Quelques jours après le départ de la délégation conduite par l’ancien président du Nigeria Goodluck Jonathan, le Mali retient son souffle et scrute les cauris. Le rejet par le mouvement du 5 Juin, samedi dernier, du compromis proposé par la CEDEAO, prévoyant le maintien au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keïta, sonne comme le début d’une longue période d’incertitudes. Toutefois, les voies d’une solution de raison ne sont pas totalement obstruées, malgré le raidissement des différentes positions.
« Les propositions de solutions de la Mission de la CEDEAO ne correspondent absolument pas aux aspirations et attentes exprimées par le M5-RFP et portées par l’écrasante majorité du peuple malien ». Telle est la sentence prononcée par les partisans de la ligne dure du mouvement de contestation qui réclament toujours la démission du président IBK, dans un communiqué publié à l’issue de la réunion tenue avec la mission dépêchée à Bamako par la CEDEAO.
Préoccupée par l’ampleur de la crise politique au Mali, et les débordements observés ces dernières semaines qui ont occasionné de nombreuses victimes, la médiation de l’organisation ouest africaine a tenté de désamorcer une bombe qui s’ajoute à celle de la crise sécuritaire qui divise le pays depuis plusieurs années. Ce n’est pas une première. La CEDEAO a, par le passé, contribué à résoudre des crises entre États ou en interne, tels les exemples de la Guinée avec la transition du CNDD et le Niger sous Mamadou Tandja en 2009, le Mali en 2012 après le coup d’état perpétré par le général Amadou Haya Sanogo, le Burkina Faso après le putsch du général Gilbert Diendéré en 2015, la Gambie où son action (diplomatique) a permis le départ du pouvoir de l’ex-président Yahya Jammeh, et enfin la Guinée Bissau, son terrain de prédilection depuis une dizaine d’années, jusqu’à la récente élection du nouveau président Umaru Embalo. Auparavant, la CEDEAO avait fourbi ses armes au Liberia et en Sierra Leone, entre 1990 et 2000, en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2010 et au Togo en 2005.
Dans ce cadre, on peut citer le travail remarquable accompli par des personnalités, comme le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas, premier président de la Commission de la CEDEAO (2007-2010) et actuel Représentant spécial conjoint de l’UA et de l’ONU pour le Darfour et Chef de la MINUAD (en Guinée entre 2008 et 2010), cet autre ancien chef de l’État fédéral du Nigeria Olusegun Obasanjo (lors de la crise ivoirienne en 2011), ou encore le général togolais, Francis Béhanzin, Commissaire de la CEDEAO chargé des Affaires politiques, de la Paix et la Sécurité (en Guinée Bissau de 2018 à 2020).
Si la médiation conduite au Mali n’a pas connu, dès l’entame, un début de solution, c’est bien parce que le contexte géopolitique régional est particulier, avec la recrudescence des attaques jihadistes aux frontières communes entre le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, et aussi du fait de l’attitude jusqu’au-boutiste de certains acteurs politiques maliens, en particulier les animateurs du mouvement du 5 juin (M5-RFP) selon qui la démission de Ibrahim Boubacar Keïta est une ligne rouge, donc, pour eux, non négociable.
En effet, le plan de sortie de crise proposé par la CEDEAO, même s’il prévoit expressément le maintien au pouvoir du président IBK, n’en propose pas moins des points favorables aux griefs exprimés par le M5-RFP. Il s’agit, notamment de la recomposition de la Cour constitutionnelle – dont le président IBK lui-même a reconnu récemment les manquements – du réexamen du contentieux électoral et de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Des propositions qui n’ont pas eu l’heur de satisfaire les exigences des contestataires qui campent sur des positions rigides. Jusqu’à quand ?
Voilà maintenant plus d’un mois, depuis le 5 juin 2020 précisément, que la contestation règne en maître dans les artères principales de Bamako, en dépit de la double crise sécuritaire (lutte contre le terrorisme) et sanitaire (pandémie de Covid-19). Malgré les multiples appels au dialogue du président de la République Ibrahim Boubacar Keïta, l’insurrection dirigée par l’Imam Mahmoud Dicko se radicalise et occupe la rue publique. Tout a commencé le vendredi 5 juin quand plusieurs partis de l’opposition malienne ont répondu à l’appel de l’imam Dicko à manifester contre la mauvaise gouvernance. Après avoir quitté la tête du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM), en avril 2019, et causé la démission du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, Mahmoud Dicko qui avait créé quatre mois plus tard la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), est devenu de facto le leader de la contestation au Mali.
Le mouvement du 5 Juin – dont l’imam Dicko est la figure emblématique – est composé de membres de la société civile, comme l’universitaire Clément Dembélé, le président de la plateforme contre la corruption, de religieux et d’opposants politiques, dont l’ancien PM Modibo Sidibé, les anciens ministres Choguel Kokala Maïga, Mountaga Tall, Mohamed Aly Bathily, ou Jeamille Bittar, ex-président du Conseil économique et social sous l’ancien président de la République, Amadou Toumani Touré.
Que reproche le M5 au chef de l’État malien et à son régime ? Aux accusations de corruption et d’incompétence de l’administration IBK, sont venues se greffer des revendications à caractère politique avec le rejet des résultats issus des élections législatives d’Avril dernier, à caractère social avec la dénonciation de la pauvreté endémique et du chômage accru des jeunes, mais également d’ordre sécuritaire avec le bilan jugé peu reluisant des actions menées dans le cadre de la lutte contre l’insécurité dans le Nord et le Centre. Il faut l’admettre : la crise politique actuelle au Mali n’est que la suite logique du climat de suspicion et d’instabilité qui prévaut dans le pays depuis la signature, en 2015, de l’accord de paix d’Alger.
Une déstabilisation du Mali serait un précédent dangereux pour toute la sous région ouest africaine, d’où l’appel lancé par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo aux acteurs de la crise au Mali à trouver un compromis. Un effondrement politique du Mali, à défaut d’une déconfiture militaire heureusement empêchée par le déploiement de forces conjointes (MINUSMA, BARKHANE, G5 SAHEL et prochainement TAKUBA), sera durement ressenti dans le voisinage immédiat. De la Mauritanie au Niger, du Sénégal au Bénin, en passant par le Burkina Faso, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo, voire le grand Nigeria, aucun pays ne sera à l’abri de l’onde de choc dévastatrice.
La mobilisation mondiale autour de la pandémie de Covid-19 ne doit pas faire oublier la gestion des crises politiques et sécuritaires qui entravent le décollage économique du continent africain. Le jeudi 23 juillet, quatre chefs d’État se rendent à Bamako pour tenter de trouver une issue à la crise. L’Ivoirien Alassane Ouattara, le Ghanéen Nana Akufo-Addo, le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Sénégalais Macky Sall tenteront de convaincre les protagonistes à croquer ensemble la kola de la paix. Réussiront-ils à arrondir les angles et à ouvrir des perspectives heureuses ?
Cette médiation ne sera sans doute pas celle de la dernière chance car, pour vivre depuis des années le drame quotidien de militaires attaqués et de populations civiles persécutées, le Mali ne mérite pas de s’enliser dans une chienlit inextricable. Les efforts en cours doivent bénéficier d’un soutien actif de la communauté internationale, mais il appartient avant tout aux acteurs politiques maliens de prendre de la hauteur pour trouver les compromis nécessaires au retour à la confiance et à une paix durable. Ainsi, ceux qui ont perdu la vie dans les dernières manifestations n’auront pas mené un combat en vain.
Les prochaines heures seront décisives certes, mais, l’histoire l’a montré, les grands peuples survivent toujours aux épreuves. Comme le dit Philippe Bouvard, « le paradoxe qui décrédibilise les politiques : Ils ne peuvent se hisser au sommet de l’État qu’en affirmant incarner un peuple auquel, en s’élevant peu à peu, ils ne ressemblent plus du tout ».
Bonne semaine à tous !
Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE