Plongé dans une crise profonde, causée en partie par l’irrédentisme de certains de ses fils en alliance à des terroristes islamistes sur fond de dé- stabilisation de tout le Sahel, le peuple malien plaça tout son espoir dans l’élection présidentielle de 2013. Cette crise mit au grand jour la réalité d’un État effondré qui n’était plus que l’ombre de lui-même. Miné par des maux comme la corruption et la délinquance financière à col blanc notre État a progressivement cessé de jouer son rôle. La sécurité, la défense et la justice ne furent plus portées par lui. Dans de nombreuses localités dans le Nord du pays des milliers d’enfants, filles et garçons privés d’école étaient livrés au bon vouloir de seigneurs armés jusqu’aux dents. Pour les habitants l’État malien n’était qu’un souvenir qui s’estompait à mesure que le nouvel ordre prenait corps avec son territoire en- taché de sang et de mille autres malheurs. Dans ce contexte historique Ibrahim Boubacar Keïta fut l’unanimité.
Auréolé d’une réputation d’homme à poigne et faisant montre d’une piété ver- bale à faire pâlir d’envie n’importe quel prêcheur il a su donner de l’espoir à des millions de maliens. Le dis- cours patriotique n’était pas en reste. Son slogan de campagne d’alors “Le Mali d’abord” en est une bonne illustration. Telle une déferlante il engrangea les ralliements de toute sorte ! Politiques, mouvements de la société civile, hommes de culte, simples citoyens tous y ont cru. C’est donc sans surprise qu’Ibrahim Boubacar Keïta alias IBK fut plébiscité avec un score de plus de 77% des suffrages. Fort de ce score plébiscitaire et de la légitimité que cela confère, l’éternel second s’apprêtait ainsi à jouer le premier rôle en prenant les rênes du Mali. Premiers pas au pouvoir : les scandales de corruption et l’insécurité généralisée Déjà en 2013 dès son installation le régime d’IBK se retrouve au coeur de plu- sieurs affaires de corruption à coups de milliards de nos francs. Soupçons de dé- tournement de plusieurs milliards suite à l’achat de l’avion présidentiel en 2013, le scandale lié à l’acquisition d’équipements militaires la même année, l’affaire des engrais “frelatés” en 2015, surfacturation dans l’achat des 42 véhicules pour les patrouilles mixtes, l’opacité autour des travaux de la résidence privée du Président et de la rénovation de Koulouba. Et cette liste n’est pas exhaustive.
Pendant ce temps l’État perdait davantage du terrain dans le Nord. Partielle- ment dans le giron du Mali à l’arrivée d’IBK au pouvoir, Kidal est entièrement passé aux mains des seigneurs de guerre de la CMA. L’insécurité, initialement circonscrite, a regagné les deux-tiers du territoire malgré la présence de plus de 13 000 militaires étrangers au compte de l’ONU et plus de 5 000 militaires français de l’opération Barkhane. Le Mali est désormais sous tutelle de la communauté internationale et livré aux jeux d’intérêt divers.
Instabilité institutionnelle et absence de résultats
En septansilenestàson sixième premier ministre : Tatam Ly (2013-2014), Moussa Mara (2014-2015), Modibo Keïta (2015-2017), Abdoulaye I. Maïga (2017- 2017), Soumeylou B. Maïga (2017-2019) et Boubou Cissé depuis avril 2019. Sur la même période la Défense a connu six ministres. Une telle instabilité institutionnelle frôle le ridicule et témoigne de l’incapacité d’Ibrahim Boubacar Keïta à avoir un exécutif en ordre et capable d’adresser les nombreux problèmes as- saillant le pays. Pas étonnant que les résultats n’aient pas été au rendez- vous. Le front social n’a jamais été aussi tendu. Grèves dans les hôpitaux et centres de santé publics, perturbations incessantes des années scolaires, crises électorales etc. Naviguant à vue aucune crise n’est anticipée par le régime du président latinisant. Vivant dans une bulle dorée et coupés des réalités de son peuple le président et son clan semblent être les seuls à ne pas être conscients de la dangereuse impasse dans la- quelle ils ont conduit notre pays. Pouvait-il en être autrement ? IBK n’est-il pas l’un des meilleurs représentants d’un système politique qui, au nom d’une démocratie qui n’est que de façade, a confisqué l’avenir de tout un peuple au profit des intérêts des seuls tenants de ce système ?
Un système politique à bout de souffle
Depuis la chute de la dicta- ture militaire de Moussa Traoré, notre pays est dirigé par un système politique se réclamant de la démocratie. Ce système a introduit le multipartisme avec la pro- messe d’offrir aux maliens le choix de leurs gouvernants qui agiraient dans le sens de l’intérêt général comme le veut le pouvoir du peuple par le peuple. Trente ans plus tard ce système nous a conduits à une impasse telle que certains maliens regrettent la dicta- ture militaire.
Nous avons eu des partis politiques par centaines, nous organisons des élections à coup de milliards de nos francs, la presse a été libéralisée… Pourtant le peuple du Mali n’avait jamais été aussi esseulé et en proie au manque de perspective.
Plus que l’ombre de lui- même l’Etat, sous l’ère démocratique, peine à assurer ses fonctions régaliennes. L’école a été détruite transformant ainsi, et la misère aidant, les citoyens analphabètes pour l’essentiel en bétail électoral. Deux milles francs suffisent à acheter leur voix. Dans ce système les partis sont des clubs de soutien ou des PME au profit de l’ascension de son fondateur. Il lui sert à négocier des postes de ministre, d’ambassadeur, de membre de conseils d’administration de grandes entreprises. Il est devenu plus lucratif d’être ministre que de créer une entreprise. Les maigres ressources de l’Etat sont pillées par les tenants de ce système. D’ailleurs des ministres milliardaires sont légion dans le système démocratique à la malienne.
Les femmes des tenants du système accouchent aux Etats-Unis ou en France, leurs enfants étudient à l’extérieur. Villas, belles voitures, hôtels de luxe rien n’est de trop pour leurs enfants, neveux, amis, maîtresses et autres membres du clan. Pourquoi s’en priver quand c’est l’Etat qui paie l’addition ? Le patri- moine public est souvent di- lapidé via des privatisations au profit des tenants du pouvoir cachés derrière des prête-noms.
Nos Présidents dans ce système ont des traitements et un train de vie plus onéreux que ceux des dirigeants des pays auprès desquels nous mendions depuis notre indépendance formelle.
Le monde des affaires, le fait religieux, les autorités traditionnelles, la presse, la société civile, l’armée, la justice, l’école, les syndicats tout a été corrompu par la petite politique.
Plus aucun équilibre n’existe.
La loi existe et est dure uniquement quand il s’agit de juger les faibles. Des délinquants récidivistes sont dans les mairies, les ministères, un peu partout dans l’administration ou dans une retraite dorée.
Majorité et opposition n’existent que de nom. Les alliances contre nature et la transhumance politique en sont l’illustration parfaite. Le pouvoir perçu comme une mangeoire géante est sou- vent utilisée pour museler les plus récalcitrants aux désirs du monarque du mo- ment. C’est ainsi que nos gouvernements sont très souvent pléthoriques et avec des incohérences no- tables dans les attributions des différents portefeuilles. Les compétences et l’intégrité ne sont guère des critères de sélection. Les relations familiales ou les amitiés avec le clan au pou- voir leur sont préférées. Les résultats ne sont généralement pas au rendez- vous. D’ailleurs cela ne semble point les gêner la recevabilité étant absente de leur logique. Qu’ils n’obtiennent aucun résultat ou qu’ils commettent même des fautes ne changent rien dans leur ascension. Pas étonnant que ces gens préfèrent les promesses et an- nonces fêtées en grande pompe alors que les réalisations font exception. Rien n’entame leur arrogance qui les empêche de comprendre que le chemin pris par le pays est sans issue.
Que nous reste-t-il à faire ?
Nous devons nous ressaisir et reprendre notre destin en main. C’est cela ou périr ! Nos efforts doivent porter sur nos institutions qui doivent absolument être réformées afin de corriger dans la mesure du possible les dérives observées les trente dernières années. Elles doivent rendre possible l’équilibre entre les différents pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire de sorte qu’aucun d’entre eux ne puisse tomber dans l’abus. Une attention parti- culière devrait être portée aux pouvoirs du président sous la troisième République.
Les déséquilibres constatés sont souvent de son ressort.
La fraude est omniprésente dans nos scrutins. La question de leur organisation est impérative. Elle ne doit plus être prise en otage par l’exécutif avec la complicité du pouvoir judiciaire. Une démocratie se meurt quand le suffrage des électeurs n’est pas respecté. De même elle se meurt quand les citoyens privés d’une véritable éducation citoyenne ne sont pas en capacité de choisir les gouvernants sur la base de projets et principes solides. Dans ce domaine l’éducation, donc le redressement de l’école, jouera un rôle crucial. Les partis politiques doivent aussi être mis à contribution et les financements publics conditionnés à leur participation à la formation citoyenne.
Le dernier point et non des moindres concerne l’efficacité de l’action publique à tous les niveaux. L’exigence de résultats doit être la règle. Des contrats de performance ainsi que l’obligation de rendre compte seraient un bon dé- part.
En ces heures troubles mais pleines d’espoir tant notre peuple fait montre de courage et de discernement nous devrions rapidement engager ces réformes afin d’entamer un autre cycle en rupture avec le système en place. Si nous le faisons bien l’horizon s’éclaircira de nouveau et l’espoir renaîtra pour la nation malienne.
Nouhoum Traoré https://nouhoumtraore.c om