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Mali : comment en est-on arrivé là ?

Alors qu’une délégation de la Cedeao est à Bamako pour aider à résoudre la crise qui oppose le mouvement du 5 Juin agrégé autour de l’imam Dicko et le pouvoir, la situation semble devenue incontrôlable.

 

Il n’y aura pas demain, vendredi 17 juillet, de rassemblement à Bamako comme on en a pu voir les 5 et 19 juin, puis le 11 juillet. Le mouvement de contestation dit du 5 Juin, qui réclame le départ du pouvoir en place au Mali, y a renoncé et a décidé de reporter dans un contexte hautement volatil, a indiqué Ahmadou N’Dounga Maïga, porte-parole d’une composante du collectif qui porte communément ses messages mercredi soir. Ce seul geste suffira-t-il à apaiser les esprits ? Rien n’est certain. La situation a très vite dégénéré il y a une semaine, après que le troisième rassemblement de la contestation s’est transformé en trois jours de troubles civils, les plus graves qu’ait connus la capitale depuis 2012.

Une importante délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, avec à sa tête l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, est arrivée mercredi 15 juillet à Bamako pour trouver des pistes de sortie de crise.

Entre-temps, le discours du mouvement qui bénéficie du soutien d’un large éventail d’acteurs, dont l’imam Dicko, s’est durci. Il dit ne plus réclamer qu’une chose, la démission du président. Comment le pays en est-il arrivé là, quelles sont les causes et quelles issues sont possibles aujourd’hui ?

La crise était-elle prévisible ?

Le Mali s’enfonce dans la crise depuis les insurrections indépendantistes et djihadistes de 2012. Ibrahim Boubacar Keïta a accédé à la présidence en 2013 avec une image de sauveur. Sept ans après, la colère gronde : devant les violences en tous genres, devant l’impuissance de l’État face aux groupes liés à Al-Qaïda et à l’organisation État islamique, devant l’état des routes et des hôpitaux, les coupures d’eau et d’électricité, l’insécurité alimentaire, une pauvreté extrême affectant plus de 40 % des 20 millions d’habitants, selon la Banque mondiale. Et devant une élite accusée de se partager le gâteau. Les images récemment diffusées à son insu du fils du président prenant du bon temps sur un yacht à l’étranger n’ont fait que confirmer les a priori.

Qu’est-ce qui a changé ?

La colère s’était exprimée à maintes reprises sous différentes formes. Mais « elle n’a jamais été aussi forte », dit Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Bamako. Et cette fois, « elle a un visage, elle a un porte-parole, dans lequel beaucoup se retrouvent » : l’imam Mahmoud Dicko, pourfendeur de la corruption et défenseur de valeurs religieuses et sociales traditionnelles et d’une nation « humiliée ».

Beaucoup des leaders du mouvement du 5 Juin (M5), qui s’est aggloméré autour de lui, font partie du système, avec des agendas antagonistes. L’imam lui-même a participé à sa manière à l’exercice du pouvoir. Mais aujourd’hui il canalise les mécontentements.

L’imam Dicko, c’est « l’émergence d’un type charismatique qui, à défaut de trouver des réponses, pose les mêmes questions que les Maliens », dit Bakary Sambé, directeur du think tank Timbuktu Institute.

Quel a été le déclencheur ?

Le pouvoir a maintenu les législatives de mars-avril alors que les conditions pouvaient difficilement être plus défavorables. Le coronavirus venait de faire son apparition, et le leader d’opposition Soumaïla Cissé venait d’être enlevé. Il serait entre les mains des djihadistes.

Après les élections, la Cour constitutionnelle a inversé une trentaine de résultats, dont une dizaine au profit du parti du président, avivant la défiance envers les institutions.

Des partis d’opposition et des organisations de la société civile ont fait alliance avec l’imam Dicko. Le premier rassemblement qui donnera son nom au mouvement le 5 juin fédère les dépits, des enseignants, des jeunes…

Où en est-on ?

Le dernier rassemblement à l’appel du M5 le 10 juillet a dégénéré en trois jours de troubles sanglants qui ont fait au moins 11 morts.

Ces dernières semaines, le président a tenté plusieurs ouvertures, dont la dissolution de la Cour constitutionnelle, pour pouvoir revenir sur les résultats des législatives. Aucune n’a surmonté l’intransigeance des leaders du M5. Ils disent ne plus avoir d’autre objectif que la démission du président. Ils proclament la « désobéissance civile ».

Le président peut-il démissionner ?

« Je ne l’écarte pas totalement », répond Ibrahim Maïga. Sa « stratégie des petits pas n’a fait qu’aggraver les choses », dit-il. Son offre de gouvernement d’union nationale revient à remettre les mêmes personnages dans le même système. Or « ce système-là est à bout de souffle. On ne peut plus coopter, cela ne suffira pas à calmer la colère ».

« Le rouleau compresseur est en marche. Seules des décisions fortes peuvent arrêter ce cycle de la violence », dit, comme d’autres experts, Brema Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako.

Cela peut-il mal tourner ?

C’est l’inquiétude, avec un pays où les violences se sont propagées aux voisins et dans un Sahel lui-même dans la tourmente. Le pire n’est pas sûr mais ne peut être exclu, disent les experts.

« La crainte, c’est que le mouvement n’en arrive à être hors [de] contrôle », dit Bakary Sambé. L’imam Dicko « tient encore les rênes », mais quid des autres leaders du M5 auxquels son appoint donne pour la première fois « l’opportunité » d’en découdre avec des chances de succès contre le président.

L’imam Dicko est aussi « pressé par sa base radicale qui ne voit pas de salut en dehors d’un chaos total », dit le chercheur à l’Institut d’études de sécurité. A contrario, certains au M5 se verraient bien dans un scénario « où on fait du neuf avec du vieux ». Et l’imam Dicko ne chercherait pas l’escalade, selon les experts. Mercredi soir, le M5 a annoncé le report d’un rassemblement à risques prévu vendredi. Il s’est contenté d’invoquer des « raisons hautement stratégiques ».

 

Le Point Afrique (avec AFP)

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