La saison pluvieuse qui s’annonce dans le Sahel, devrait nous apporter fraicheur et espoir d’une bonne campagne de production agricole. Elle s’est muée par la météo politique en pluie de sanctions pour l’Etat du Mali : suspension de la CEDEAO, suspension de l’Union Africaine, suspension de la Francophonie, suspension par la France des opérations militaires conjointes avec les FAMA, suspension (pause) du traitement des décaissements de la Banque Mondiale.
Depuis les supputations et les congestions le disputent à la campagne médiatique outrancière. Oui le Mali est mis à l’index, on voudrait le faire passer comme le nième avatar du pseudo mal africain. Cependant, faire un tant soit peu, l’évaluation de ce qui restait de l’Etat du Mali, devrait incliner les grandes chancelleries à plus de compréhension et induire sinon un accompagnement bienveillant du moins une assistance dans l’épreuve. Le disant, nous ne sollicitons aucune mansuétude de mauvais aloi, juste une analyse équilibrée et non superficielle d’une situation complexe dont le prolongement indéfini aurait conduit fatalement à la descente aux enfers de notre peuple.
Boire la calice jusqu’à la lie
Passé l’émoi des premiers moments, l’opération de salubrité et de rectification entreprise depuis le 24 Mai 2021 est salutaire, elle a le mérite d’apporter la clarté dans le fonctionnement de nos institutions et s’oriente vers la recherche d’un pouvoir d’Etat mieux affirmé. Ce pays ne pouvait continuer à végéter dans un désordre généralisé perceptible à tous les niveaux (circulation routière, gestion des déchets, gestion de l’urbanisation, gestion sanitaire etc…) et paradoxe ou résultante, continuer d’entretenir une scène politique dévoyée dans les querelles de bas étage, mue par des intérêts sordides aux antipodes du progrès.
Nous savons tous, nous maliens, qu’avec l’alouette et le miroir de démocratie tropicale, le pays sombrait dans une tragédie sans fin et que chaque jour qui passait voyait le chaos s’installer davantage. Les Maliens, par leur approbation des récents évènements intervenus à Kati, par leur engagement bienveillant et par les prémisses de leur entente cordiale en gestation, veulent faire admettre à tous (CEDEAO, Union Africaine, France, Nations Unies, Union Européenne, Etats Unis, Francophonie), que leur sort et leur vécu, dépasse de loin les valeurs et principes de la démocratie de façade. A cet égard-là, le Mali de Mai 2021 est imperturbable, il fera preuve de courage et de grande résilience pour se faire entendre, pour enfin être pris en compte dans l’analyse de ses propres problèmes et difficultés, la définition de leurs solutions. Pour cela, il est prêt à payer le juste prix mais ne laissera personne inverser le cours ou perturber sa marche vers la lumière, aucun chemin de croix ne fera barrage à sa ferme résolution.
Ceci dit, la campagne anti-française de ses derniers moments relève de registres non sensés et improductifs. Du reste le” Premier Ministre” Choguel Kokala MAIGA, grand homme d’Etat devant l’éternel, au parcours constant et éloquent, l’a compris et travaille dans le sens d’une décrispation. D’ailleurs pour l’écrasante majorité des maliens (90%), nous sommes d’une génération qui n’a pas connu la colonisation, alors évitons la nostalgie du Che Guevara, sortons des livres d’histoires épiques, analysons avec plus de pragmatisme et de réalisme la situation actuelle du Mali et les vicissitudes des rapports de force.
Eviter à tout prix l’escalade et la surenchère
Oui les présentes sanctions doivent être lues et analysées dans leur contexte, avec calme et lucidité, pas de panique au panthéon. Clairement l’image et la réputation d’un Mali, mis au banc de la communauté africaine et internationale sont entamées et la prise en otage des flux financiers des projets/programmes du portefeuille de la Banque Mondiale, a des effets directs et immédiats sur les communautés à la base et plus globalement par ses effets induits sur l’investissement et la consommation, sur l’économie nationale.
Toutefois sachons relativiser les évènements, à bien analyser les sanctions, elles étaient prévisibles. Les sanctions découlent de l’application de la jurisprudence Alpha Oumar KONARE, sur le Coup d’Etat au Niger de Ibrahim Barre MAINASSARA, implémentée par la CEDEAO d’abord au rang de principes et par l’Union Africaine ensuite. Par conséquent, les autres partenaires (bilatéraux et multilatéraux) se fondent sur les règles et principes d’initiatives Maliennes énoncés dans la gestion des crises antérieures, sous cet angle certains diront que c’est un juste retour des choses.
Au-delà, les sanctions énoncées restent limitées, qu’elles soient de la CEDEAO, de l‘UA, de la Francophonie, de la France ou de la Banque Mondiale, ces sanctions ont un caractère purement conservatoire et «dissuasif». Il s’agit pour les initiateurs de tenir “la junte et l’armée” du Mali, dans les limites de temps et de niveau face à son immixtion dans la sphère politique. En cela, rien de bien grave, puisque les engagements du Colonel GOITA sont sans équivoque sur le non accaparement du pouvoir d’Etat par l’armée et le partage bien compris de sa gestion d’avec la quasi-totalité des acteurs politiques et sociaux acquis au changement. Vu sous cet angle, les choses doivent rentrer assez rapidement dans l’ordre et l’annonce prochaine de la composition du nouveau gouvernement sera un bon indicateur de la direction choisie par le Chef de la Transition et par conséquent va sceller la fin des sanctions. Mieux, l’orientation claire et la reprise en mains des affaires par le sérieux et l’ordre imprimé, dès l’amorce des premières décisions signeront le retour attendu depuis fort longtemps du Mali dans le concert des nations à un niveau et à une place qui correspondent à son rang.
Relations Franco Maliennes
La sanction particulière de la France, sous la forme d’un communiqué non pas du Ministère des Affaires Etrangères mais par celui des Armées, indiquant que «la France suspendait (à titre conservatoire) les opérations militaires conjointes avec les Forces Maliennes, ainsi que les missions nationales de conseil au profit des FAMA » et le Ministère des Armées d’ajouter que “des lignes rouges ont été posées par la CEDEAO et l’Union Africaine pour clarifier le cadre de la transition politique au Mali, il revient aux autorités maliennes d’y répondre rapidement”, a été clairement ressentie par l’écrasante majorité des maliens comme un geste inamical de grande portée dans un contexte particulier. MACRON avait pourtant prévenu, sur le plateau de Jean Jacques BOURDIN, il a répété de manière péremptoire “je n’ai pas d’amis, Monsieur BOURDIN”. Le General DE GAULLE l’ayant précédé en cela, dixit “La France n’a pas d’amis, elle a des intérêts”.
La France, par le canal choisi et le ton employé, a heurté le sentiment national malien, la menace et le diktat contenu dans la seconde manche du communiqué flirtent avec les procédures de partenariat et le respect de la souveraineté d’un Etat indépendant. Il est vrai qu’on pouvait s’attendre à une réaction française, nul besoin d’être sorti de Sciences Po pour cela, tant les mouvements et sots d’humeur d’une minorité agissante mais visible sur la présence militaire française au Mali ont été légion à Bamako. Oui, en cette période de pré-campagne électorale, Emmanuel MACRON ne se serait quand même pas laisser doubler sur sa droite par un Marine LE PEN dont la remontée soudaine dans les sondages surprend toute la galaxie politique de l’HEXAGONE.
Aussi, depuis un certain temps, des voix s’élèvent dans l’HEXAGONE, contre la présence militaire Française, et beaucoup laissent entendre que la France s’est engagée dans une guerre «ingagnable» donc dans un bourbier sans fin. Dans le contexte d’une élection présidentielle incertaine, ces polémiques ont une résonnance particulière pour un Président-Candidat.
La politique extérieure de la France avec au premier rang l’engagement des forces militaires sur les théâtres d’opération ne manquera pas de faire débat (2eme thématique à intéresser les français après le pouvoir d’achat). La France d’Emmanuel MACRON allait inévitablement bander les muscles face aux évènements intervenus au Mali. Soit, mais un message porté par le Département des Affaires Etrangères et de la Coopération, mieux outillé pour les communications politiques et diplomatiques, aurait été moins belliqueux et ressenti plus conforme de partenariat par les autorités maliennes. Ensuite, la matière de la sanction –sécurité des populations civiles–, dans son application la mesure de suspension des opérations, au-delà des missions conjointes avec les FAMA, semble touché toutes les opérations y compris terrestres (à l’exception des seuls tirs d’hélicoptères contre les terroristes repérés). Il est à craindre qu’elle ne soit reçue par les groupes terroristes comme une permission, pis un laisser-aller, un laisser-faire.
A présent, il appartient aux autorités maliennes (dès la mise en place du Gouvernement) et françaises d’organiser rapidement un cadre d’échanges sur les désaccords et dysfonctionnements constatés de part et d’autre pour avancer, chaque régime mettant sur la table ses préoccupations propres. Le minimum de principe de réalité, incline à comprendre et à admettre que nos deux pays sont obligés de cheminer dans la lutte contre le terrorisme et que seul un partenariat bien compris pourrait leur servir de cadre.
Le Président Alassane Ouattara, héritier politique de Felix Houphouët BOIGNY et quasi-doyen des Chefs d’Etat de la sous–région, qui reçoit à Abidjan le Chef de la Diplomatie Française, Jean Yves Le DRIAN à partir de la semaine prochaine (10 juin 2021), doit prolonger son leadership sur le dossier Mali. Alassane Ouattara ne manquera pas de partager sa très grande connaissance des affaires maliennes en ayant intégré les marges d’erreur d’appréciation et de casting depuis 2012, et en ayant à l’esprit que la 3eme économie de la zone UEMOA mérite toutes les attentions. L’interdépendance de nos économies et le niveau des échanges le commande, nul doute que le président Ivoirien consacrera une bonne partie du programme de la visite à jouer la médiation dans la pure tradition de la lagune Ebrié et dans le strict prolongement de l’héritage d’Houphouët.
Amadou Alpha Sissoko, contributeur
Source: Journal le Pays- Mali