En saisissant ‘’l’Assemblée nationale d’une demande formelle à la date du 26 août 2019 afin qu’elle procède à toutes les investigations nécessaires et urgentes pour répondre’’ à des questions qu’il égrène et éventuellement à d’autres, à propos d’une ‘’cascade intarissable de scandales’’ sur l’équipement de l’Armée Soaumi champion ne se doutait peut-être pas qu’il ouvrait ainsi la boîte de pandore. Entre un Procureur qui annonce l’ouverture d’une enquête avant l’heure, un Premier ministre d’une diligence suspecte à démentir le Parquet et une Assemblée qui aura les coudées franches pour renvoyer les individus indélicats devant les juridictions compétentes, il y a de la friture.
Si le Chef de file de l’Opposition est celui qui a désiré cette ratatouille politico-judiciaire, le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Commune III du District de Bamako, en charge du Pôle Economique et Financier, Mamoudou KASSOGUE, y a apporté les ingrédients pétillants d’explosivité, pendant que le Chef du Gouvernement, le Dr Boubou CISSE, en embuscade attendait le moment propice pour lui savonner la planche.
Le déchaînement de passion
En effet, lors de son point de presse du 21 août dernier, le premier qu’il organisait d’ailleurs, depuis sa nomination, une dizaine de jours auparavant, le Procureur du Pôle économique et financier (PPEF) avait annoncé l’ouverture d’une enquête : ‘’c’est ainsi que, sans acharnement ni a priori, mais avec objectivité et détermination, nous envisageons d’ouvrir systématiquement des enquêtes sur tous les cas de corruption dont nous aurons connaissance par suite de plaintes, de dénonciations ou par d’autres voies. C’est déjà le cas, entre autres, de l’affaire dite « des avions cloués au sol » et de l’affaire dite « des ristournes de la confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton » révélées par la presse et sur une dénonciation anonyme’’.
L’opinion jubile, bientôt la fin de la tyrannie de l’impunité dont jouissent les voleurs à col blanc de la République, des fossoyeurs des deniers publics. La presse, transportée par un enthousiasme débordant (ou une naïveté affligeante), a déployé une énergie surhumaine pour porter la bonne nouvelle. La substance de son message est que l’heure de la libération du joug de la corruption a sonné. Ainsi, l’annonce du PPEF a fait de l’écho. Le Messie tant attendu est enfin arrivé et il semblait avoir déjà mis l’opinion à sa botte.
L’enjeu capital
Nonobstant ce fort retentissement de l’annonce, l’Auguste Assemblée nationale a voulu emprunter des canaux beaucoup plus officiels et certainement beaucoup plus crédibles pour s’assurer de l’ouverture effective, par le Procureur du Pôle économique et financier, d’une enquête dans l’affaire dite « des avions cloués au sol ». Elle a saisi le Parquet via le Cabinet du Premier ministre, Chef du Gouvernement.
L’enjeu de cette démarche est capital. En effet, la création d’une Commission spéciale d’enquête au sein de l’Assemblée est régie par des dispositions du Règlement Intérieur. Dans le cas d’espèce, c’est cet alinéa de l’article 90 qui pourrait être équivoque : ‘’il ne peut être créé de commissions spéciales d’enquête quand les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création’’.
La catastrophe judiciaire
Il y a quelques jours, apprend-on, la réponse du Premier ministre a atterri sur la table de l’Assemblée nationale. Tchernobyl : il n’y a de trace de l’ouverture d’une enquête judiciaire nulle part dans l’affaire dite « des avions cloués au sol ». C’est la catastrophe judiciaire. Entre le PPEF et le PM, qui a menti au peuple malien ?
L’opération de rattrapage du Procureur, entre son annonce faite en point de presse et la réponse du Premier ministre à la lettre de l’Assemblée nationale, l’enveloppe d’un manteau de doutes raisonnables. Et pour cause, le 16 septembre, c’est un Appel à témoins du Procureur : ‘’le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Commune III du District de Bamako, en charge du Pôle Economique et Financier de Bamako, rappel à l’opinion publique nationale et internationale que des enquêtes sont en cours au niveau de son Parquet sur l’affaire dite « des avions cloués au sol ».
Pour permettre l’évolution rapide et efficiente desdites enquêtes, le Procureur de la République invite toutes personnes dépositaires d’informations et/ou de documents relatifs à ladite affaire, à bien vouloir les porter à sa connaissance et/ou à les mettre à sa disposition, y compris sous anonymat’’.
Ainsi, entre le 21 août (date de l’annonce de l’ouverture d’une enquête) et le 16 septembre (date de l’appel à témoins), le Procureur n’avait absolument rien à se mettre sous la dent pour prétendre ouvrir une enquête. Abstraction faite bien sûr des dénonciations les plus officielles et les plus documentées possible du Bureau du Vérificateur général. Parce que, de constat d’évidence, ce juge affectionne le compagnonnage des ‘’Gorges profondes’’, des dénonciateurs anonymes et autres lanceurs d’alerte. Parce qu’il faut une force herculéenne, une foi inébranlable pour s’attaquer à la nomenklatura.
La confiance douchée
Pourtant, au milieu de ce paysage sombre de corruption, le PPEF était le point lumineux qui permettait de garder espoir. Mais, ses incartades remettent en cause le sentiment de sécurité naissant d’une justice juste et équitable. A-t-il délibérément servi de sinistres fariboles à une opinion assoiffée de justice pour faire briller son étoile au firmament, quand bien même des thuriféraires s’étaient acquittés de ce service plutôt exaltant pour eux ? A-t-il été freiné dans son élan par des considérations extrajudiciaires ?
Dans ce méli-mélo, entre le vrai, le vraisemblable et la fiction, la frontière est très mince. Descrea disait : ‘’quand le ciel et la mer se confondent à ne plus en voir l’horizon, c’est notre espace-temps qui se perd pour de bon…’’. C’est vrai que dans ce charivari, l’on en vient à perdre toute notion d’orientation, toute notion de temps.
Sans aller jusqu’à la rupture totale de confiance de l’opinion envers ce magistrat qui a allumé un moment la flamme de l’espoir de la lutte contre la corruption, les incertitudes sur les promesses sourdent et enflent nécessairement. A-t-on été victime d’illusion d’optique ? D’esbroufe ?
Un proverbe africain dit : ‘’le mensonge donne des fleurs, mais pas de fruits’’. Ce serait très aventureux et probablement périlleux d’exhiber les assertions sciemment contraires à la vérité d’un Procureur de la République. Mais, affirmer que la magie a montré ses limites ne mériterait pas non plus une décapitation sur la place publique du village.
L’Assemblée nationale, en accédant à la demande de l’honorable Soumaïla CISSE de créer une commission spéciale d’enquête, et en conduisant en toute impartialité les investigations, rentrera certainement dans l’histoire par la grande porte.
Affaire à suivre
PAR BERTIN DAKOUO
Source: Info-Matin