Ibrahim Boubacar Keïta, comme un désaveu au jusqu’au-boutisme de la Cedeao, demande à ses ex-homologues de soutenir un processus de transition qui privilégie la paix et la stabilité au Mali. Sa volonté de tourner la page d’une présidence écourtée affaiblit la médiation ouest-africaine et place la junte en meilleure position de négociation.
Malgré le forcing acharné de ses ex-homologues de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), Ibrahim Boubacar Keïta est décidé à prendre sa retraite anticipée de Président de la République du Mali après le putsch militaire qui l’a écarté du pouvoir le 18 août dernier et gardé captif.
Aux médiateurs ouest-africains venus prendre de ses nouvelles sur son lieu de détention, IBK a «confirmé qu’il maintenait la déclaration qu’il avait faite relative à sa démission en toute liberté et en son âme et conscience car il demeure convaincu que cette décision est nécessaire pour la paix et la stabilité du Mali». Ces propos sont contenus dans le rapport du médiateur de la Cedeao rendu public ce 27 août.
C’est dans la soirée du 19 au 20 août que l’ancien dirigeant malien, alors détenu par le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avait exprimé à la télévision publique malienne sa volonté de quitter définitivement toutes les charges liées à ses fonctions de Président de la République. Mais telle n’était pas la position de la Cedeao.
En première ligne pour condamner «un acte inacceptable», l’institution régionale gardienne du protocole de bonne gouvernance démocratique en Afrique de l’Ouest avait exigé un retour à l’ordre constitutionnel ante non négociable et encouragé ses membres à étouffer le Mali par l’embargo à ses frontières.
Dans ses remarques aux émissaires de la Cedeao, l’ancien chef d’État «souhaite que le pays s’engage dans une transition politique afin de normaliser rapidement la situation pour que le Mali retrouve sa place dans le concert des nations». Soucieux que son pays fasse front pour relever «les défis que sont le terrorisme, le Covid-19 et le développement économique», IBK a indiqué à ses visiteurs que la Cedeao devait «accompagner le processus» de normalisation car «cette nouvelle direction est celle que doit prendre le Mali».
«L’échec de la Cedeao est patent à deux niveaux: l’embargo décrété contre le Mali ne fonctionne pas et la restauration de l’ordre constitutionnel s’avère pour le moment impossible. Le fait qu’Ibrahim Boubacar Keïta ait décidé souverainement de ne pas revenir au pouvoir affaiblit la médiation initiée par les chefs d’État et place la junte dans une posture qui n’est pas défavorable dans le processus de négociations», explique à Sputnik Mamadou Sy Albert, politologue et journaliste sénégalais.
Jusqu’au bout, les émissaires de la Cedeao auront tenté de faire revenir IBK dans le giron des chefs d’État, émettant même le vœu de le rencontrer une dernière fois avant de quitter Bamako, le 24 août dernier.
Mais l’ancien dirigeant est resté inflexible, demandant au médiateur Goodluck Jonathan «de confirmer au Sommet que sa déclaration était libre». Préoccupé par son propre état de santé, il souhaite maintenant «effectuer hors du pays un contrôle médical -dont le délai est déjà dépassé- à la suite d’une opération chirurgicale».
«Pour les chefs d’État de la Cedeao, il reste l’option de sauver la face en convainquant la junte d’accepter une transition civile dirigée par un civil sur une courte durée. Cela pourrait permettre à l’opposition malienne, plutôt favorable au putsch, de revenir dans la partie. L’enjeu de pouvoir est énorme. C’est pourquoi la question fondamentale à poser est de savoir si la Cedeao est vraiment prête à soutenir la stabilité du Mali», analyse Mamadou Sy Albert.
Ce 28 août, les dirigeants de la Cedeao se retrouvent en visioconférence pour un deuxième Sommet extraordinaire sur le Mali en une semaine. Tiendront-ils compte des différentes évolutions de la crise malienne?