Au Mali, les sacs plastiques représentent 3 % des déchets solides, selon le schéma directeur d’assainissement de Bamako de 2019.
Ils sont utilisés par la population à l’occasion de presque tous les achats de biens (mets, habillements, fruits et légumes) mais après utilisation, c’est l’environnement qui paye le prix fort. Treize ans après avoir interdit les sacs plastiques dans sur l’ensemble du territoire, le Mali est loin d’avoir endigué ce désastre écologique.
Aux premières heures du jour, Awa Diarra prépare son étal de légumes sur le marché de Djicoroni-Para en Commune IV du district de Bamako. Elle déballe du persil, du poivron vert, de l’oignon et de la tomate qu’elle dispose sous un parasol pour les protéger du soleil.
Un homme à moto s’arrête et dépose trois paquets de sachets plastiques noirs sur l’étal de la jeune femme, ainsi que sur ceux de toutes ses voisines. Fabriqués avec des matériaux synthétiques composés de polymères, un matériel qui résiste au temps, ces sacs plastiques non-biodégradables sont pourtant interdits par l’Etat.
D’ailleurs, il faut bien croire, au regard de la banalisation de son utilisation aujourd’hui, que le plastique tient tête à la loi en dépit de l’entrée en vigueur du décret d’application de la loi portant interdiction de la production, de l’importation et de la commercialisation des sachets plastiques non-biodégradables pris par le gouvernement en 2014, les habitudes des Maliens n’ont pas changé. La question agaçante est donc la raison de la prise d’une telle mesure, si les conditions de son application ne sont pas réunies ?
Une loi, deux amendes
Aux dires d’Ousmane Ag Rhissa, ministre de l’Environnement et de l’Assainissement de 2012 à 2014, de nombreux Etats voisins avaient adopté des lois similaires et commencé à les appliquer. Tous les stocks de ces pays étaient alors acheminés vers le Mali qui devenait le dépotoir en 2013. « C’est ce qui nous a poussés à adopter le décret d’application », affirme l’ex-ministre.
Selon les explications de Mamadou Sagara, assistant parlementaire à la commission du développement rural et environnementale du Conseil national de transition, c’est en 2011 que le gouvernement a envoyé un projet de loi portant interdiction de la production, la commercialisation et l’utilisation des sachets plastiques et des granulés en République du Mali.
Pour l’étude de ce projet de loi, ils ont organisé des séances d’écoute avec les services techniques du ministère de l’Environnement, les industriels qui évoluent dans le domaine, les commerçants détaillants et grossistes, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (Apcam), la direction nationale de l’agriculture, la direction nationale des productions et industries agricoles et la direction nationale des services vétérinaires.
Après synthèse, la commission a décidé de faire des amendements du projet de loi en ramenant simplement l’interdiction aux sachets plastiques et aux granulés non-biodégradables. En janvier 2012 cette loi a été adoptée et un moratoire de 14 mois a été donné aux concernés pour écouler leurs stocks et le temps de se reconvertir vers d’autres secteurs d’activités.
« Avant l’adoption de loi de 2014, il y a eu beaucoup, de lobbying de la part des commerçants pour la relecture de la loi de 2012, afin d’extraire cette fois-ci l’interdiction des granulés », précise M. Sagara. La question qui demeure est de savoir pourquoi cette indifférence des autorités à l’origine de la mesure et détentrices de la force publique ?
Selon une enquête du projet Emploi des jeunes crée des opportunités ici au Mali (Ejom) et de l’Union européenne, réalisée en 2020 sur la gestion des sachets plastiques à Bamako, il n’y a que 48 % de ces sacs plastiques qui sont entretenus ou recyclés. Le reste des 52 % inondent les rues ou sont brûlés après le ramassage.
Elan cassé
Un interlocuteur et qui a préféré garder l’anonymat à la direction régionale de l’assainissement du contrôle des pollutions et des nuisances (DRACPN) de Bamako, révèle qu’en 2016, ils ont mené des missions de terrain qui ont consisté en la saisie d’énormes qualités de sachets plastiques au niveau des marchés des six communes du district de Bamako.
« Nous avons été stoppés dans notre élan par la hiérarchie. A l’époque, il y avait des commerçants qui se sont regroupés pour mettre la pression sur l’Etat, prétextant que beaucoup de ces sacs sont biodégradables. Le malheur est qu’aucun service technique de l’Etat ne dispose d’appareils pouvant identifier cette biodégradabilité et nous n’avons reçu aucune formation dans ce sens. Pis, dans le décret d’application, il est stipulé que les sachets doivent porter le marquage obligatoire biodégradable à 100 %, mention qui est très facile à réaliser pour ces commerçants. À notre niveau, nous avons toujours signalé dans nos rapports l’absence de matériels adéquats pour mener à bien cette lutte ».
Pour cet interlocuteur, il y a aussi l’insuffisance de matières de substitution, mais aussi une grande part d’incivisme de la population qui fait la sourde oreille face à toutes les campagnes de sensibilisation qu’ils ont menées dans les différents médias.
L’ancien ministre constate également qu’il existe un manque de volonté de la part des autorités. Le comité interministériel qui devait être mis en place pour fixer en tant que besoins les détails des modalités d’application de certaines dispositions du décret d’application de la loi, n’a jamais vu le jour. Ce qui signifie qu’il n’existe aucune réglementation en la matière.
Sans détour, Souleymane Ben Déka Diabaté, spécialiste et responsable environnement à l’Institut responsabilité sociétales des entreprises (Institut RSE), abonde dans le même sens : « La loi et son décret d’application existent, mais est-ce qu’ils sont connus du citoyen lambda ? Les députés l’ont adoptée, mais les collectivités n’ont pas fait la restitution à leurs populations. En 2019, suite à une étude que j’ai menée à Bamako et dans cinq autres régions, il est ressorti que plus de 250 000 tonnes de sachets plastiques polluent l’environnement au Mali, dont 65 000 tonnes rien qu’à Bamako. L’Etat vient d’interdire la chicha, en moins d’un an les résultats sont remarquables, les sachets plastiques sont plus toxiques que la chicha à mon avis », note-t-il.
Pour l’homme qui évolue dans le domaine les études des impacts environnementaux et la promotion de la responsabilité sociétale des entreprises sur l’impact de leurs activités sur l’environnement, il y a bien un manque de volonté des autorités.
Les sacs plastiques sont interdits, mais il existe quelques unités de production, qui emploient de nombreux jeunes et de nombreuses familles vivent grâce aux sachets plastiques. Il faut un accompagnement étatique et la mise en place de mesures incitatives à la reconversion.
« Nous ne pouvons pas arrêter cette activité sans soutien », tranche Madiou Diawara commerçant grossiste de sachets plastiques au Marché rose de Bamako. Il ajoute que sur le marché, il existe des sachets fabriqués au Mali, mais environ 50 % proviennent de la Côte d’Ivoire et de la Guinée*Conakry. Père de sept garçons et deux filles, M. Diawara vit de cette activité depuis 2014 et gagne entre 200 000 à 300 000 F CFA par jour.
Manque d’alternative
Du petit boutiquier aux grands groupes de distribution, en passant par les usagers de ces sacs, il faut trouver de quoi remplacer le plastique. N’balan et Emball Paper qui sont des start-ups évoluant dans la fabrication des emballages de papier peinent à s’implanter sur toute l’étendue du territoire et ne pourront jamais concurrencer les sacs plastiques tant que la loi n’est pas appliquée.
Pour la CEO d’Emball Paper qui existe depuis 2019, « les commandes ne sont faites que par une catégorie de personnes et pour des occasions précises. Soit des commerçants qui cherchent des emballages personnalisés pour leurs produits ou des commandes pour des cérémonies de mariages ou autres ».
Pour Aminata Idrissa Traoré, promotrice de N’balan (sac en bamanankan) qui est débutante dans le domaine, les propos de son aînée Hadizetou Sidibé ne sont que stricte vérité. « Le Malien est tellement habitué au plastique qu’il faudrait impérativement le faire disparaître pour qu’il puisse le remplacer », dit-elle.
Pour réduire l’impact de ces matériaux sur l’environnement, le recyclage est l’une des meilleures options. L’Etat ne dispose ni de politique de recyclage ni de réelle stratégie de ramassage des sachets. « C’est l’une des raisons qui font que les sachets plastiques se retrouvent éparpillés partout à Bamako », indique Mamadou Diaby promoteur de DGB plastique, une usine de recyclage de déchets plastiques aux 1008-Logements, un quartier de la Commune VI.
À la DRCPN, notre interlocuteur témoigne que leur mission est d’élaborer des éléments de la politique nationale en matière d’assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances et d’en assurer l’exécution. « Il n’existe pas de société étatique pour le recyclage des déchets plastiques à ma connaissance, mais nous suivons les entreprises qui évoluent dans ce domaine pour les études d’impact environnemental et social, pour l’obtention d’un permis environnemental avant l’installation des usines ».
Par ailleurs l’Etat fait preuve de largesse dans certains cas comme l’affirme Paul Sagara, comptable de la société de recyclage Mama Plastico de la zone industrielle de Bamako : « Plusieurs fois, nous avons bénéficié d’une exonération pour l’importation de nos machines. Nous souhaitons que l’Etat nous apporte un appui dans la mise en relation avec les partenaires qui évoluent dans le développement durable à l’échelle mondiale. Nous contribuons à lutter contre le chômage parce qu’il existe des sociétés qui importent les granulés. Nous créons de l’emploi à travers notre activité, c’est aussi une manière de booster la croissance économique ».
Propositions
Malgré les sévères sanctions prévues contre les personnes qui les produisent, les vendent ou les importent, les sacs en plastiques continuent de circuler. Il faut donc prendre à bras-le-corps la problématique pour garantir un meilleur cadre de vie. Il est certes bien de prendre des décrets, des arrêtés et voter des lois, mais si leur application n’est pas respectée, c’est un non-sens.
Pour plus d’efficacité des mesures adoptées, le ministre Ousmane Ag Rhissa propose des solutions qui, selon lui, ont pu gérer la situation au Rwanda : la volonté politique affirmée et affichée de l’Etat pour l’application des textes, la sensibilisation de la population et l’engagement de celle-ci et la garantie d’un financement pérenne pour le secteur de l’assainissement.
Quant à l’assistant parlementaire, il soutient que ce qu’ils peuvent faire à leur niveau, c’est interpeller le gouvernement par rapport à l’ineffectivité et l’application de la loi sur le terrain.
Rien que ça !
Fatoumata Sira Sangaré
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Tidiane N’diaye :
Danse avec les sacs plastiques
Le chorégraphe malien Tidiani Ndiaye et sa troupe, tous vêtus de plastique, tentent de sensibiliser sur conséquences du plastique dans sa pièce chorégraphique nommée « Mer plastique ». Sur les scènes débordant de plastique arc-en-ciel, le groupe de cinq personnes valse au milieu de cette « mer » de plastique.
À travers un univers chorégraphique éblouissant de couleurs, il met en lumière cette cohabitation forcée avec le plastique en sublimant ce matériau, tout en questionnant les enjeux politiques autour de la gestion des déchets. Du théâtre du Grütli à Genève en Suisse, au théâtre universitaire de Nantes en passant par Lyon jusqu’au théâtre de la Cité internationale à Paris, le spectacle a émerveillé plus d’un de décembre 2022 à mai 2023.
« C’est difficile d’amener le spectacle à Bamako, car nous sommes au moins neuf personnes en tournée, mais on fera l’essentiel, j’espère pouvoir le faire d’ici fin 2024. La protection de l’environnement est essentielle à mon travail artistique ! C’est une problématique mondiale. En tant qu’artiste, j’alerte. Je parle avec mon corps et mon art. Un artiste est aussi un citoyen. Les déchets ont envahi le monde. Tout est plastifié, si nous ne faisons rien nous allons aussi être du plastique », commente l’artiste.
Originaire de Mopti, la 6e région administrative du Mali, ce jeune de 25 ans a effectué quatre ans de formation en danse à Bamako. Coiffé en dreadlocks (rasta), il a « plein d’idées originales », confirme son ami Daouda Kéita.
Il a poursuivi ses études à Angers en France au Centre national de danse contemporaine (CNDC), grâce à une bourse de l’ambassade de France au Mali. De là, il obtint une licence et un master de recherche chorégraphique à Montpellier au Centre chorégraphique national.
Fatoumata Sira Sangaré
Source: Mali Tribune