Depuis la crise politique de 2012 et la fin du pouvoir de feu IBK en 2020, le Mali traverse une transition marquée par une quête de souveraineté politique, des réformes institutionnelles et une opinion publique en quête de repères.
À l’heure où le Mali cherche à reconstruire ses institutions et renforcer la confiance entre gouvernants et gouvernés, un mal invisible mais redoutable gangrène les fondements de la démocratie : la désinformation. Diffusée à grande échelle sur les réseaux sociaux et parfois relayée dans des espaces médiatiques fragilisés, elle brouille les repères des citoyens, affaiblit les débats publics et polarise la société.
Selon une étude publiée par le Centre d’Analyse sur la Gouvernance au Sahel (CAGS), plus de 60 % des jeunes Maliens interrogés en 2024 déclarent avoir déjà partagé une information politique sans en avoir vérifié la source. Un chiffre préoccupant, dans un pays où la participation citoyenne repose de plus en plus sur les canaux numériques.
Les formes de désinformation sont multiples : rumeurs sur les intentions réelles de la transition, fausses déclarations attribuées à des leaders politiques ou religieux, vidéos truquées, théories du complot sur les partenaires internationaux, fausses nouvelles sur le travail sécuritaire, ces contenus, souvent viraux, influencent les perceptions politiques et créent des clivages artificiels qui peuvent être dangereux dans l’opinion.
« La désinformation ne vise pas seulement à tromper, elle vise à affaiblir la confiance dans le processus démocratique lui-même », explique Souleymane Guindo, politologue. « Elle rend le débat public confus, sape la crédibilité des institutions, et décourage la participation éclairée ».
« À l’ère du numérique, la désinformation constitue un véritable fléau pour les processus démocratiques, notamment lors des élections. Au Mali, ce phénomène prend de l’ampleur à chaque période électorale, semant la confusion, la division, et parfois même la violence », explique Ahmed Moctar Thiam, Directeur du département média et de l’intégrité de l’information à la fondation Tuwindi, une fondation qui soutient la presse et la démocratie au Mali.
« Les formes les plus récurrentes sont la diffusion des fausses rumeurs sur les partis politiques et les hommes politiques et les discours incitant à la peur ou à la violence. Ces pratiques sont généralement relayées lors des campagnes électorales, sur les réseaux sociaux et par certains médias. Nous menons des campagnes de sensibilisation à travers les radios communautaires ; la mise en place des plateformes numériques d’informations vérifiées pour contrer les rumeurs », explique Salia Kariba Traoré, Coordinateur de projets à la Coalition pour l’Observation Citoyenne des Elections au Mali (COCEM) et Expert électoral.
« Toute démocratie qui se respecte doit mettre en place des mesures et des règles pour prévenir autant que possible la circulation de fausses informations », dit-il. A son avis, sur le processus démocratique, la désinformation peut avoir plusieurs conséquences néfastes. D’abord, les institutions de la République peuvent être touchées par un manque de crédibilité et les citoyens sont largement polarisés dans leurs opinions sur les sujets de la République. De façon générale, on est soit pour, soit contre. Et cela a pour conséquence une forte division au sein du peuple.
Dans le cadre de la lutte contre la désinformation, Tuwindi a mis en place une plateforme numérique appelée Wuya (mensonge en bambara). La particularité de Wuya, c’est qu’elle génère des statistiques, par exemple par réseau social. Quel réseau social est le plus susceptible de véhiculer de fausses informations ? Quels sont les secteurs les plus touchés par la désinformation ? Est-ce la santé ? L’économie ?
Nous avons constaté que, de façon générale, c’est la politique qui génère le plus d’informations manipulées ou erronées. Ce que nous recommandons chez Tuwindi, et ce que nous faisons dans la ligne des experts mondiaux de la lutte contre la désinformation, c’est de miser sur la prévention et non sur la riposte. Car la désinformation, on peut la comparer à une maladie qui n’a pas encore de traitement. Il faut donc faire de la prévention. Et cette prévention passe par une politique d’éducation aux médias et au numérique. Il faut vraiment que cette éducation soit intégrée dans le programme scolaire, pour que nos jeunes puissent grandir avec des réflexes comme l’esprit critique, la vérification des sources, le choix des sources fiables. Il faut également encourager les vocations dans les métiers du journalisme et du fact-checking. Moins il y aura de journalistes formés à la vérification, à l’éthique et à l’anthropologie de l’information, plus la désinformation circulera.
Aminata Agaly Yattara
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali