Certains “experts” présentent la crise sécuritaire du Mali dans les médias occidentaux sous l’angle ethnique ou racial. Leur intention, c’est de nous monter les unes contre les autres.
Ce que ces ‘’spécialistes’’ de la question touarègue essaient de cacher à l’opinion publique internationale, c’est que de l’empire du Ghana à l’empire du Songhaï, en passant par l’empire du Mandingue, les Noirs et les Blancs ont toujours vécu ensemble pendant des siècles chacun respectant l’autre avec ses identités culturelles et cultuelles. Tantôt les Noirs prenaient le dessus sur les Blancs dans le contrôle et l’exercice de l’autorité publique de l’empire, tantôt c’est l’inverse. Mais dans tous les cas, ils avaient développé des mécanismes sociaux leur permettant de réguler les rapports de force.
Nous avons connu des grands conquérants aussi bien parmi les Blancs que parmi les Noirs. Ces derniers disposaient des captifs de guerre, les Blancs en avaient également. Les Noirs étaient sédentaires et pratiquaient l’agriculture, la chasse ou la pêche. Les Blancs s’occupaient de l’élevage, du commerce et parfois de l’artisanat. Les Blancs donnaient en mariage leurs filles aux Noirs et les Blancs avaient eux aussi des épouses noires. Les Noirs étaient animistes dans la plupart des cas et les Blancs musulmans. La razzia était pratiquée à la fois par les Blancs et les Noirs. Mais ces razzias n’ont aucune ressemblance avec les attaques terroristes d’aujourd’hui, où on brûle des villages entiers sans aucune distinction entre les humains et les animaux. Bref, dans tout l’espace soudano-sahélien, la couleur de la peau n’a jamais été un obstacle pour l’acceptation de l’autre et le vivre ensemble. Dans un tel contexte, qu’est-ce qui pourrait bien justifier une revendication territoriale basée uniquement sur la couleur de la peau ? Rien, absolument rien!
L’irrédentisme touareg ne saurait être réduit à une simple question d’hommes bleus du désert en insurrection permanente contre un État postcolonial dirigé par des hommes noirs. Le Niger, l’Algérie et même la Libye disposent d’une forte communauté touarègue au sein de leurs populations respectives. Cependant, dans aucun de ces pays la France n’a jamais entrepris une propagande en faveur de l’autonomie ou la régionalisation poussée, à plus forte raison envisagé la création d’un État touareg. De même que le Mali, la Mauritanie, le Niger et l’Algérie disposent d’un espace très grand dont le contrôle et la gestion sur le plan sécuritaire posent d’énormes difficultés. Pour autant, les groupes armés terroristes n’ont jamais réussi à mettre la main sur l’appareil d’État ou à partager le pouvoir de décision avec les élus politiques. Dans ces pays, l’État demeure très fort et les décideurs politiques ne sont pas directement associés aux différents trafics criminels. Le Mali démocratique serait-il devenu un narco-État ? Eh oui !
L’injustice sociale, l’impunité, la cupidité et la mauvaise gestion des deniers publics pendant plusieurs décennies ont fini par créer un profond malaise social qui est en train d’être exploité aujourd’hui par les narcotrafiquants et les groupes armés terroristes. La nature ayant horreur du vide, là où l’État central est absent, n’importe qui pouvait s’installer en exploitant la misère, l’ignorance et le chômage des populations locales.
Après 59 ans d’indépendance, les Maliens vivent l’enfer au quotidien à travers la pénurie d’eau potable, de pâturages, de soins de santé, d’infrastructures routières, etc. La région de Kidal n’est-elle pas la seule au Mali où l’on doit parcourir plus de 100 kilomètres entre deux points d’eau ? Cette violence ressentie dans le quotidien par les jeunes, les femmes et les légitimités traditionnelles finit toujours par la révolte populaire ou la rébellion. Les victimes meurtries et humiliées finiront par réaliser que la pauvreté dans ce pays n’est pas une fatalité, mais la résultante d’un système imposé et entretenu par une bourgeoisie compradore, sous le couvert fallacieux d’une démocratie dite représentative. Tant que le mal n’est pas guéri à la racine à travers une bonne répartition des revenus du pays entre le sommet et la base, aucun accord politique de sécurité ou de gouvernance ne peut venir à bout des rébellions ou autres révoltes populaires.
Les Maliens doivent comprendre que notre manière de communiquer par rapport à la question touarègue en cette période de crise sécuritaire doit évoluer. Nous devons éviter de tomber dans le piège de la stigmatisation et de la catégorisation tendu par les stratèges de l’Otan qui n’ont d’autres visées que les matières premières stratégiques dont regorge le septentrion malien. Les Touaregs ne sont pas des diables comme on tente de nous le faire croire. La communauté touarègue ne souffre pas plus que les autres communautés du pays. Les hommes bleus du désert ne valent pas mieux que les autres ethnies du grand Nord. Nous sommes tous des Maliens et nous sommes tous les victimes d’un même système qui ne se nourrit que de notre division.
Sambou Sissoko
Source: Le Démocrate