L’Union africaine – et avec elle son ancêtre l’OUA (l’Organisation de l’unité africaine) -, fête cette année ses 50 ans d’existence. Différents chefs d’Etat du continent et de grands dignitaires étrangers ont assisté à la cérémonie d’ouverture des festivités ce samedi 25 mai. Macky Sall, le président du Sénégal, est un des membres présents à Addis-Abeba. Tout en exprimant son émotion, il rappelle le chemin parcouru. « L’Afrique devrait avoir une vision futuriste », a-t-il déclaré. « Nous devons adapter nos moyens de lutte contre le terrorisme » qu’il qualifie de « fléau ». Il prône pour ce faire une extension du mandat de la Minusma.
RFI : Est-ce que c’était émouvant pour vous, d’être dans l’Africa hall, là où tout a commencé ?
Macky Sall : Oui, c’est un moment intense d’émotion, puisque nous sommes aujourd’hui les continuateurs de l’œuvre des pionniers qui ont, le 25 mai 1963, dans ce bâtiment, lancé une aventure : l’Organisation de l’unité africaine. Depuis cinquante ans, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. L’Afrique, bon an, mal an, a pu construire son unité, que je qualifierais de positive, puisque rappelons que les grands blocs qui se sont constitués comme l’Union européenne, ont plus de cinquante ans. Les Etats-Unis ont mis du temps. Je pense que nous sommes dans une dynamique normale, et que notre objectif aujourd’hui est de consolider cette unité du continent sur le plan politique bien entendu, mais également surtout par l’intégration économique.
Vous avez dit : « L’Afrique ne doit pas seulement exporter ses joueurs de foot. »
Tout à fait. Puisque le continent, comme on le sait, contribue énormément dans la production d’athlètes de haut niveau, de sportifs, mais également d’intellectuels. Notre diaspora européenne, américaine, regorge de cadres très compétents. Je dis que l’Afrique devrait avoir une vision futuriste. Et la projection que je me fais dans les cinquante prochaines années, c’est que l’Afrique sera un continent où tout pourra converger, et qui pourra recueillir des travailleurs venus d’Europe, des Etats-Unis, d’Asie. Si nous arrivons à consolider cette construction du continent, son unité politique et économique, (et) si nous préservons davantage nos ressources naturelles – ce qui pose le problème des contrats miniers et des contrats pétroliers et de la lutte contre l’évasion fiscale -, nous pourrons, avec les résultats de la recherche, naturellement, faire de ce continent un fleuron.
Et nous avons deux grands déserts qui pourraient être des lieux d’expérimentation de toutes ces nouvelles technologies, notamment en matière de production d’énergie propre, en matière d’agriculture bio. Je pense que dans cinquante ans, la recherche et l’innovation devront permettre de faire de l’Afrique, véritablement, une destination privilégiée.
L’Afrique ne parvient pas encore à se protéger elle-même. Elle est encore obligée de faire appel à une ancienne puissance coloniale comme la France pour protéger les populations maliennes. Est-ce que ça ne vous pose pas problème ? Quelle est la solution ?
Oui. Il est vrai que nous constatons avec beaucoup d’amertume, de regrets, les faiblesses de notre continent face aux nouveaux fléaux. Mais vous savez, il n’y a pas de honte à constater notre inefficacité par rapport à cette situation. Il faut en prendre conscience et se donner les moyens de régler ce problème.
Il ne s’agit pas d’une guerre frontale entre deux armées. Il s’agit de faire face à un fléau comme le terrorisme qui frappe partout et n’importe quand. Parce que lorsque vous avez des gens qui sont prêts à mourir, qui n’ont rien à redouter, évidemment il devient très difficile de faire face.
Ce n’est pas une impuissance de l’Afrique. Mais nous devons adapter nos moyens de lutte contre le terrorisme. Nous devons innover, nous devons savoir que le mal est partout et qu’il peut frapper à tout moment et n’importe quel pays. A partir de ce moment, il nous appartient de nous réorganiser nous-mêmes, dans notre système de défense.
Après le double attentat qui a frappé Agadez et Arlit au nord du Niger, jeudi 23 mai, est-ce que vous ne craignez pas une extension du conflit ? Ne faut-il pas revoir le mandat de Minusma pour l’élargir peut-être au Niger ?
Je pense que oui. Il faudrait certainement s’attendre à une extension, puisque le Mujao (le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, ndlr) est très clair dans sa formulation, puisqu’il a une vocation ouest-africaine. Donc il faudrait s’attendre à ce qu’il frappe un peu partout ! Mais cela ne devra pas créer une peur. Nous devons toujours rester sereins et défendre nos populations, défendre nos peuples, défendre nos Etats. Ça, c’est une mission régalienne.
Quel est votre message au président Issoufou ?
Je l’ai appelé hier soir pour lui présenter mes condoléances et lui exprimer ma solidarité. Et je crois que nous devons, tous ensemble, aujourd’hui au sein de l’Union africaine, revoir de façon fondamentale cette question de la sécurité et la lutte contre le terrorisme, afin d’apporter des solutions durables.
On a l’impression que la force en attente, cette force que tout le monde attend ici en Afrique, ne verra jamais le jour…
Je serais plus optimiste. Je pense que oui, elle a mis du temps à voir le jour. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas le choix. Nous la créerons, ou alors, au niveau des organisations sous-régionales, des forces seront créées.
Au niveau de la Cédéao?
Au niveau de la Cédéao, etc. C’est une question qui ne peut plus attendre.
Par Christophe Boisbouvier
RFI/25.05.2013 à 15: 57