Dans son livre-témoignage Mes penses perdues, Moustapha Dicko, ancien ministre d’Alpha Oumar Konaré et d’Ibrahim Boubacar Keïta, nous donne une leçon d’histoire récente du Mali. Un livre passionnant.
« Cette nuit semblait éternelle. La nuit qu’a duré le règne de Moussa Traoré : 23 années de pouvoir sans partage. Des années qui n’en finissaient pas d’étouffer le peuple malien, ponctuées de crises plus ou moins violentes, plus ou moins sanglantes. Un parti unique constitutionnel, un pouvoir militaro-civil cruel et borné. Jusqu’à ce fatidique 26 mars 1991. Le peuple prit de ses mains nues le pouvoir, recouvrant la liberté ! Au prix d’immenses sacrifices ! (…) Aucune magie, aucune démagogie, aucune volonté de réécrire l’histoire jamais n’effacera de notre mémoire la plus belle page de l’histoire de notre peuple : les années folles de janvier-mars 1991 ».
C’est par ces mots pleins d’enthousiasme que commence le livre Mes pensées perdues de Moustapha Dicko (Éditions Jamana, Bamako, 2020). À travers ce livre de 148 pages, l’ancien ministre de l’Éducation d’Alpha Oumar Konaré et de l’Enseignement supérieur sous Ibrahim Boubacar Keïta, nous donne une leçon d’histoire récente du Mali. Le livre est divisé non pas en chapitres mais en « Notes ». Dans ces « Notes », « Moustaphe », comme l’appellent les intimes, a retracé du début du multipartisme jusqu’en 2018 l’histoire au fil des pages. Nous voyons la gloire et la chute du parti Adéma-PASJ. Nous voyons Alpha Oumar Konaré se quereller avec son ancien Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta, l’actuel président de la République. Nous voyons la politique du « consensus » d’Amadou Toumani Touré devenir un cauchemar. Et nous voyons les Maliens faire confiance au candidat Ibrahim Boubacar Keïta et les désillusionner aussitôt.
Beaucoup de déceptions
Bien sûr, l’histoire que Moustapha Dicko écrit n’est pas neutre. C’est le point de vue d’un membre fondateur de l’ Adéma-PASJ, qui a vu son parti prendre le pouvoir et le perdre après dix ans de règne d’Alpha Oumar Konaré, pour ne devenir que parti « accompagnateur » des régimes successifs. Moustapha Dicko exprime surtout beaucoup de regrets. Il regrette qu’Alpha Oumar Konaré ait « jeté son dévolu sur l’homme du 26 mars », Amadou Toumani Touré, un ancien militaire et candidat indépendant, au lieu de faire confiance à un membre de son parti pour lui succéder. Il regrette que son parti se soit divisé, que les intérêts personnels et les appétits carriéristes aient triomphé avec le temps des idéaux de la « révolution de mars 1991 ». Il aurait aimé voir l’Adéma-PASJ et tous les partis qui sont « sortis de ses entrailles », notamment le Rassemblement pour le Mali (RPM, parti au pouvoir) et l’Union pour la république et de la démocratie (URD), revenir ensemble dans une grande famille similaire au « Rassemblement des houphouëtistes » en Côte d’Ivoire.
Un livre agréable
Le livre de Moustapha Dicko est très agréable à lire. On sent que c’est l’œuvre d’un passionné de littérature, docteur en philologie (littérature russe), mais qui s’exprime dans un langage beau et très accessible. Le lecteur appréciera l’honnêteté de l’auteur, qui ne cache pas les faiblesses de la classe politique malienne dont il est issu, même s’il ne dit pas tout sur la cuisine politique.
C’est un livre qui fera plaisir aux jeunes qui s’intéressent à la politique ou qui veulent faire de la politique, qu’ils soient d’accord ou pas avec l’auteur. Moustapha Dicko ne se contente pas de raconter des histoires : il nous montre un homme politique en action, en train de réfléchir sur son temps, d’élaborer des stratégies, etc. Les amoureux de la littérature apprécieront spécialement la dernière « Note », à savoir l’ « Hommage à Yambo Ouologuem ». Très émouvant !
Source: benbere