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Nicolas Normand, ancien ambassadeur de la France au Mali: ‘‘la France a donné Kidal aux séparatistes’’

La France a-t-elle ajouté du désordre au désordre, au Nord-Mali, depuis son opération militaire de janvier 2013 ? C’est la thèse de Nicolas NORMAND, qui sait de quoi il parle, puisqu’il a été ambassadeur de France à Bamako. Aujourd’hui, il publie aux éditions Eyrolles « Le grand livre de l’Afrique », un panorama complet des réalités politique, économique et culturelle de l’Afrique. Il était l’invité Afrique sur RFI ce jeudi 14 mars 2019.

RFI : Nicolas Normand Bonjour ?

Nicola NORMAND : Bonjour ?

RFI : Pourquoi dites-vous que la France a manqué l’occasion en 2013 de neutraliser, de désarmer tous les groupes armés du nord Mali ? Pourquoi dites-vous qu’elle a ajouté du désordre au désordre ?

Nicola NORMAND : Effectivement, je suis assez critique sur cette opération. Sur le principe, l’Opération Serval de janvier 2013 était une excellente opération. C’est-à-dire, il fallait empêcher les différents groupes djihadistes réunis de déferler vers le Sud et éventuellement vers Bamako. Le problème c’est que la France a cru ensuite distinguer des bons et des mauvais groupes armés. Certains qui étaient perçus comme politiques et d’autres qui étaient perçus comme terroristes. Et l’Armée française est allée rechercher ce groupe. C’était le MNLA et, là à l’époque, ces séparatistes touareg d’une tribu particulière qui était minoritaire au sein même des touareg,

RFI : les Ifoghas

Nicola NORMAND : Les Ifoghas, et ce groupe on est allé le chercher et on lui a donné la ville de Kidal et ensuite ultérieurement il y a eu les accords d’Alger qui mettent sur une sorte de piédestal ces séparatistes à égalité en quelque sorte avec l’Etat. Alors, ça c’est une erreur importante.

RFI : Alors, vous constatez comme tout le monde que l’Accord d’Alger de 2015 n’est pas appliquée ; notamment au niveau du désarmement. Et vous dites que les groupes touareg Ifoghas qui contrôlent la ville de Kidal notamment ont intérêt à ce qu’il ne soit pas appliqué ont intérêt au statu quo. Et que c’est l’une des raisons pour lesquelles, dans les zones qu’ils contrôlent, l’année dernière, ils ont voté massivement pour la reconduction du Président IBK ?

Nicola NORMAND : Alors, effectivement les groupes ex-rebelles signataires de l’Accord d’Alger ne sont pas mécontents des lenteurs de l’application de l’Accord d’Alger. Le problème de cet accord, si vous voulez, c’est qu’il est un peu un second couteau, quand même, c’est à dire des séparatistes et des groupes curieusement, anti-séparatiste Pro-Bamako qui sont, quand même, des groupes armés. En fait, c’était des rivalités inter-touareg au départ, entre les nobles et le tiers-état touareg qu’on appelle les Imghad. Les Imghad étaient pro-Bamako pour résister au pouvoir féodal de la noblesse Ifoghas qui, elle était séparatiste, en bonne partie, pour pouvoir résister elle-même à la démocratisation au pouvoir du nombre. Et au pouvoir de légalité, de statut entre les nobles et le tiers-état. Donc je pense que la rébellion touareg était, avant tout, une défense de privilèges féodaux d’une minorité de touareg dans la région de Kidal. Le problème de l’Accord d’Alger, c’est qu’on a donné un statut fort avantageux et toutes sortes d’avantages matériels aux signataires. Actuellement ils sont payés pour participer à des comités de gestion, il n’y a pas d’élection, il n’y a pas de désarmement immédiat. Le fait qu’ils puissent garder leurs armes jusqu’à la fin du processus, et ils ne sont toujours pas désarmés, pour l’essentiel. Ça, ça a créé à une sorte d’instabilité dans la région. Parce que les groupes, majoritairement touareg, se sont sentis un peu menacés. Donc, tout le monde s’est armé. Il y a une tribalisation armée qui s’est produite au nord-Mali.

D’autre part ceux, qui n’ont pas pris les armes, c’est-à-dire, la majorité des communautés locales ont bien vu qu’il y avait des privilèges donnés à ceux qui avaient pris les armes et donc ça a suscité aussi des troubles ils se sont dits pour avoir des avantages il faut prendre les armes

En plus l’aboutissement de l’Accord, c’est le désarmement, et ce sont des élections. Et cette noblesse Ifoghas minoritaire n’a pas intérêt à des élections. Parce qu’en ce moment-là, elle serait, sans doute, balayée par la majorité non Ifoghas.

RFI : D’où la question comment préserver les privilèges de la chefferie des ifoghas dans un système démocratique et d’égalité ?

Nicola NORMAND : Alors, je pense qu’il y a une pression très forte de la base des groupes armés pour appliquer, quand même, l’Accord d’Alger. Parce que ce sont les chefs qui bénéficient de ces privilèges. La base, eux ils espèrent être intégrés dans l’armée ou dans l’administration. Donc ils vont passer de statut de combattant sans emploi en pratique, aujourd’hui surtout, à un emploi fixe est rémunéré par l’État.

Donc, idéalement, étant donné pour l’instant que ces Ifoghas sont crispés sur leurs privilèges, il faudrait qu’ils négocient eux-mêmes avec leur tiers état. C’est à dire avec les Imghad, les tributaires Touaregs pour partager le pouvoir à Kidal. À Kidal, les Ifoghas sont minoritaires, et ils ont tous le pouvoir actuellement.

RFI : Et vous dites qu’il y a un exemple réussi, c’est au Ghana ?

Nicola NORMAND : Oui, c’est-à-dire au Ghana, c’est un exemple de réussite où les chefs traditionnels ont gardé certains pouvoirs locaux fonciers, juridiques, etc. Alors on peut s’inspirer de ça c’est tout à fait possible.

RFI : Et, vous écrivez que la stratégie actuelle de la France et de l’Europe, c’est-à-dire faire converger au nord-Mali l’action militaire et le développement ; et bien ça ne suffit pas. Il faut développer l’État régalien. Vous dites que dans les forces de sécurité maliennes, il n’y a actuellement que seize mille personnes ?

Nicola NORMAND : Oui c’est-à-dire d’une façon globale, si vous voulez, l’approche est simpliste. On applique toujours la même formule. Pas seulement au Mali, mais également en RDC ou en République centrafricaine. Il y a des troubles, on envoie une sorte de corps expéditionnaire. C’était Serval devenu Barkhane au Mali. C’était Sangaris en Centrafrique. Et ensuite, on fait une élection précipitée du président la République qui est censé redonner une légitimité au pouvoir. Et ensuite on envoie des Casques bleus pour gérer le tout. Le tout, c’est en fait le chao en général. Il faut sortir de cette approche simpliste et comprendre un peu les causes du problème. Les causes du problème c’est que l’Etat malien où évidemment l’Etat de Centrafrique s’est effondré. Parce que c’est un État très fragile et que finalement l’aide au développement elle-même a contribué à sa fragilité. Puisqu’elle a contourné l’État en s’adressant directement à la population. On n’a pas vu que l’armée s’affaiblissait était incapables pour tenir tête à des groupes armés. On n’a pas vu que la police ne fonctionnait pas bien ; on n’a pas vu que la justice ne fonctionnait pas non plus ; ne s’appliquait pas dans les zones périphériques. Et que donc beaucoup de zones étaient une sorte de Far West sans Shérif ; de friches étatiques de zones sans contrôle. À ce moment-là, des groupes armés prolifèrent. Tous ces groupes se développent lorsque l’État est faible et ne contrôle plus son territoire. Donc, je crois que, il ne s’agit pas de traiter militairement et ensuite apporter du développement. Ça, c’est trop simpliste. Il faut traiter le problème de la fragilité de l’État et de ses services fiscaux ; parce que sans fiscalité évidemment on ne peut pas payer une armée, une police et une justice et ni une éducation nationale.

RFI : Nicola Normand, merci.

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