Chaque année, les vagues de la Méditerranée charrient bien plus que du sel et de l’écume. Elles ramènent des corps sans vie, des rêves fracassés, des destins interrompus. En 2024, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 8 900 personnes ont péri sur les routes migratoires, un triste record mondial. Parmi eux, une majorité de jeunes Africains, happés par le mirage d’une Europe qui semble à portée de main… mais reste inaccessible pour beaucoup.
En ce début 2025, plus de 550 migrants ont déjà perdu la vie en Méditerranée, selon Frontex. La route centrale – entre l’Afrique du Nord et l’Italie – demeure la plus meurtrière. Et pourtant, ils continuent d’affluer, portés par une soif de vivre autrement. Comme le dit un proverbe peul : « L’eau suit toujours son chemin, même dans les pierres ».
Une jeunesse en errance
L’Afrique est jeune. Près de 60 % de sa population a moins de 25 ans, une force démographique immense, mais trop souvent livrée à elle-même. Le chômage, l’instabilité, le manque d’opportunités transforment cette énergie en frustration. En Afrique du Nord, un jeune sur trois est sans emploi. En Afrique subsaharienne, les emplois informels dominent, précaires et sans avenir. Ce n’est donc pas la pauvreté seule qui pousse à l’exil, mais aussi l’ennui, l’injustice, le sentiment d’être oublié.
La migration devient alors un acte de survie. Pas seulement économique, mais aussi psychologique. « Quand le nid est trop étroit, l’oiseau vole plus loin », dit un proverbe bambara. Mais aujourd’hui, ce vol mène trop souvent à la noyade.
Une réponse insuffisante
L’Europe, au lieu d’ouvrir des couloirs humanitaires ou de faciliter la mobilité légale, a choisi de verrouiller ses frontières. Avec les accords de La Valette ou les partenariats avec des pays comme la Libye ou la Tunisie, elle délègue à d’autres la gestion de sa “crise migratoire”. Des milliards sont investis dans des barrières, des patrouilles et des centres de rétention, pendant que des milliers meurent dans l’indifférence.
L’Afrique, de son côté, peine à offrir des perspectives concrètes. Les plans d’urgence existent, mais leur mise en œuvre reste lente, morcelée. Pourtant, des alternatives sont possibles.
Semer l’espoir ici
« Le fleuve ne boit pas son eau, l’arbre ne mange pas ses fruits ». Ce proverbe yoruba nous rappelle que chacun est utile aux autres. Et cette jeunesse africaine, tant courtisée par les recruteurs de réseaux clandestins, pourrait être le moteur de la transformation du continent.
Parmi les initiatives prometteuses, on note, la stratégie YES-Africa, soutenue par l’Union africaine et l’OIT, qui encourage la formation professionnelle et l’entrepreneuriat chez les jeunes. Autre initiative louable, c’est le cas du Malawi où des accords de travail bilatéraux avec des États étrangers pour permettre des départs organisés et sûrs.
Mais au-delà des programmes, c’est un changement de mentalité qu’il faut insuffler. Valoriser les métiers locaux, créer des espaces d’expression, reconnecter la jeunesse à ses territoires, à sa culture, à son rôle dans la société. Car « quand les racines sont profondes, on ne craint pas le vent ».
Une urgence éthique
Le drame de la migration africaine n’est pas une fatalité. C’est une alarme. Il dit l’échec des modèles économiques, des systèmes éducatifs, des relations Nord-Sud. Il interroge notre humanité collective. Et il exige de chacun, gouvernant ou citoyen, une réponse à la hauteur du sacrifice de ces milliers de jeunes engloutis par la mer.
En Afrique, on dit souvent : « Si tu veux aller vite, marche seul ; si tu veux aller loin, marche avec les autres ». Il est temps de marcher ensemble. Pour que les jeunes Africains n’aient plus à choisir entre vivre sans avenir ou mourir en le poursuivant.
Ahmed M. Thiam
Source : L’alternance