Dans le champ de Bourama Konaté, c’est l’inquiétude qui se lit sur son visage. A peine avoir mis en terre quelques semences de coton, ce jeune cultivateur voit déjà une saison incertaine. « Nous avons commencé à semer le coton ici, mais cette année, nous ne sommes pas assez rassurés. Chaque année, nous travaillons dans la joie et la quiétude mais, cette fois-ci, c’est tout le contraire. Les Chinois sont venus et nos terres agricoles leur sont octroyées pour qu’ils les exploitent, et cela nous rend triste», déplore-t-il.
Dans cette commune située à plus de 80 kilomètres de Bamako, l’agriculture est la principale activité économique des habitants. Comme Bourama, Dramane Keita est au bout du désespoir. Même avec les premières pluies, il n’a rien semé dans le bas-fond en passe de devenir un site minier. « Nous les avons supplié de ne pas creuser ces terres, car s’ils le font, (…) nous ne pourrons même plus cultiver du maïs sur ces parcelles parce que l’eau va stagner et l’on ne pourra non plus cultiver du riz ici. Déjà cette année, nous n’avons pas pu cultiver du riz. Jusqu’à présent, je n’ai rien fait dans mon champ, alors qu’on est bien dans l’hivernage. Regardez par ici, ce n’est pas encore labouré », explique-t-il.
Et de poursuivre : « C’est notre année qui est fichue comme ça. Que le gouvernement nous vienne en aide. Ça me fait tellement mal, je n’ai nulle part où me plaindre. Ils ont emprisonné mon grand frère et tout est gâché chez moi. (…) On est trop fatigués. »
« On n’a plus où cultiver »
Remontés contre les autorités communales, des jeunes venus des quatre villages touchés par ce qu’ils appellent le « fléau chinois » manifestent pour demander l’arrêt des activités d’orpaillages sur leurs terres. « Nous, la jeunesse, sommes mobilisés et ne comptons plus nous arrêter. On veut qu’ils partent de notre commune, on n’aime pas leur travail. On ne veut pas de polémique ni rien. On ne souhaite pas faire de violences, mais s’ils poussent le bouchon un peu loin, on va rebondir », affirmeBakary Keïta, un manifestant.
Fatoumata Traoré, la représentante des femmes abonde dans le même sens :« que ce soit nos bas-fonds ou autres parcelles dédiées aux travaux des femmes, tout a été détruit. On n’a plus où cultiver. Ce qu’ils nous ont causé est invivable. Et nos âmes y resteront s’il le faut. Car, le seul endroit qui nous reste est aussi dans leur viseur. Nos champs d’orangers, de manguiers ont tous été confisqués. Si tu veux tuer une famille, il faut lui retirer sa terre agricole. »
Tout a commencé le 24 juillet 2021 lorsque la société Yi Yuan Mines signait un projet de convention avec le chef du village de Naréna demandant l’autorisation d’exploiter certains sites en contrepartie des projets de développement dans la commune. « Je pense que c’est des oppositions gratuites. Les permis ont leur valeur. Ce sont des permis qui sont en bonne et due forme. Il y a un modus vivendi entre les propriétaires terriens et les Chinois quand ils faisaient de la recherche. Ils étaient d’accord pour ça. (…) J’ai les écrits des quatre propriétaires terriens et ceux du chef des conseils de Naréna où tout le monde dit qu’il est d’accord. Alors, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? », répond Nambala Daouda Keita, maire de Naréna.
A la tête de l’association “Sikida Lakana”, Broulaye Coulibaly indique avoir alerté les autorités locales face aux dangers de l’exploitation aurifère. « J’ai appris qu’ils ont commencé à creuser vers un site (Djolibani) et je m’y suis rendu. Par la suite, j’ai informé le chef du village en lui disant d’y faire un tour pour constater les dégâts. Car, s’ils continuent cette activité, ils nous chasseront d’ici. Sans avoir une suite, j’ai entamé la même démarche chez le sous-préfet à qui j’ai recommandé l’arrêt des activités pour qu’on discute entre nous d’abord. Ce dernier m’a fait savoir qu’il ne peut pas ordonner l’arrêt des travaux et que je pouvais également leur demander de l’argent s’il arrivait qu’ils aient besoin de mon champ. »
Vive tension
Pour la société Yi Yuan Mines, ce bras de fer ne devrait pas avoir lieu. « La réalité, c’est l’Etat malien qui a donné le permis à travers le ministère des Mines. Il est dit que l’Etat est propriétaire de la terre. Alors que les villageois pensent tout à fait le contraire, ils estiment être les propriétaires de la terre. Il n’y a pas de paradoxe parce que ce n’est pas le permis de recherche qu’on a mais un permis d’exploitation. Et ça été diffusé partout. Mais malgré tout, ils s’opposent », affirmeBoubacar Abdoulaye Diarra, représentant de l’entreprise chinoise.
Pour ce qui concerne les dégâts causés sur la biodiversité, Boubacar Abdoulaye Diarra répond : « le plus souvent, les orpailleurs traditionnels utilisent des “cracheurs” sur le terrain. Ça, c’est pour broyer la matière. En le faisant, ils sont obligés d’apporter sur le terrain, les produits qu’il faut, pour essayer de concentrer un peu l’or, et c’est là où, il y a dégâts. Lorsqu’ils utilisent ces produits avec de l’eau, il y a toujours ruissellement et puisque c’est un produit toxique, ça joue sur la nature. (…) Mais, les produits que nous utilisons ne vont pas dans la nature. »
En août 2021, le procès-verbal de constat réalisé par un huissier ainsi qu’un autre rapport de la direction nationale de l’assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances (DNACPM) indiquent que ces activités, sans études environnementales au préalable, nuisent à l’écosystème.
Il a donc été recommandé à la sous-préfecture, la suspension des travaux pour permettre à ces sociétés de se conformer aux normes requises à travers l’obtention d’un permis environnemental et social, d’un permis d’exploitation de l’or et le paiement des infractions commises.
C’est le 7 avril 2022, soit un an après la signature du projet de convention d’exploitation, que la société Yi Yuan a obtenu le permis d’exploitation délivré par le ministère des mines, de l’énergie et de l’eau pour exploiter une superficie de 100 km2. Un permis qui ravive les tensions et les craintes liées à l’impact environnemental.
Quelle issue?
Face à la dégradation des terres et pour venir en aide aux habitants, une organisation non gouvernementale procède au remblai des fosses d’anciens sites d’orpaillage, au reboisement et au curage des rivières. Mais, aujourd’hui, la nouvelle situation n’arrange pas les choses. « Cela impacte également notre projet de barrage prévu vers Lankalen. Ce projet a été annulé à cause des travaux des Chinois. Car les lieux sont proches l’un de l’autre. Ce qui impacte les activités, précisément les cours d’eau. Lorsqu’on analyse, il était impossible de pêcher cette année dans ces rivières, ni d’entretenir les plantes à cause des eaux de ruissellement issues des sites », souligneMoustapha Berthé, agent de l’ONG Azhar…… sahelien.com