Le monde des masques dogons est en deuil à Bandiagara, après la mort de Méba Kassogué, célèbre danseur de masques dogon.
« Le suicide de mon maître est plus que dévastateur pour moi. » Amadou Kassogué, son élève, et d’autres confrères danseurs de masques sont abattus. Le 23 juin 2019, Méba Kassogué, leur maître, célèbre à Bandiagara, s’est donné la mort. A 49 ans, il était connu comme le plus grand danseur des masques de Tenguétanga. « C’est donc un monument de sa culture que le Mali perd ainsi », confie cet habitant de Tenguétanga.
Danseur amateur à sa jeunesse, Mèba Kassogué devient au fil des années un professionnel de la danse traditionnelle. Il pratiquait la danse du masque dogon appelée « Tenguétanga » , qui se fait sur deux longs bâtons.
Star malgré lui
Aimé pour sa dextérité à manier le Tenguétanga, il a été plusieurs fois invité pour agrémenter les visites de nombreux touristes, qui se rendaient à Bandiagara, quand la stabilité régnait encore dans notre pays. En plus des touristes, les populations locales bénéficiaient du savoir-faire de Mèba lors des cérémonies et rites traditionnels, comme les funérailles de certaines hautes personnalités de la contrée. Les villages d’Anakanda, Ogossogou, Pèlou, Sassady, Diombol ont tous confirmé le talent de Mèba Kassogué.
En tant que ressortissant du village d’Anakanda, j’ai eu la chance de le voir danser en 2011, lors des funérailles de notre patriarche Ambogou Kéné. Invité d’honneur de la commune de Doucoumbo, à chaque cérémonie de la fête de l’indépendance, son passage était le plus attendu. A chaque fois qu’il faisait son entrée sur scène, il plongeait la foule dans une hystérie totale. Tous ceux qui l’avaient déjà vu à l’œuvre ne voulaient rien manquer de sa sortie. Certains mouraient d’envie de le découvrir tant son talent faisait parler de lui.
Débout sur deux bâtons de 2 mètres environs chacun, Mèba Kassogué tournait pivotait de gauche à droite, courait, sautait, s’arrêtait sur un seul pied et levait l’autre. Il ne chutait jamais, même quand les gens apeurés par ses inclinaisons croyaient qu’il pouvait tomber, contrairement aux autres danseurs de sa génération.
De Bandiagara à l’international
Son talent, reconnu au-delà des frontière du cercle de Bandiagara, lui avait ouvert des portes. C’est ainsi qu’il fut invité par l’ancien Président Amadou Toumani Touré, en 2005, lors du 23ème sommet Afrique-France pour une démonstration. Lui et son groupe ont émerveillé le président Jacques Chirac, qui l’a ensuite invité à Paris pour une prestation. Le danseur a fini par enchaîner les tournées dans beaucoup de pays Européens.
Ceux qui connaissent Meba Kassogué le décrivent comme un homme assez impulsif, qui voulait toujours avoir raison lors des disputes. Il y a 13 ans, en pleine journée, il avait voulu se jeter dans un puits après avoir reçu des propos déplaisants de la part de l’un de ses camarades de grin. Il a été sauvé in extremis par l’un de ses frères du nom de Pierre Kassogué.
Toguna
C’est toujours après les disputes qu’il n’arrivait pas à garder son sang-froid. Et c’est d’ailleurs à la suite de l’une d’entre elles que le drame est arrivé. Celle-ci avait éclaté entre lui et son frère Abbas Kassogué. Beaucoup de gens ont voulu les séparer. Plus tard, les vieilles personnes les ont convoqués sous le Toguna (arbre à palabre) où tous les problèmes se discutent, les différends sont tranchés. Au sortir de cette réunion, les anciens lui ont donné tort. Ce qui n’a pas été de son goût. Révolté, il a fait sortir un couteau de son sac qu’il portait sur l’épaule et l’a planté dans son ventre.
Par la suite, il a commencé à se tordre de douleur. Tout de suite, il a été évacué à l’hôpital de Bandiagara. Après 5 jours de soin, il a succombé à ses blessures, laissant derrière lui une veuve et quatre enfants dont deux garçons et deux filles. « C’était un initié de la société secrète des masques, qui était très respecté. Il meurt avec une connaissance qui ne sera jamais transmise, si on considère la façon dont il s’est donné la mort », confie cet autre ressortissant de Bandiagara, basé à Bamako.
« Nous devons faire un effort pour maintenir le flambeau, même si nous resterons longtemps nostalgiques de son talent », confie Amadou Kassogué, son élève, en larmes.
Source : benbere