Le M5 RFP a publié un mémorandum déterminant les revendications du regroupement, assorties d’un plan rusé de mise à l’écart du chef de l’Etat. Si la revendication originale de la démission du chef de l’Etat n’est plus de mise, il n’en demeure pas moins que le texte du M5 souffre d’insuffisance juridique qui à tout le moins, le rapproche d’un plan de pronunciamiento civil.
Je vais m’appesantir sur la proposition phare en l’occurrence l’institution d’une transition et la désignation d’un Premier ministre de pleins de pouvoirs par le M5 RFP.
La foule du M5 … et le peuple entier souverain !
Au nom de quoi un mouvement, fut-il populaire à Bamako et dans quelques localités, peut imposer au peuple entier malien une transition taillée à sa mesure ? N’est-ce pas là tous les signes d’un coup d’Etat qu’ils ne peuvent pas ouvertement assumer de peur de tomber sous le coup des sanctions prévues par les mécanismes internationaux de gouvernance ? La souveraineté appartient au peuple qui l’exprime par les voies indiquées parmi lesquelles la rue n’est pas citée. La révolte nait dans la rue et pourrait se muer en révolution sans pour autant revêtir les aspects juridiques de la souveraineté qui est une notion non fictive mais bien réelle du pouvoir de l’entièreté de la population.
La constitution précise avec clarté en son article 26 que «La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. »
Les mots choisis dans le mémorandum sont pleins d’absurdité en ce sens que tout en voulant tirer profit de la constitution en usant notamment de la désobéissance civile (article 121), le M5 pose des actes qui violent ouvertement cette même constitution. Le ton péremptoire utilisé à savoir « exige » est la preuve manifeste que le M5 confond la foule qui manifeste à Bamako et le peuple souverain en entier, défini ci-haut.
Une transition suppose une mise en parenthèse du cours normal des institutions survenue à la suite d’un coup d’Etat ou d’un incident de force majeure ayant rendu inopérante la constitution. Quel incident peut-on invoquer aujourd’hui qui pourrait justifier une transition consécutive au départ du président ? IBK est toujours en exercice et même s’il venait à démissionner, ce serait plutôt l’intérim qui sera organisé dans les conditions prévues par la constitution ; il ne sera nullement question de transition. Toute tentative dans ce sens serait faite de bric et de broc qui ne pourra résister à l’argumentaire constitutionnel.
Premier ministre de pleins pouvoirs… bis repétita !
La constitution donne au président de la République le pouvoir de nomination du Premier ministre (article 38) sans aucune condition expresse. Toutefois dans le cadre de l’apaisement du climat socio-politique, il est loisible au président de convenir avec les acteurs politiques de nommer un PM consensuel.
Cependant « exiger » que le M5 désigne le PM à nommer est une ruse qui cache la volonté de ses animateurs à obtenir le pouvoir par ce biais alors qu’ils l’avaient perdus par la voie démocratique des urnes.
La démocratie a sa quintessence dans l’existence d’une opposition forte à côté d’une majorité qui agit. Le choix consistant à faire appel à toutes les tendances pour former des gouvernements d’union nationale peut se comprendre sans se justifier par la volonté de créer à un moment donné un consensus autour de l’action gouvernementale pour faire face à des défis majeurs. Mais ces choix ont toujours montré leur extrême limite. ATT a réussi à calmer à calmer le front intérieur en associant tout le monde à sa gestion consensuelle mais cela n’a pas empêché au pays de s’effondrer.
Il ne saurait venir à l’esprit de personne de voir en France le Parti socialiste proposer des ministres dans un gouvernement des Républicains (LR) ou qu’aux USA des démocrates composent un gouvernement avec les Républicains. La démocratie, c’est par essence la règle de la majorité et de l’opposition ; l’une agissant et l’autre servant de contrepoids. Ceux qui gagnent doivent assumer leur gestion et se donner les moyens en conséquence ; ceux qui perdent ne doivent pas ruser pour gérer ; ce serait une trahison du vote populaire.
Les pleins pouvoirs ne sont pas accordés par le président de la République encore moins enjoint par un regroupement politique. Seule l’Assemblée nationale dispose de ce droit. L’accord-cadre qui a régi la transition en 2012, a prévu la désignation d’un PM avec pleins pouvoirs. « Un Premier ministre de transition, chef du gouvernement, disposant des pleins pouvoirs et ayant pour mission de conduire la transition, de gérer la crise dans le nord du Mali et d’organiser des élections libres, transparentes et démocratiques, conformément à une feuille de route, sera désigné. » (Article 6). Il s’agit là d’un régime exceptionnel qu’est la transition consécutive à la démission formelle du président ATT. Le Premier ministre Cheick Modibo Diarra a buté contre l’incongruité d’un tel arrangement qui a eu du mal à se mettre en œuvre face à un président tirant sa légitimité d’une constitution non dissoute, même si mise en veilleuse. Tous les maliens se souviennent du chaos de ce tandem formé par un président de transition politique et un Premier ministre « de pleins pouvoirs » qui avait pris sa fonction à la lettre de sa compréhension, allant jusqu’à se demander à quelle autorité remettre sa démission si le cas advenait.
A cette époque, l’accord-cadre du 6 avril 2012, vient combler un vide à l’appel de toute la classe politique dans la mesure où il était matériellement impossible de respecter le délai constitutionnel des 40 jours d’intérim au regard des soubresauts de la junte de Kati.
Or dans le cas d’espèce du mémorandum du M5, il ne peut être fait usage de cette exception puisque le président de la République n’a pas démissionné et que rien ne le contraint à cela en dehors des caprices de mauvais perdants qui veulent sa place. Dès lors que le président est en place et que les institutions fonctionnent, pourquoi invoquer une transition en cours d’un mandat légal ? Et même si le président venait à accepter la nomination d’un PM consensuel, celui-ci ne saurait exercer les pouvoirs présidentiels découlant de la constitution. Les 38, 41, 42, 45 et 50 sont des dispositions qui sont exclues du champ de délégation du PM ; vouloir passer outre par un bricolage circonstanciel, est une forfaiture. Ce n’est pas au PM qu’il revient de nommer les membres du gouvernement, tout au plus, il les propose (art 38 al.2).
Le M5 propose que le PM de pleins pouvoirs nomme aux emplois supérieurs ; ce qui est une violation flagrante de la constitution en vertu de l’article 46 qui reconnait ce pouvoir exclusif au président de la République. Les ambassadeurs par exemple, sont des diplomates plénipotentiaires qui sont accrédités auprès des puissances étrangères pour y représenter l’Etat mais aussi personnellement le président de la République ; c’est ce qui ressort des lettres de créances (Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961).
L’histoire nous apprend
De façon générale, les pleins pouvoirs sont une habilitation spéciale accordée par le Parlement à un gouvernement pour l’autoriser à prendre toutes les mesures exigées par les circonstances dans un domaine déterminé, pour une période donnée, sans recourir pour chacune d’elles au vote de l’assemblée. C’est ce que le IIIème Reich accorde à Hitler par la loi du 24 mars 1933 de réparation de la détresse du peuple et du Reich. « Maintenant nous sommes les maîtres », s’écriait Joseph Goebbels, ministre de la propagande après le vote des Pleins pouvoirs ; et ça en dit long sur l’intention des responsables du parti Nazi. Ces pleins pouvoirs ont été utilisés pour restreindre les libertés publiques, interdire des partis politiques, dérouler le plan démoniaque d’extermination des juifs, pour finir par faire du « Führer lui-même la nation, la volonté et la loi de la nation ».
En France, l’Assemblée nationale a donné par la loi du 10 juillet 1940, les Pleins pouvoirs, au maréchal Pétain à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État français. Quand le vieillard de 85 ans arrive au pouvoir, auréolé de son prestige de vainqueur de 1914-1918, il signe dans la forêt de Compiègne l’acte d’humiliation passé dans l’histoire sous le nom de l’Armistice du 22 juin 1940.
Charles de Gaulle, obtient les pleins pouvoirs par loi constitutionnelle du 3 juin 1958 par dérogation à l’article 90 de la constitution du 27 octobre 1946 afin de rédiger une nouvelle constitution (ce sera la Constitution du 4 octobre 1958).
Dans tous ces cas de figure, il s’est agi de circonstances exceptionnelles commandées par l’état de guerre ou le délitement institutionnel aggravé. Ces pouvoirs exceptionnels ont été accordés sous condition de limitation dans le temps et avec un objectif précis par le pouvoir constituant. Ce n’est jamais un mouvement de revendication en dehors du circuit institutionnel qui le « décrète ». Surtout quand ce mouvement pousse la radicalité jusqu’à refuser tout pouvoir à l’organe législatif existant et à rendre inopérante toute tentative de légiférer sur les pleins pouvoirs ainsi demandés.
Pour finir, il importe de préciser que l’article 50 invoqué pour dissoudre l’Assemblée nationale trouve sa limite dans la constitution elle-même en son aliéna 5 qui précise « L’Assemblée nationale se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels. »
Moussa Cissé
Ecrivain en France
Source : Info-Matin