« Boko Haram est décapité. Nous sommes en mesure de mettre définitivement hors d’état de nuire le groupe islamiste », a déclaré le président tchadien cette semaine. Idriss Déby Itno affirme même que « la guerre va se terminer avant la fin de l’année ». Comment analyser les propos du chef de l’État ? A-t-il raison de se montrer aussi optimiste ?
Le décryptage de Corentin Cohen, doctorant au Centre de recherches internationales de Sciences Po-Paris. Il s’est rendu récemment au Tchad et au Nigeria.
RFI : « La guerre sera courte, elle va se terminer avant la fin de l’année », a déclaré Idriss Déby. Comment expliquer l’optimisme du président tchadien ?
Corentin Cohen : Si on compare la situation à celle d’il y a un an, on peut comprendre. Il y a un an, Boko Haram était dans une phase de territorialisation et on avait l’impression que les armées – et surtout l’armée nigériane – perdaient complètement le contrôle de la situation.
C’est l’élection du nouveau président nigérian, Muhammadu Buhari, qui a changé un petit peu la situation, du fait qu’il ait changé son état-major et qu’il ait manifesté sa volonté de mettre fin à l’insurrection. Il y a eu peut-être aussi une nouvelle phase qui s’est ouverte dans la collaboration entre les pays, avec la mise en place de la force multinationale qui était annoncée, attendue depuis plusieurs mois, voire bientôt un an. Et puis, il y a eu le fait que, depuis quelques mois, le groupe semble effectivement avoir perdu une partie du territoire qu’il contrôlait, même si on peut également se demander si c’est un repli ou un changement de stratégie pour se tourner plus vers des méthodes de guérillas.
En tout cas, il y a eu une intervention, une reprise en main du terrain par l’armée nigériane ; une meilleure coopération, semble-t-il, entre les armées. Il y a également le fait que, depuis quelques semaines, on a l’impression que même s’il y a des attaques, ce sont des attaques de désespoir. On peut penser que le groupe est un peu désorganisé, qu’il y a peut-être des tensions internes et qu’au fond, les efforts finissent par payer. La présence des différentes armées du Niger, du Nigeria, du Cameroun et du Tchad force le groupe à se dérober.
Un optimisme justifié, si je vous comprends bien ?
Dans la mesure où cette force multinationale va vraiment se mettre en place et où les états-major ont pris en compte le fait que le groupe s’est transformé et va de plus en plus se tourner vers des méthodes de guérillas – qui impliquent d’autres moyens de combattre et qui impliquent de se rapprocher des populations – il me semble que ça va dans le sens d’un règlement du conflit. D’autant qu’il est possible, en tout cas il a été annoncé, qu’un groupe – est-ce que c’est tout Boko Haram ou bien un groupe dissident ou encore la majorité des différents groupes qui composent Boko Haram ? – se serait manifesté et aurait manifesté l’envie de négocier. Je pense qu’il y a des vérifications qui vont être en cours.
Il y a déjà eu un épisode semblable, en octobre, avec des négociations qui avaient été annoncées par le président Jonathan, sans que l’on sache exactement ce qui s’est passé, mais cela n’a été suivi d’aucun effet. Ceci dit, il y aura peut-être une solution politique qui sera apportée au-delà de la solution militaire.
Boko Haram se fait désormais appeler groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest. D’après vous, qu’a changé cette allégeance ?
C’est d’abord une allégeance discursive et c’est d’abord une volonté de se rapprocher. Cela s’est fait en plusieurs fois. Il y a eu d’abord des annonces qui ont un peu été surinterprétées, en août, l’année dernière. Boko Haram déclarait créer un califat. Cela a été interprété comme une affiliation à l’Etat islamique ; ce n’était pas exactement le cas. Plus tard, dans une autre vidéo, il y a une allégeance qui a été faite. Pour autant, et à ma connaissance, c’est d’abord une manière de publiciser sa cause ; de montrer que le combat n’est pas fini et que Boko Haram peut encore réussir, même si on ne sait pas exactement quel est l’objectif de cette insurrection, aujourd’hui.
En même temps, ce discours et cette volonté de rapprochement qui se traduit par des vidéos et des références, ne se traduit pas forcément pour autant par la présence de combattants étrangers. Les étrangers qui sont au Nigeria, dans Boko Haram, ce sont des Tchadiens, des Camerounais, des Nigérians qui ont toujours circulé à travers des frontières poreuses, voire complètement artificielles. Ceci dit, la question qui peut être soulevée, c’est celle de savoir si, au sein de la nébuleuse et des différents groupes qui composent Boko Haram, il y a effectivement un contact opérationnel avec l’Etat islamique et si au-delà de ce contact opérationnel, il s’agit d’un groupe en particulier de Boko Haram qui est en contact avec l’Etat islamique ou bien si c’est la majorité ou encore si c’est une allégeance soudaine de tous les groupes. Cela reste encore à voir.
Peut-on dire que le groupe a une visibilité supplémentaire, désormais, du fait du nom Etat islamique ?
Au niveau international, le groupe a clairement pris sa visibilité depuis les attaques et les enlèvements de Chibok. C’était avant même qu’ils ne se revendiquent de l’Etat islamique. Cependant, c’est vrai que cela a pu jouer et peut favoriser la circulation de vidéos, créer des mouvements de sympathie ou encore faire prendre conscience, à certaines personnes, dans d’autres pays, de l’existence du groupe. En cela, il est évident qu’en se rattachant à la marque ou au logo Etat islamique, sa visibilité augmente.
Source: RFI