Au terme de sa dixième visite dans le pays du 12 au 16 mars 2018, l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali, Suliman Baldo, a exprimé ses vives inquiétudes par rapport à la détérioration de la situation des droits de l’homme au nord et au centre du pays, y compris des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Lors d’une mission du terrain à Mopti au centre de pays, M. Baldo a pu constater combien la situation sécuritaire et des droits de l’homme demeure alarmante. D’après des rapports fiables, y compris ceux reçus de notables locaux et de représentants de la société civile, à travers l’ensemble des cercles de la région, des communautés entières sont victimes quotidiennement de menaces, d’assassinats ciblés, d’enlèvements, et d’attaques indiscriminées de la part de groupes extrémistes notamment Jama’at Nusrat al-Islam Wa al-Muslmeen (JNIM), cherchant à imposer leur propre interprétation restrictive de l’Islam auprès des populations. Depuis le mois de janvier 2018, au moins 35 civils ont été tués à la suite d’exposition d’engins improvisés posés sur les axes routiers. D’autres ont été victimes de vols à main armée. Certains de ces cas ont aussi été attribués à des éléments des mouvements armés signataires de l’Accord de paix.
Par ailleurs, JNIM a aussi ciblé les forces maliennes de défense et de sécurité (FDSM) ainsi que les forces internationales, notamment la Force de la MINUSMA. Ainsi, entre novembre 2017 et février 2018, au moins 38 éléments des FDSM et 8 soldats de la MINUSMA ont été tués.
La persistance de l’insécurité a eu pour effet de paralyser l’économie locale et a poussé les services publics de l’Etat, dans le domaine de l’éducation, la santé et la justice, à quitter ces zones. A la fin du mois de février 2018, plus de 657 écoles ont été forcées à fermer dans les régions du centre et du nord, affectant plus de 190 000 élevés.
Toutefois, il y a certaines évolutions positives qui méritent d’être soulignées. L’expert a noté avec satisfaction que sur le plan politique, lors de la 23ème réunion du Comité de suivi de l’Accord pour la paix, les 15 et 16 janvier 2018, un nouveau souffle a été donné pour mettre en œuvre les dispositions clés l’Accord, en particulier en matière de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). L’Expert indépendant reconnaît qu’il est difficile de mettre en œuvre le DDR dans cet environnement complexe. Cependant, cette étape constitue un des jalons critiques pour assurer la paix durable au Mali.
«Tous les efforts pour faire avancer le processus de DDR, y compris le soutien nécessaire de la communauté internationale à travers le régime de sanctions ciblées établi pour le Mali, doivent être explorés en toute urgence», a noté M. Baldo, en ajoutant « Il y va de l’amélioration de la protection des civils».
Tout en saluant l’engagement solennel du Gouvernement du Mali à lutter contre l’impunité depuis la sortie de la crise, l’Expert indépendant a déploré le peu de progrès dans la réalisation de cet engagement. Les causes en sont multiples. Ainsi, l’insécurité, mais aussi le conflit de juridiction entre le tribunal de grande instance de la commune III de Bamako et les tribunaux du nord empêchent la justice malienne de fonctionner efficacement. L’Expert indépendant a exhorté les autorités maliennes compétentes à mettre fin à ce blocage qui nuit aux droits des victimes et n’est pas compatible avec les efforts en faveur de la lutte contre l’impunité.
Au demeurant, l’Expert indépendant est encouragé par la déclaration publié le 27 février 2018 par le Gouvernement annonçant qu’il allait ouvrir une enquête sur les évènements de Sokolo (région de Mopti) au cours desquels des allégations crédibles font état de l’exécution sommaire le 21 février, d’au moins sept personnes par des éléments des Forces Armées Maliennes (FAMa) le 21 février.
L’Expert indépendant a soulevé avec les autorités la question de l’avant-projet de loi ‘d’entente nationale’ qui risquerait d’introduire des mesures d’amnistie de fait dans le cadre du processus de paix en faveur de ceux qui sont responsables des violations graves de droit de l’homme et du droit humanitaire internationale. «J’ai précisé qu’une telle loi doit être formulée de manière à ne pas empêcher les victimes de violations graves à exercer leur droit à accéder à une justice juste et équitable, à bénéficier de réparations, et à connaitre la vérité sur les violations commises. Sans le respect de ces droits, il n’y aura pas de réconciliation possible sur le long terme» a noté M. Baldo.
En ce qui concerne la force conjointe multinationale du G5 Sahel, l’Expert a appris qu’un cadre de respect des droits de l’homme élaboré avec l’appui du bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a été accepté par le commandement de cette force. En plus, un arrangement technique a été signé entre l’organisation des Nations Unies, l’Union Européenne et le G5 Sahel en février dernier. Cet accord souligne la nécessité d’établir et de mettre en œuvre un tel cadre de conformité aux droits de l’homme et au droit international humanitaire.
L’Expert indépendant note que la communauté humanitaire au Mali requiert 263 millions USD pour répondre aux besoins de 1,56 million de personnes affectées, particulièrement en termes de sécurité alimentaire et de nutrition, de protection, d’urgences sanitaires, d’eau, d’hygiène, d’assainissement et d’éducation. «La pleine jouissance des droits économiques et sociaux et des services de base, ce qui manque dans certaines parties du centre et du nord du pays, est fondamentale. Il faut que le Mali, avec l’aide de la communauté internationale, bénéficie d’une coopération technique et d’appui financier dans ces domaines».
Quant aux élections, l’Expert a dit que «l’élection présidentielle doit être véritablement libre et équitable, conformément aux normes internationales et tenue dans une atmosphère respectueuse des droits humains fondamentaux, et à quatre mois de l’élection j’ai mis un accent dans mes discussions sur la nécessité de mettre des mesures appropriées en place».
Au cours de sa visite, M. Baldo a rencontré des membres du Gouvernement du Mali, des représentants de la société civile, y compris des associations de victimes, des leaders religieux et traditionnels, ainsi que des membres du corps diplomatique et l’équipe pays des Nations Unies.
L’Expert indépendant présentera son rapport sur la situation des droits de l’homme au Mali au Conseil des droits de l’homme, le 20 mars 2018.
Source: Kibaru