Les femmes artistes au Mali jouent un rôle crucial dans la construction de récits alternatifs, tout en faisant face à une menace persistante : la désinformation. À la croisée des luttes pour la liberté d’expression, la reconnaissance artistique et l’émancipation des femmes, elles sont à la fois porte-voix et cibles.
Sur les réseaux sociaux, des fausses citations attribuées à des artistes connues circulent régulièrement, déformant leurs messages pour les discréditer. Certaines sont accusées à tort d’être « contre l’islam ou d’insulter la culture malienne », comme ce fut le cas de plusieurs chanteuses dénonçant les mariages précoces ou les violences conjugales.
Cette stratégie de désinformation vise souvent à faire taire ou à isoler les femmes qui dérangent. « Il y a un véritable enjeu politique derrière ces attaques. On cherche à délégitimer notre parole en nous faisant passer pour des femmes immorales ou manipulées par l’Occident », témoigne la rappeuse Ami Yéréwolo, régulièrement ciblée sur les réseaux.
Qu’elles soient chanteuses, comédiennes, slameuses ou plasticiennes, les femmes artistes maliennes investissent l’espace public avec des œuvres engagées. Leurs créations abordent sans détour des sujets sensibles : violences basées sur le genre, extrémisme religieux, justice et cohésion sociale ou encore conflits armés.
Cependant, cette prise de parole leur vaut souvent d’être la cible de campagnes de désinformation. « Dès qu’une femme prend la parole publiquement, surtout sur des questions sociopolitiques, elle devient vulnérable aux rumeurs, aux fausses informations et aux attaques personnelles », explique Dr. Aïssata Diarra, Sociologue spécialisée en genre et médias.
Pour Dr. Fatoumata Coulibaly dite FC, actrice, comédienne et productrice, « l’autre problème est que les populations peinent, dans le cas des comédiennes, à les dissocier des personnages qu’ils campent en des moments ou dans des productions. Nous nous mettons dans la peau du voleur, de tout ce que vous voulez. On te colle ce titre au point que certaines se marieront difficilement tôt ou carrément pas. Ce ne sont que des rôles, des interprétations et non les comportements ou caractères des acteurs ou comédiens. Il y’a 30 ans, la perception n’était pas du tout la même chose ».
Stéréotypes, stigmatisations, frustrations
« Les femmes artistes maliennes ne sont que chanteuses ou danseuses » ; « Les femmes ne peuvent pas être cheffes ou leaders dans les milieux artistiques » ; « L’art n’est pas un vrai métier pour une femme au Mali » ; « Les femmes artistes maliennes sont dépendantes des hommes pour réussir » ; « Les femmes artistes sont moins engagées que les hommes », « elles n’ont pas de légitimité dans l’art traditionnel ou contemporain » sont entre autres des discours qui circulent sur les femmes artistes selon Mariam Ibrahim Maïga, artiste plasticienne.
Kadia Kouyaté, griotte, a essuyé des déboires quant est arrivé le moment de trouver son équilibre familial. « Comme si être artiste est un péché au Mali. On nous aime quand c’est le moment de faire le show. Mais lorsqu’un homme veut te marier, on fait tout pour le dissuader en te faisant porter tous les péchés d’Israël. On pense que nous ne sommes pas des femmes de bonne moralité, sans éducation. C’est vraiment stigmatisant voire frustrant à mon avis car chacun dispose d’un don et il n’y a rien de mal à pratiquer le métier de notre choix », décrie Kadia.
« Ces désinformations ne nous atteignent pas toujours directement, mais elles nous poussent à réfléchir. Elles nous amènent à questionner notre place, à interroger les regards posés sur nous, et parfois même à redoubler d’efforts pour affirmer notre légitimité. Elles ne définissent pas qui nous sommes, mais elles révèlent ce que la société ignore encore de notre réalité », précise Mariam Ibrahim Maiga, artiste plasticienne.
Pour sa part, Kadia Kouyaté, griotte, affirme qu’il est impératif d’avoir un mental d’acier pour persévérer dans les métiers d’art au Mali et surtout s’assumer. Tous ces discours de mépris ont des objectifs, nous faire douter de nous en tant que femme. Personnellement je m’en fous et je continuerai quoi qu’il arrive. L’art de parler, de conter, de réconcilier les gens est un don divin et si Dieu m’a fait don de ça, c’est pour une raison, a-t-elle précisé.
Nous éduquons et sensibilisons à travers nos œuvres et nos prises de parole, nous remettons en question les clichés. Nous parlons dans les écoles, dans les médias, dans les communautés. Nous formons aussi la jeunesse à voir autrement. Nous investissons l’espace public et symbolique.
Nous occupons les scènes, les murs, les galeries, les festivals. Mais aussi les thèmes qui nous concernent : identité, mémoire, douleur, beauté, résistance, société. Nous refusons d’être invisibles. Nous nous formons et nous professionnalisons. Nous participons à des formations, nous développons des compétences techniques, administratives, stratégiques. Nous devenons curatrices, directrices de centres, mentors. Nous répondons avec dignité, sans violence », a-t-elle expliqué.
Face aux jugements ou au mépris, nous ne répondons pas toujours avec des mots. Mais par la constance, l’élégance et la profondeur de notre démarche artistique, exprime Mariam Ibrahim Maïga, artiste visuelle.
Aminata Agaly Yattara
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali