Privés de postes à l’étranger, ils terminent parfois leur carrière en complément d’effectif au ministère des Relations extérieures. Même nommés hors du pays, ils peinent à vivre convenablement avec leur salaire.
Voici le profil du diplomate camerounais qui est mal dans sa peau. C’est un homme ou une femme diplômé de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric). Affecté au ministère des Relations extérieures (Minrex), il a toujours travaillé dans les services centraux, c’est-à-dire à Yaoundé, au quartier Nlongkak. Il n’a donc jamais occupé de poste hors du pays. Parfois même, ce diplomate désespère d’effectuer un jour une mission à l’étranger. Depuis le temps qu’il travaille, son passeport diplomatique, sans cesse renouvelé, ne lui sert à rien.
A bientôt 55 ans, l’âge de la retraite, ce haut fonctionnaire a atteint le grade de ministre plénipotentiaire, le plus élevé dans son corps de métier. Mais son salaire n’a jamais atteint 300.000 F.Cfa. Pas vraiment de quoi assumer le statut qu’il traîne désormais péniblement dans la société. Il est bel et bien diplomate, et ça compte encore aux yeux de monsieur et madame tout le monde. A l’exception peut-être du diplomate lui-même qui vit déjà son blues. Aigri mais stoïque, il n’en dit pas mot, du moins pas en public, car les apparences sont maintenues saines et sauves. « Nous avons beaucoup de problèmes, mais le diplomate ne grève pas et ne s’agite pas. Il est patient et conciliant », confie un de ces professionnels en poste au Minrex depuis 11 ans déjà.
Parfois, la désillusion arrive plus tôt encore. « Une fois au ministère, le jeune diplomate, fraîchement sorti de l’Iric, entre en contact avec les aînés qui lui racontent leurs déboires », se souvient ce cadre. « A mes débuts, j’avais pris ces plaintes pour des chimères. Mais quelques années plus tard, nous sommes tous embarqués dans le même bateau du désenchantement », poursuit-il. Son poste de sous-directeur sonne comme une consolation, même si demeure l’espoir d’être un jour nommé à l’étranger.
Paul Biya
Mais il faut rester réaliste, car le ministère regorge de nombreux diplomates ayant le grade de ministre plénipotentiaire (c’est-à-dire au moins 16 ans de service), mais qui n’ont jamais travaillé à l’étranger.
C’est le cas de la directrice des affaires d’Afrique, Chantal Mfoula, du sous-directeur Joseph Fouda Ndi et de beaucoup d’autres, à l’instar de Mme Anna Mbour, M. Abanchime, M. Bessong, Mme Ntsama, M. Tata ou encore Mme Ambassa Ntede. Il y a aussi le sort de certains qui arrivent en fin de carrière sans avoir jamais occupé le moindre poste, même pas celui de chef de bureau. « Toute une carrière passée en complément d’effectif. Il n’y a pas plus grande frustration », s’indigne un diplomate. L’amertume a fini par gagner des coeurs. « Le diplomate camerounais n’a aucun profil de carrière. Il embrasse une profession et se rend compte qu’il ne sait ni où il va, ni par où commencer, ni ce qu’il deviendra, ni même ce qu’on attend de lui », tranche un autre du haut de ses 15 ans d’expérience. « Nos problèmes viennent de la présidence de la République. Tous les diplomates vous le diront », affirme un autre mécontent. En effet, la diplomatie relève du domaine réservé du chef de l’Etat.
Le ministère des Relations extérieures comptent parmi ces administrations rattachées à la Présidence, comme le ministère de la Défense, le ministère en charge du Contrôle supérieur de l’Etat ou encore la Délégation générale à la Sûreté nationale. Plus encore, c’est le président de la République qui nomme au Minrex, jusqu’au poste de chef de bureau, ainsi que dans les missions diplomatiques du Cameroun à l’étranger. Or, Paul Biya n’y a pas opéré de mouvement depuis 2006. Voilà 9 ans que ça dure. « Il y a eu des décès et des départs à la retraite, les postes sont aujourd’hui occupés par des intérimaires. C’est aussi le cas à l’étranger », affirme un sous-directeur. Le président a même oublié de nommer dans trois missions diplomatiques du Cameroun qui sont sans personnel à ce jour, même pas l’ambassadeur.
Ce sont les missions en Angola, en Inde et en Turquie. Sur les 37 missions diplomatiques que le Cameroun compte à l’extérieur, seules 34 sont fonctionnelles, avec des effectifs quasi-inchangés. Le Cameroun n’applique pas le principe de rotation universellement consacré. C’est bien parce que ce principe est appliqué ailleurs que les missions diplomatiques présentes à Yaoundé renouvellent régulièrement leur personnel. « Nous n’avons rien à inventer. Le métier de diplomate est l’un des rares qui est régi à l’échelle mondiale », note un diplomate. Selon lui, l’exception camerounaise est une violation de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, texte complété en 1963 par la Convention sur les relations consulaires.
Exception camerounaise
« Le corps diplomatique camerounais offre un visage bien particulier : les uns s’éternisent à l’extérieur depuis plus de 10 voire 15 ans, les autres croupissent dans les bureaux à Yaoundé », s’indigne un de ces oubliés du Minrex. Pourtant, c’est à se demander si un diplomate ne peut servir qu’à l’étranger. « Qu’on se le dise bien, nous qui sommes à Yaoundé faisons exactement le même travail que nos collègues affectés à l’étranger. La convention de Vienne stipule bien qu’un diplomate assure les missions suivantes : informer, représenter, promouvoir, protéger et négocier. Ainsi dit, il peut passer toute sa carrière au pays et servir utilement », martèle un diplomate. Mais l’éternel principe de rotation est sans cesse remis sur la table. Un de ses farouches défenseurs tient à faire la précision suivante : « Le principe de rotation n’a pas été pensé au hasard. Un diplomate a vocation à voyager. Il est un éternel voyageur, pas en touriste. Il vend l’image de marque de son pays. On ne peut pas le lui enlever. C’est à ça que lui sert son passeport diplomatique. »
Pas la peine de chercher midi à quatorze heure. Pour lui, voici comment les choses devraient se passer : « Après une année d’imprégnation au ministère, le diplomate débutant demeure sur place à un poste de travail pendant 3 ou 4 années. Au terme de celles-ci, il est muté à l’étranger pour un séjour de 6 et 8 années réparties ainsi qu’il suit : d’abord 3 ou 4 ans à un premier poste, puis une affectation dans un pays d’un autre continent pour 3 ou 4 ans également. Après ce périple, il rentre au Cameroun travailler au ministère pendant 3 ou 4 années supplémentaires. Puis, il repart, cette fois vers un 3ème et un 4ème continent. Ainsi de suite. Au soir de sa carrière, il aura parcouru le monde et engrangé une somme d’expériences utiles pour le pays. Il aura un bon CV pour postuler dans des organisations internationales. C’est ce qui se passé ailleurs et c’est ce qui manque aux diplomates camerounais. »
Parasitage
Alors qu’ils sont très peu à travailler à l’étranger, les diplomates camerounais comprennent mal que beaucoup de personnes issues d’autres corps de métier soient affectées à l’extérieur. « Des nominations fantaisistes ont été faites au ministère de la Défense au point où une mission diplomatique du Cameroun se retrouve avec 14 voire 18 militaires contre un seul diplomate de formation », s’indigne un cadre du Minrex. La seule fonction qui semble encore réservée aux diplomates de carrière est celui de ministre conseiller, c’est-à-dire la deuxième personnalité après l’ambassadeur. Il s’agit d’un véritable technicien et, surtout, d’un professionnel aguerri. Les postes de premier secrétaire et de second secrétaire sont aussi dédiés aux diplomates, mais ce n’est pas toujours le cas.
Ce « parasitage » est mal vécu d’autant plus que les diplomates de formation sont encore minoritaires à la tête des missions diplomatiques du Cameroun. « C’est vrai que le poste d’ambassadeur est politique, le président nomme qui il veut. Mais nous rappelons qu’au Etats-Unis, la loi prévoit que 2/3 des ambassadeurs soient des diplomates de carrière », insiste-t-il. C’est à croire que seuls les nominations et les postes à l’étranger préoccupent les diplomates camerounais. Que non, répondent- ils.
L’un d’eux explique que le problème est plus profond et porte sur leur statut dans la Fonction publique et au sein de la société. La revendication est avant tout salariale : « Le diplomate subit une grave injustice depuis des années. Ce professionnel sort de l’Iric avec un niveau minimum de bacc + 5, pourtant il commence en catégorie A1 indice 480, pour un salaire inférieur ou égal à 130.000 F.Cfa. Or, les diplômés de l’Ecole normale et de l’Injs, qui ont le même niveau académique, sont classés en A2. Pire encore, l’Enam ne délivre pas de diplôme académique, mais cette école produit des magistrats et des administrateurs civils qui commencent avec des salaires au dessus de celui des diplomates. » En outre, le diplomate mettra au moins 16 ans pour passer les trois grades de sa profession : secrétaire des affaires étrangères, conseiller des affaires étrangères et ministre plénipotentiaire. Il ira ensuite à la retraite sans avoir jamais gagné 300.000 F.Cfa.
Débrouillardise
Et dire que nos diplomates ont encore un prestige à défendre : toujours tiré à quatre épingles, habiter une maison décente et aller en voiture. Pourtant, aucune prime n’est accordée pour préserver au moins ces apparences. Il leur reste le système débrouillardise. La mort dans l’âme, l’un d’eux, qui commence à peine sa carrière, raconte ce qui lui est arrivé ce matin : « J’ai porté mon costume avec une chemise noire, car toutes mes chemises blanches sont sales et je n’en ai pas en nombre suffisant. » Il y a de quoi se torturer l’esprit quand on ne peut même plus pratiquer convenablement cet art de l’habillement qui distingue tant le diplomate des autres. Il n’est pas au bout de ses peines.
La surcharge dans les taxis de Yaoundé ne lui pas étrangère. Avoir une voiture ne fait pas partie du confort de base, encore moins une maison Bastos, qui n’est finalement que le quartier des diplomates étrangers. Plusieurs correspondances ont été adressées à la présidence de la République et parfois au président en personne. Mais elles sont restées lettres mortes. En attendant, les diplomates continuent d’être régis par le décret n°75/773/ du 18 décembre 1975 portant statut particulier du corps de la diplomatie. Un texte devenu obsolète.