Décidément l’affaire dite de l’achat de l’avion présidentiel n’a pas fini ses rebondissements. L’image de Mme Bouaré Fily Sissoko trimballée sur une civière comme une vulgaire criminelle au tribunal la semaine dernière a refroidi même les cœurs les plus durs (rappelons qu’elle est présumée innocente jusqu’à la preuve du contraire, preuve qui n’a pas pu être faite malgré la propagande qui a entouré le premier épisode du procès).
Visiblement, l’ancien ministre de la Justice Me Malick Coulibaly est encore plus sous le choc. Dans un post publié au lendemain de ce qui constitue le comble de l’inhumanité, il implore des juges de faire preuve de tempérance pour Mme Bouaré Fily Sissoko. Comme si sa conscience commence à le gronder fortement (dans le dossier, il y a eu mort d’homme, Soumeylou Boubèye Maïga, et si on n’y prend pas garde il y aura mort de femme, sans que les preuves de leur culpabilité ne soient jamais apportées), il fait une sorte de mea culpa, son honneur de Bambara est sauf. « Pour l’histoire, je porte la responsabilité morale et politique de cette procédure. Pour l’histoire, il convient de rappeler que durant 7 ans la procédure avait été classée sans suite par deux fois pour inopportunité des poursuites puis pour absence d’infraction à la loi pénale. Estimant à l’époque que suite à une dénonciation du Vérificateur Général et au limogeage de 4 membres du gouvernement du fait du scandale sur injonction des institutions de Bretton Woods (selon la presse), le Procureur de la République en charge du Pôle économique et financier de Bamako, ne pouvait décider d’un classement sans suite. Puisque le ministère public peut revenir sur un classement sans suite soit parce qu’il y a des faits nouveaux ; soit parce qu’il a simplement changé d’avis tant que les faits en cause ne sont pas prescrits, j’ai donc instruit par écrit le Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako d’ordonner au Procureur de la République en charge du pôle économique et financier la reprise de la procédure. L’explication demeure que le scandale présumé avait impacté le moral des troupes et des Maliens en général, corrodé le crédit de l’Etat et de la Justice et mis en mal l’honorabilité des personnes citées dans le dossier. Il y a donc grand intérêt à aller au bout ». Voilà ce que le ministre Malick a écrit. Visiblement on se rend compte qu’il s’agit d’aller jusqu’au bout de la vie de présumés innocents et en violation des lois.
Pour rétablir certains faits, aucun ministre n’a été limogé du fait de cette affaire encore moins du fait des injonctions des institutions de Breton Woods : Soumeylou a démissionné suite à l’affaire de Kidal ; Mme Bouaré a été remplacée à la suite d’un banal remaniement par Igor Diarra pour être envoyée à Ouagadougou comme Commissaire du Mali à l’UEMOA ; Mahamadou Camara a quitté le poste de Directeur de Cabinet du Président pour être nommé ministre chargé la communication ; Moustapha Ben Barka est resté à son poste de ministre délégué chargé des investissements avant d’être promu secrétaire général adjoint à la Présidence de la République. Donc l’argument du limogeage de 4 ministres ne tient pas la route. Le FMI avait mis la pression sur le gouvernement pour la relecture de certains textes qui encadrent les marchés publics et spécifiquement le caractère « Secret défense » pour les achats militaires. Plus que le moral des troupes ou des Maliens qui aurait été atteint ou le crédit de l’Etat, le ministre Malick a préféré céder sous la pression politique quand sa conscience lui commandait de montrer le chemin du droit.
Un dossier politisé à outrance
De son démarrage en 2014 à aujourd’hui, le dossier que d’aucuns auraient voulu sulfureux a connu de nombreux rebondissements, tous plus politiques que judiciaires ; et généralement sur fond de violation de la loi. Quand le Vérificateur général s’était saisi de cette affaire, il n’avait ni qualité ni compétence au regard des textes de loi qui encadraient l’achat des équipements militaires dans le cadre de ce qui s’appelle le Secret Défense. Les montants en jeu à l’époque des faits ont engendré une telle passion que la raison a déserté des esprits et des comportements. Le rapport du Vérificateur général a été soumis à l’appréciation de la Cour suprême, étant entendu que pour les juges le contenu des rapports du Vérificateur ne constitue pas une preuve. Le rapport de la Cour suprême est rendu public le 14 septembre 2014. Le rapport est plutôt sévère concernant les insuffisances dans les règles de gestion de la compatibilité publique, dans l’inobservance de certaines procédures, de l’absence de textes complémentaires au niveau de la réglementation. Mais le rapport conclut que « les opérations d’acquisition de l’aéronef, des équipements et du matériel militaire sont sous-tendues, sur le plan de la légalité par des textes en vigueur en République du Mali ». La Cour suprême déplore, sur le plan réglementaire, la violation de certains textes comme le paiement avec ou sans ordonnancement, l’emprunt et le visa du contrôle financier. La Cour suprême constate également que certains textes régissant les finances publiques souffrent de l’existence d’un vide juridique. Les recommandations de la Cour suprême ont poussé le gouvernement à revoir complètement l’architecture législative et réglementaire qui encadre la « chose » militaire. Le Premier ministre Moussa Mara, sous la pression des partenaires techniques et financiers invités à s’intéresser à nos dépenses militaires, a entrepris de revoir de fond en comble les textes dont ceux qui autorisent le « secret défense ». Le 25 septembre 2014, le Vérificateur général introduit un acte de dénonciation auprès du procureur du Pôle économique. Après plusieurs mois d’enquêtes, le procureur avise le contentieux du gouvernement, le 18 avril 2017, que le dossier est classé sans suite. Mais l’affaire était loin d’être close. En effet, en décembre 2019, le ministre de la Justice instruit au parquet de réouvrir les « enquêtes dans l’affaire relative à l’acquisition d’un nouvel aéronef (avion présidentiel) et à la fourniture aux Forces Armées Maliennes d’un important lot de matériels d’Habillement, de Couchage, de Campement et d’Alimentation (HCCA), ainsi que des véhicules et pièces de rechange ; laquelle affaire avait préalablement fait l’objet d’un classement sans suite ». L’actuel ministre de la Justice, Mamoudou Kassogué, était le procureur du pôle économique. Le 27 Mars 2020, il publie un communiqué pour dire qu’en « raison des graves présomptions de faits de faux en écriture, usage de faux, atteinte aux biens publics, corruption et délit de favoritisme, qui ont pu être relevées à l’encontre des nommés Soumeylou Boubèye MAIGA, Mme BOUARE Fily SISSOKO et Moustapha BEN BARKA, qui étaient tous ministres au moment des faits, le Parquet a procédé à la transmission des éléments d’enquêtes au Procureur Général de la Cour Suprême pour saisine de l’Assemblée Nationale, conformément aux dispositions des articles 613 du code de procédure pénale et 15 de la Loi portant composition, organisation et fonctionnement de la Haute Cour de Justice. Le Procureur tient à rappeler que les personnes citées sont présumées innocentes à ce stade de la procédure et que des investigations objectives, transparentes et diligentes seront menées pour faire toute la lumière dans cette affaire ». On connaît la suite. Le procureur général n’a jamais saisi l’Assemblée nationale jusqu’à ce qu’il y a eu le coup d’état du 18 août 2020. En clair, Wafi Ougadèye qui était président de la Cour suprême (il est actuellement conseiller spécial à la Présidence après avoir vainement cherché une rallonge à la tête de la Cour suprême) et le procureur général Mamoudou Timbo ont laissé passer 4 mois et 22 jours sans saisir l’Assemblée nationale. Entre temps, le procureur Kassogué est devenu le ministre de la Justice Kassogué. Après avoir tenté « d’honorabiliser » les membres du CNT pour les doter de la qualité de députés afin qu’ils puissent juger les anciens ministres, ils se disent qu’après tout la Cour suprême peut se substituer à la Haute Cour de Justice. Au prix d’innombrables violations des lois et procédures, de reniements de leurs propres actes, les anciens ministres que Kassogué procureur estimaient justiciables devant la Haute Cour de Justice ont été remis à la Cour suprême sous le magistère du même Kassogué devenu ministre de la Justice. On connaît la suite. L’ancien ministre Soumeylou Boubèye Maiga est mort en détention sans avoir été jamais jugé. L’ancien ministre Mahamadou Camara a payé 500 millions en nature sous la forme de 10 titres fonciers pour recouvrer la liberté et ne pas perdre sa santé voire plus. Mme Bouaré Fily Sissoko a refusé de payer la caution de 500 millions parce qu’elle ne les a pas et surtout parce qu’elle réclame à cor et à cris le procès tant promis aux Maliens afin de montrer à la face du monde qu’elle est innocente et que le dossier se dégonflera comme ballon de baudruche.
Ce sont là les faits monsieur le ministre. Mme Bouaré Fily Sissoko a plus besoin de justice que de tempérance. Ça lui fait 3 ans, 9 mois et 10 jours qu’elle est emprisonnée dans des conditions qui ne sont pas dignes d’elle et sans qu’on ne puisse montrer ne serait-ce que le début d’une preuve des accusations qui sont portées contre elle. Mahamadou Camara a besoin de justice, pas de payer 500 millions pour une liberté. Moustapha Ben Barka a besoin de justice pas de se voir coller un mandat d’arrêt international. La justice a besoin d’être juste.
Tiégoum Boubèye MAIGA