Au-delà de la multiplication des attaques djihadistes sur des cibles militaires et civiles, l’étendue des territoires à sécuriser et le manque de moyens du G5 Sahel sont autant de difficultés pour les États.
Attaque de Dioura : 23 morts. Attaques de Boulikessi et Mondoro : 40 morts. Attaque d’Indelimane : 49 morts. C’est le triste décompte que les familles scrutent alors que les attaques se multiplient contre les camps militaires. Pour combien de temps encore ? L’action militaire contre les djihadistes au Mali montre-t-elle finalement ses limites ? La question est aujourd’hui posée par la majorité des experts, alors que la ministre française des Armées Florence Parly est arrivée au Mali ce mardi 5 novembre. Une visite qui s’inscrit dans le cadre d’une tournée dans le Sahel en proie à des attaques de plus en plus fréquentes. Vendredi, 49 militaires maliens ont été tués dans le camp d’Indelimane, près du Niger. Et un soldat français, le brigadier Ronan Pointeau, 24 a été tué samedi par un engin explosif dans le nord-est du Mali. Deux attaques revendiquées par une branche locale du groupe État islamique, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Au-delà d’avoir visé ce camp militaire, co-construit par l’armée malienne, Barkhane et la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma), les deux attaques de ce week-end semblent avoir provoqué une onde de choc dans les esprits.
Onde de choc
S’exprimant devant quelques journalistes après avoir été reçue par le président malien, Florence Parly a reconnu que « la situation sécuritaire (était) évidemment difficile ». Évoquant le doute répandu quant à la capacité de l’armée malienne à faire face, ainsi que les expressions locales de rejet de la présence des forces étrangères, elle a jugé « naturel que les citoyens s’interrogent quand des drames de cette nature interviennent ». Quelques heures avant l’arrivée de la ministre française, le président Ibrahim Boubacar Keïta dont la parole était attendue depuis vendredi a finalement appelé son pays à « l’union sacrée » derrière leur armée.
Dans un message à la nation le président malien, qui avait décrété plus tôt dans la matinée trois jours de deuil national, souligne « la gravité de la situation ». Il met en garde contre la tentation de tomber dans « le piège » de l’ennemi, « qui est de nous opposer les uns aux autres et de saper le moral de nos vaillants combattants ». « Dans ces circonstances particulièrement graves où la stabilité et l’existence de notre pays sont en jeu, notre seule réponse doit être l’union nationale, l’union sacrée autour de notre armée nationale », a-t-il dit.
La dégradation de la situation sécuritaire et les revers subis renforcent les interrogations sur la capacité de l’armée malienne à faire face aux agissements djihadistes et aux autres violences auxquelles le Mali est en proie depuis 2012 et qui ont fait des milliers de morts, civils et combattants. Ils avivent aussi la crainte que l’État et le président maliens ne soient à court de ressources.
Face aux attaques, le président malien a dit avoir ordonné récemment pour l’armée l’élaboration d’un « nouveau concept opérationnel qui donne une part importante à l’offensive ». En effet, de nombreux experts appellent depuis de longs mois à un changement de paradigme conséquent pour mettre fin aux attaques meurtrières. L’une des pistes qui semble avoir retenu l’attention du président consiste à « aller chercher l’ennemi là où il est » et ne plus seulement s’appuyer sur les camps militaires.
Les djihadistes recrutent sur WhatsApp
Il faut souligner que la menace est diffuse et amplifiée par les réseaux sociaux. « Aujourd’hui, les djihadistes recrutent sur WhatsApp. Il faut arrêter l’hémorragie », s’épuise l’imam Hama Cissé interrogé par l’Agence France-Presse dans le centre du Mali. Il a regardé, impuissant, une partie de la jeunesse « peule » rejoindre les rangs de la katiba Macina. Et son chef, le djihadiste Amadou Koufa, devenir une icône des réseaux sociaux.
L’imam Cissé « connaît bien » Koufa raconte l’AFP. Dans les années 1980, ils ont étudié ensemble le Coran. À cette époque, Koufa n’est pas encore le prédicateur qui veut imposer la charia et interdire la musique. « Griot de profession, il déclame des poèmes » en l’honneur des jolies demoiselles « contre un peu d’argent. C’est bien plus tard, après avoir achevé son éducation religieuse à l’étranger, qu’il va se radicaliser. L’homme est charismatique, sa voix haut perchée reconnaissable entre mille. Lorsqu’il commence à prêcher, le succès est immédiat. D’autant qu’il parle en fulfulde, la langue peule », apprend-on.
Ses discours enflammés passent en boucle sur les radios locales. Dans les écoles coraniques, sur les marchés à bétail, on s’arrache les cassettes audio de ses sermons. Koufa dénonce la mendicité, les injustices contre les Peuls, les grandes familles de marabouts… Les bergers surtout l’adorent. Désormais, les téléphones portables ont remplacé les transistors. Et WhatsApp, qui permet d’envoyer des messages vocaux, s’est imposée comme la « radio du Sahel » version 2.0, dans un pays baigné de tradition orale. Avec un taux de pénétration du mobile de 91 % et un accès croissant à Internet, la propagande djihadiste se répand au Mali comme une traînée de poudre jusque dans les villages les plus reculées. C’est le cas notamment à Mopti. Depuis quatre ans, la ville surnommée « la Venise du Mali » est devenue la plus instable du pays, avec près de 60 000 déplacés internes, environ 600 écoles fermées et des populations civiles prises en étau entre violences djihadistes et représailles intercommunautaires.
Pour recruter via Internet, les groupes armés cherchent à susciter l’émotion et la colère à travers des images-chocs. À chaque attaque contre des civils, chaque affrontement avec l’armée, des photos insoutenables de cadavres éventrés ou de villages brûlés sont partagées en masse sur les réseaux sociaux. Face à l’escalade des violences, d’autres Maliens se sont invités dans le débat. Érudits, marabouts ou simples commerçants, ils brisent le tabou du silence par messages vocaux interposés. Ces échanges pour l’instant virtuels pourront-ils se poursuivre au-delà, dans la vraie vie ? La question, qui revient régulièrement dans le débat public, est sensible au Mali. Dans un rapport publié en juin, l’International Crisis Group (ICG) plaidait pour l’ouverture d’un véritable dialogue, ouvert et assumé, avec des chefs du centre comme Amadou Koufa. Le centre de réflexion se veut pragmatique, faute de solution idéale : les violences se multiplient, l’État semble impuissant et le conflit s’enlise.
La question du dialogue avec les djihadistes reste posée
Bien qu’officiellement, Bamako reste opposé à l’idée de négocier, les exemples de compromis impliquant des responsables maliens sont nombreux. Dans le centre, cela a conduit en août à la signature d’accords de cessez-le-feu entre milices dogons et djihadistes de la katiba Macina, même s’ils ne sont pas toujours respectés sur le terrain. Le commerçant Ousmane Bocoum cité par l’AFP en est persuadé : il est possible de sortir les jeunes des griffes des djihadistes et ceux qui pourraient les rejoindre en « déconstruisant » leur discours. En mars, il a créé à Mopti l’Association des prédicateurs pour la préservation de l’unité et de la paix sociale.
Le piège se referme sur les zones rurales
Le jeune Ibrahim, qu’a suivi l’AFP, fut l’un des hommes d’Amadou Koufa. Un jour qu’il faisait paître ses moutons près du campement familial, des émissaires enturbannés sont venus à sa rencontre. « Tu seras bien payé et tu te battras pour appliquer la charia de Dieu », lui avaient-ils promis. À cette époque, le berger, qui peinait à nourrir ses six enfants, s’est vite laissé convaincre. « J’étais dans une telle pauvreté, je ne pouvais pas refuser », lâche le repenti dans un murmure, les yeux fixés vers le sol. Son revenu est alors multiplié par vingt : 300 000 francs CFA par mois (environ 450 euros), une fortune pour cet homme qui n’a connu que la brousse. Mais la fortune a un prix. Il lui faudra devenir un exécuteur. Quatre années durant, il sera combattant, attaquera des villages et tuera « beaucoup de gens ». Reste à comprendre comment la région de Mopti, terre de soufisme si longtemps épargnée par l’extrémisme et les rébellions, a-t-elle pu plonger en quelques années dans le chaos ? Pour certains, la situation s’est dégradée dès 2012. Lorsque des groupes djihadistes liés à Al-Qaïda ont mis en déroute l’armée malienne en s’emparant du Nord. Les populations du centre, livrées à elles-mêmes, se sont donc organisées en groupes de défense de leurs villages, avec des armes de guerre venues de Libye. Boukary Sangaré, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) et spécialiste de la zone explique que dans « la confusion qui sétait installée, les éleveurs peuls, traditionnellement nomades, se sont sentis vulnérables en brousse ». Après avoir demandé de l’aide à Bamako, « des dizaines d’entre eux vont rejoindre les groupes armés qui leur offrent protection », notamment le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), présent dans plusieurs localités à l’est de Mopti détaille, le spécialiste cité par l’AFP. Les djihadistes vont exploiter le sentiment de marginalisation des bergers peuls face à une administration et à des élites corrompues qui les traitent comme des « sans-terre », sans autres attaches que leurs troupeaux.
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Dans cette région rurale très pauvre, même avant la crise, le taux de scolarisation était le plus bas du Mali. Et les conflits pour l’accès à la terre devenaient plus violents, les sécheresses plus fréquentes, les villages plus peuplés sous la pression démographique. « Les Peuls étaient en colère. Ils dénonçaient depuis longtemps la sur-taxation des aires de pâturage, les amendes exorbitantes des Eaux et Forêts pour le moindre feu de brousse ou encore les razzias et vols de bétail menés par les bandits qui écument la région », poursuit le chercheur Boukary Sangaré.
L’opération française Serval, lancée en janvier 2013, parvient à chasser les djihadistes de la ville de Kona, à seulement 70 km de Mopti, mais ne dissipe pas le mécontentement populaire envers l’État, toujours considéré comme oppresseur.
Le soutien des forces étrangères, française, africaine et onusienne déployées au Mali « nous est plus que jamais nécessaire et c’est pourquoi je demande que nous ne nous trompions pas d’ennemis », dit Boukary Sangaré, en écho évident aux voix qui s’élèvent contre la présence de troupes étrangères dans le pays.
Source: lepoint