Depuis trois semaines, les Français sont engagés en RCA et les tensions sont loin d’être apaisées. Six soldats tchadiens sont morts après des échanges de tirs avec des miliciens « anti-balaka ». La France a-t-elle les moyens d’intervenir ? Sa présence est-elle justifiée ? Le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre, professeur associé à Sciences Po, soutient l’intervention française.
RFI : Quel premier bilan peut-on tirer de la mission Sangaris en République centrafricaine, où sont engagés 1 600 soldats français ?
Vincent Desportes : La situation est évidemment loin de celle que la France espérait en envoyant son contingent. Donc, je crois que nous sommes dans la réalité de la guerre aujourd’hui. Ce type de mission d’interposition entre deux forces, au milieu de ce qu’on doit bien appeler une guerre civile, est la mission la plus délicate, la plus difficile que peut avoir à conduire une force. Cette situation n’est pas étonnante.
Il y a des pics de violence comme celui de mercredi, il y en aura encore. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes là pour longtemps. La difficulté, c’est qu’il n’y a que 1 600 soldats français et que la force africaine sur laquelle nous comptions est très loin, évidemment, d’avoir la cohérence opérationnelle qui lui permettrait de travailler côte à côte avec les Français pour stabiliser la ville. Donc, il y a une difficulté, et nous devrons très probablement aller vers un renforcement rapide et important des forces françaises.
RFI : Vous dites que c’est une mission compliquée. Pour quelle raison ?
C’est une mission très compliquée, beaucoup plus compliquée que celle du Mali. Au Mali, les forces armées françaises avaient la mission simple, ou au moins claire, de détruire un adversaire parfaitement identifié et identifiable. Là, la situation est très différente. Il s’agit de s’interposer entre des factions. Donc, nous n’avons pas à détruire, nous n’avons pas d’adversaire. Le seul adversaire, ce sont les désordres et les massacres.
Donc, les forces armées françaises ne peuvent pas utiliser tous les moyens – de feu en particulier – pour parvenir à leurs fins. Elles doivent rester à un niveau d’emploi de la force le plus bas possible et surtout – et surtout ! – ne pas prendre parti, être une force d’interposition impartiale, ce qui évidemment est très compliqué, on le voit bien, les « anti-balaka » estimant que quand on les désarme, on prend fait et cause pour les ex-Seleka et réciproquement.
David Assouline, le porte-parole du PS, a réaffirmé la nécessité de l’intervention française, qui n’est pas facile, mais qui relève selon lui du devoir de la France. Vous êtes d’accord ?
Absolument. La France a eu raison d’intervenir. Et ce n’est pas parce que la situation est difficile qu’il ne faut pas la poursuivre. La France, de toute façon, n’a pas le choix de repartir, évidemment. Mais par contre, elle doit intervenir plus rapidement, plus massivement. Vous savez, c’est l’affaire du feu ; si vous avez un verre d’eau pour éteindre un feu, le feu se propage. Donc, aujourd’hui, il faut y aller franchement pour arriver à rétablir rapidement la situation. C’est une mission qui était nécessaire et la France a bien fait d’y aller.
Par contre, il y a une contradiction entre les moyens militaires de la France, entre la politique militaire de la France et sa politique interventionniste. Interventionniste à juste titre, que ce soit au Mali ou en Centrafrique. Mais la dernière loi de programmation militaire qui a été votée la semaine dernière par le Parlement organise véritablement la dégradation de ces forces conventionnelles et terrestres en particulier, dont la politique étrangère de la France a besoin.
Sur le terrain, comment se passe le travail avec la force africaine ? On a vu qu’il y avait des affrontements réguliers au sein de la Misca…
Cela se passe évidemment de manière tout à fait difficile. Les Français ne sont pas là pour faire régner l’ordre au sein de Misca. Evidemment, l’ordre devrait régner naturellement.
Les Français ont plusieurs missions dans cette affaire-là. Ils doivent d’abord impérativement tenir l’aéroport de M’Poko, qui est le cordon ombilical entre la force française et la métropole, et par où peuvent venir les renforts. Donc, tenir cet aéroport, c’est déjà beaucoup de centaines d’hommes.
Ensuite, on le sait, une partie de la force a été envoyée dans le nord-ouest pour essayer de régler la situation dans cette partie du pays. Donc il ne reste, hélas, que quelques centaines d’hommes qui sécurisent les principaux axes allant vers l’aéroport et qui très probablement continuent leur travail de désarmement, mais dans des conditions très difficiles puisqu’on a vu que les uns et les autres commençaient à prendre parti contre la force française.
C’est pour ça qu’il faut agir vite, de manière résolue. C’est dans l’intérêt des Centrafricains et aussi dans l’intérêt de la France, puisque la France est là pour défendre ses propres intérêts sécuritaires également.
Source : RFI