puise les souvenirs et les dialogues chaleureux d’autrefois. Car, dans cette famille Ly éprouvée comme dans toutes les autres, chacun te rejoindra là où tu es désormais, les souvenirs à ce niveau se taisant au fur et à mesure. Quand l’heure fatale sonne, toutes les précautions humaines en effet deviennent vaines et le départ s’effectue.

Mais quand une vie, au regard des intérêts réels de la collectivité s’est caractérisée comme le fut la tienne, on peut affirmer à ce niveau suprême qu’elle a eu un sens !

Tu as vécu 90 ans. Prouesse. C’est dire à ta familles durement chagrinée que cette longévité était un bienfait de Dieu .Et si la douleur du décès qui l’étreint de façon ineffable s’inscrit au registre, c’est là aussi par un décret du Tout Puissant,  90 ans représentant quelque chose. Dans tous les cas, il y a lieu pour les tiens de savoir s’appuyer sur la Sourate 64 verset 11 du Coran  » At Tabagun «  (la grande perte) qui stipule ceci  » Nul malheur ne frappe l’homme  sans la permission de Dieu « 

 

Vieux et retiré dans ta thébaïde de Korofina, tu parlais peu depuis un certain temps Oumar. L’âge avancé fait de l’exercice de la parole une épreuve plutôt rude. Mais, au travers de ces longs moments de silence malaisé, on n’avait guère besoin d’être un clerc de notaire pour subodorer, deviner l’intensité concentrée de tes méditations. Ainsi, au cours des fameux dix mois mortifiants   de 2012, tu dus observer en silence ton pays (si debout après ton arrivée de Kouroussa) sombrer dans les abysses djihadistes et perdant en un tour de main son honneur, et sa souveraineté.

Des processus sombres et fugaces à tel ou tel égard font, à un moment donné ou à un autre, partie de la panoplie de chaque peuple. Mais rarement nation fière et digne aura été autant sinon  la risée des autres, du moins objet de leur compassion  comme si le Roi Midas avait perdu sa magie.

Tel qu’on te connait, puisque le calice hélas était déjà bu jusqu’à la lie, tu eus souhaité que le fier Mali se libérât du joug survenu par les efforts de ses seuls fils. Mais  enfin, il faut saluer la liberté revenue.

Chaque société au cours ou au lendemain des épreuves dures, secrète en elle même les leviers de son propre équilibre. Sans  doute avons-nous entamé aujourd’hui cette phase où  tant de processus  tendent-lentement il est vrai vers la propreté et l’intérêt réel et vigilant des Maliens.  Sous les cendres tièdes (Kidal !) de ce conflit narcodjihadiste inédit dans une Afrique pourtant tristement riche en chaos,  ton pays essaie par là même mais, sans toi et ton impressionnante moisson d’expérience à consulter, de se refaire une santé et à nouveau, un renom comme il sut en avoir jadis. Les acteurs étant ainsi appelés à dévider un fil d’Ariane qui permettent de trouver la sortie c’est-à-dire cohésion, plénitude et prémices de quelque prospérité.

Il faut  donc souhaiter dans le sillage de ta vigoureuse personnalité  que désormais et pour toujours, notre pays  ait toujours à se retrouver uniquement entre des mains expertes et patriotes loin de l’affairisme.

 Un pays est un bijou.

Dans les écritures saintes, en l’occurrence l’Evangile il est dit (Saint Mathieu chap vii) ceci «  Margaritas anté porcos « . Signification : Ne jetez pas de perles aux pourceaux.  Traduction : il ne faut pas parler à un sot des choses qu’il est incapable de comprendre. Plus loin dirait-on, il ne faut pas mettre un bijou là ou il pourrait tomber dans la fange.

Nous te pleurons tous et de façon sincère .Tant nous les sexagénaires qu’une certaine strate de nos cadets, nous sommes dans notre tréfonds à tout le moins, le fruit de vigoureux efforts s’assez solide (mais pas parfaite) vision d’il y a longtemps où ce pays était nouvellement hissé sur son piédestal.

 Un exemple : à cette époque là,  par delà le travail qui t’était confié à la Somiex puis ailleurs, tu as souvent encouragé un autre processus. Il s’agit des échanges culturels  vivifiants et d’envergure (théâtre, sport, conférences..) avec les peuples d’Asie et d’Europe.

Cela illustrait combien les Maliens, dans l’exemplarité d’un élan commun de développement, avaient souci de se laisser irriguer et ensemencer par les cultures de peuples différents. Eh bien, quand on y joint l’ardeur d’airain que les ados d’alors  mettaient dans les études et la pratique saine du sport, cela aboutit, comme dividende à cette assez bonne tenue intellectuelle et à cet aplomb du caractère qu’on peut remarquer chez nombre d’entre eux aujourd’hui, hommes murs s’ils le sont et patriotes dans l’âme par essence en général.

Chacun est construit ou se construit comme il est finalement.

Les Maliens ont, en eux-mêmes, toujours su avoir de l’estime pour des compatriotes qui ont prouvé avec constance qu’ils tiennent comme toi Oumar à certaines valeurs telles que la tolérance, le respect de l’autre, l’attention aux plus démunis, le refus de plier devant les puissants du moment souvent arrogants, d’autres fois cyniques de façon sibylline ou corrects quand même tout simplement quand ça arrive.

Dans la conjoncture actuelle où, entre autres factures déterminants, l’argent a la force d’une houle incoercible, de tels hommes  sont un peu comme une race en voie de disparition.

Peu de temps avant que tu ne deviennes exclusivement casanier, tu allais presque chaque jour, le soir venu, à la mosquée située à deux mètres de ton domicile. A ton passage, des jeunes gens regroupés autour de leur thé se levaient à chaque fois par respect, assis sous leurs arbres.

Eh bien, c’est dans ce décor, à l’heure où le crépuscule ,après toujours un soleil de plomb va délaver le ciel et étouffer les ocres des maisons  de Korofina réduisant ainsi la visibilité des jeunes gens assis, que se plaira à revenir désormais le fantôme mélancolique d’un homme âgé et invariablement serein qui a su à chaque fois là où il se trouvait, épouser avec  le cœur et les muscles son pays, les besoins légitimes de son peuple souffrant

Un souvenir personnel  pour conclure

 Dans les années 90,j’ai occupé le poste de PDG des Abattoirs Frigorifiques. Ta fille Mariame s’y trouvait en qualité d’Ingénieur en Technologies alimentaires .J’ai eu, plusieurs fois, aux heures de pause, à discuter  amplement avec elle politique, enjeux du moment, zones d’ombres ,société .Sans le lui dire, je me suis aperçu alors que les graines se sèment, les moissons existent sans ostentation et que pour toi ,là aussi, le Mali se construit en donnant à la maison une éducation saine et d’amplitude notamment au regard des critères spécifiques des données maliennes.

Avec ta disparition, on peut penser à cette assertion d’Apollinaire, assertion d’allure apparemment simplette mais néanmoins basique quand elle est juxtaposée bien à propos :<<Je suis comme le fleuve .Il s’écoule et ne tarit pas>>.

Tu n’es donc parti que physiquement.

Ta légende réelle ou exagérée s’édifie en silence dans les consciences et à cet égard, tu n’as guère tari toi non plus.

D’aucuns penseraient volontiers que ta vision du Mali, du fait que celui-ci depuis trop longtemps maintenant est rongé par des mutations sociétales douteuses, relève du rêve ou de l’utopie.

Utopie ? Peut- être ! Rêve ?  Sûrement !

Car il est aussi du devoir de tout Malien aimant fondamentalement le sol natal de rêver d’un Mali meilleur. Et alors de ne point jeter le manche après la cognée lors ou après des épreuves même très dures qui peuvent jalonner le chemin. Oumar Sory Ly,  tu as fait ce que tu as pu.

Par Dr Mantalla Coulibaly

Médecin Vét. Ecrivain, Ancien Fonctionnaire*

 

SOURCE: Autre Presse

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