Le leader du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) de Moussa Ag Acharatoumane était ce matin au micro de Christophe Boubouvier de RFI. Dans cet entretien que nous vous proposons, toutes les questions liées à la lutte contre le terrorisme dans la région de Ménaka, ont été abordées. D’autres questions non moins importantes ont également été évoquées.
RFI: Le 1er avril, un violent accrochage a eu lieu à Akabar, dans la région de Ménaka, près de la frontière entre le Mali et le Niger. Selon l’état-major français, trente jihadistes du groupe Etat islamique au Grand Sahara d’Abou Walid al-Sahraoui ont été tués. Que s’est-il passé ?
Moussa Ag Acharatoumane : Effectivement, il y a eu cet affrontement le 1er avril. Il est extrêmement important que les uns et les autres sachent qu’en réalité, il y a des opérations en cours dans cette région, qui datent aujourd’hui de presque dix mois. Tout est parti, en réalité, le 2 février, suite à un massacre dans un petit village situé à l’est de Talatay, où ces terroristes ont assassiné des vieillards de 70 ans, des jeunes de 17 ans. Vingt-quatre heures après, ils ont encore exécuté un autre marabout.
Dans ce village-là, ils ont brûlé ce qui est sacré pour tout musulman. C’est-à-dire le Coran. C’est un peu la goutte qui a fait déborder le vase. Et depuis ce jour-là, les mouvements armés qui sont présents dans cette région, particulièrement et spécifiquement le MSA (Mouvement pour le Salut de l’Azawad) et le GATIA (Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés), ont décidé de lancer une offensive contre cette organisation criminelle, qui a rendu la vie impossible.
Donc, depuis ce jour-là, il y a des opérations en cours jusqu’au 1er avril, où, effectivement, nos hommes sont tombés dans une embuscade tendue par une partie de cette organisation criminelle. Il s’en est suivi des combats très violents, lors desquels, effectivement, il y a eu beaucoup de morts. Je ne saurais dire – 30 ou 40 -, mais en tout il y a eu beaucoup de morts du côté ennemi. De notre côté aussi, on a eu plus d’une dizaine de morts. Je tiens aussi à préciser que c’est une opération dans laquelle il y avait tout le monde, l’armée malienne, le MSA et le GATIA, et aussi la force Barkhane.
Il y avait le MSA, votre propre mouvement, et il y avait le GATIA du général Ag Gamou. Ces jihadistes d’Abou Walid al-Sahraoui ont un fait d’armes. Le 4 octobre dernier, côté Niger, à Tango Tango, ils ont tendu une embuscade aux Américains. Il y a eu 4 morts chez les Américains.
Effectivement, suite à cette embuscade qu’ils ont tendue aux Américains à Tango Tango, ils ont récupéré des pick-up et un certain nombre d’armements. Et lors d’un combat qui nous a opposés à eux, dans une de leurs bases, qu’on appelle Tabardé, à quelques kilomètres d’Ifokareta, du site de Ménaka, pendant ces affrontements nous avons récupéré un certain nombre de matériels qui appartiennent, justement, aux Forces spéciales américaines. On a récupéré une voiture et quelques armes. Les contacts ont été établis pour que les Américains récupèrent leur matériel et normalement, cela va se faire très vite.
Est-ce qu’aujourd’hui, les jihadistes ont perdu du terrain dans la région de Ménaka ?
Aujourd’hui, dans la région de Ménaka, ils ont subi un coup sérieux. Ils ont été touchés pratiquement au cœur même de leur dispositif. Mais je ne dirais pas qu’ils ont été éradiqués, parce que dans cette zone-là, les populations sont complètement abandonnées. Il n’y a pas d’Etat, pas d’administration, pas de services sociaux de base. Donc du coup, avec n’importe quelle organisation criminelle, les populations ne peuvent que subir, en réalité, la pression de ces gens-là.
Vous êtes un membre éminent de la communauté touarègue des Daoussahak et vous êtes donc très bien implanté dans cette région de Ménaka, au nord-est du Mali. Est-ce qu’il est important pour le combat d’appartenir à une communauté locale ?
Je pense que c’est très important d’appartenir à une communauté locale. Je tiens à préciser qu’il n’y a pas que les Daoussahak qui sont à Ménaka. C’est vrai qu’ils sont importants sur le plan numérique, mais il y a des Imghads, des Imouchars. Il y a d’autres communautés qui vivent dans cette zone-là. Je pense que l’avantage d’appartenir à des communautés locales, c’est de connaître l’espace, d’avoir les contacts avec la population, de savoir qui rentre et qui sort. C’est pour cela que ce combat contre ces organisations criminelles ne peut réussir que si les populations locales elles-mêmes s’impliquent.
Aujourd’hui, à Ménaka, on a la chance d’avoir un gouverneur qui est très dynamique, on a la chance d’avoir un jeune président des autorités intérimaires. On a quand même réussi à créer une certaine dynamique dans cette région. C’est ce qui explique aujourd’hui les quelques avancées. Parce que je pense que c’est l’appui sur les locaux qui peut ramener la paix. C’est-à-dire partir du bas vers le haut et non partir du haut vers le bas.
Le gouverneur dynamique dont vous parlez, à Ménaka, est Daouda Maïga. Est-ce qu’il y a un partage des tâches entre les Français et vous ? C’est-à-dire que les Français sont dans l’opérationnel et vous, vous êtes surtout dans le renseignement ?
Nous sommes en réalité dans une position de légitime défense. On a été agressés, nos parents ont été tués, nos marchands brûlés, nos populations mêmes ont été souvent chassées de chez elles. On ne pouvait pas rester les bras croisés à regarder nos populations se faire terroriser de la sorte. C’est la raison pour laquelle nous avons pris cette décision de les défendre et de défendre notre espace.
Barkhane, sa mission principale, c’est de lutter contre le terrorisme. Mais c’est aux Maliens de prendre leurs responsabilités. Barkhane est une force étrangère. Elle ne peut, au grand jamais, réussir cette guerre et cette lutte à notre place. Barkhane est en train de nous aider. La Minusma aussi fait des choses. Tout ce qui se fait dans cette région, se fait aussi dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord. C’est-à-dire qu’on ne fait absolument rien qui est contraire à l’esprit de l’accord que nous avons signé. On a compris l’esprit de cet accord et localement, on s’organise pour essayer, vraiment, de le mettre en œuvre, de le matérialiser, pour que nos populations puissent en bénéficier.
Suite à la mise en place de votre mouvement, le MSA, certains soupçonnent la communauté touarègue Daoussahak d’en profiter pour régler des comptes avec la communauté peule. Le bureau des droits de l’Homme de la Minusma, à Bamako, vous met en cause dans l’exécution sommaire d’au moins 95 personnes dans la région de Ménaka depuis le début de l’année.
Justement, je tiens d’abord à préciser que nous avons rencontré la Minusma, suite à ces points de presse qui ont été faits par le chef de la division des droits de l’Homme. Et je pense que les uns et les autres ont compris qu’en réalité, ce n’était pas les faits réels qui se sont passés sur le terrain qui ont été divulgués. Donc, ces accusations-là, en réalité, ne sont pas fondées, du moment où l’acteur qui les a divulguées dans les médias n’a jamais été dans les localités qu’il a citées. Et depuis lors, un dispositif a été mis en place entre la Minusma et nous pour, désormais, prévenir ce genre de choses, et ensemble, faire un travail d’ensemble. Parce que la Minusma, c’est un partenaire qui travaille avec nous dans la région de Ménaka. On fait beaucoup de bonnes choses ensemble.
Je tiens à préciser que nous, on a toujours mis en avant le fait qu’on respecte les droit international. On respecte les normes de notre pays et nous sommes attachés aux valeurs des droits de l’Homme. Il n’y a aucune guerre qui est propre. C’est clair qu’il peut toujours y avoir des erreurs et ce n’est pas bien, aussi, de les nier. Mais les gens doivent se donner la main, se parler, se consulter et faire les choses ensemble.
La deuxième chose que je voulais préciser : nous ne sommes pas dans une guerre communautaire. Nous sommes en réalité en train de défendre nos communautés contre une organisation criminelle qui est composée – je tiens à le préciser -, de toutes les communautés, sans exception.
Vous parlez du mouvement d’Abou Walid al-Sahraoui ?
Exactement. C’est une organisation criminelle, qui est constituée de Peuls, de Daoussahak, d’Imghads, de toutes les communautés. Mais, malheureusement, on a constaté que la majorité de ces gens sont de la communauté peule. Mais il y a des Daoussahak qui sont dedans. Nous, on a arrêté des Daoussahak. Certains ont été tués, certains sont en prison.
Vos frères donc, en fait ?
Exactement. Des frères à nous. Donc, comment est-ce qu’on peut mettre le communautarisme en avant ? Autant les Peuls que les Daoussahak, que les Imghads, on est tous, au même titre, de la même manière, victimes, en réalité, de cette organisation criminelle. Les Daoussahak, les Peuls et les Imghads, par le passé, ont eu des problèmes entre eux dus au pâturage ou à l’eau. Mais au grand jamais, nous ne sommes arrivés à nous entretuer jusqu’à ce point-là. En réalité, tout cela est entretenu par des organisations criminelles, qui ont profité d’un vide et qui essaient d’opposer les communautés les unes contre les autres.
Mais n’y a-t-il pas eu des bavures de la part de vos hommes contre la communauté peule ?
Absolument pas. Je n’en ai pas connaissance. Ni par nos hommes, ni par les autres. Parce que, je tiens aussi à préciser que nous ne sommes pas seuls. On est avec des armées nationales, on est avec des armées internationales. Donc, s’il y a quelque chose qui s’est passé, normalement, on doit pouvoir en parler. Tout ce qu’on veut, c’est qu’il y ait une enquête transparente et que les acteurs viennent sur le terrain. S’il y a quelque chose qui a été fait et que cela a été fait, peut-être, par des individus isolés, on le saura et ensemble on se donnera la main pour traiter cela. Mais en aucun cas, ni des consignes, ni des ordres, n’ont été donnés à des gens pour s’en prendre à d’autres. Nous sommes dans une guerre contre une organisation criminelle. Pas contre une communauté. La communauté peuple, au même titre que la communauté Daoussahak, en réalité, est victime de ces gens.
RFI