La réunion de délibération du Comité de règlement des différends (CRD) s’est tenue le lundi 20 novembre 2023 sous la présidence d’Alassane Ba, président, en présence de ses collègues et des représentants des deux parties.
Que s’est-il passé ?
Suivant l’avis d’appel à la concurrence du 10 octobre 2023, publié dans le quotidien national d’information du Mali “L’Essor”, l’Agence de développement rural de la Vallée du fleuve Sénégal (ADRS) a lancé la Demande de renseignement et de prix à compétition ouverte (DRPCO) n°2023-001/MA-ADRS relative à l’acquisition de deux (2) véhicules pour les missions de suivi des activités de l’ADRS, à laquelle la Société Japan Motors Mali SAS a soumissionné par lettre n°0302/MA-ADRS du 6 novembre 2023.
Le directeur de l’ADRS a notifié à la Société Japan Motors Mali SAS que son offre n’a pas été retenue à l’issue de son examen par la commission d’évaluation et d’analyse des offres au motif que le montant de son offre, après vérification et correction des erreurs, de 65 914 800 F CFA TTC, est supérieur au montant du moins disant qualifié après correction des erreurs qui est de 65 372 000 F CFA TTC.
Le 8 novembre 2023, par lettre n°00098/HN-DG/JMM-081123, la Société Japan Motors Mali a exercé un recours gracieux pour contester le motif de rejet de son offre.
En réponse à ce recours gracieux, par lettre n°00336/MA-ADRS du 9 novembre 2023, le directeur de l’ADRS a maintenu les motifs de rejet de l’offre de la Société Japan Motors. Le 13 novembre 2023, la Société Japan Motors a saisi le Comité de règlement des différends pour contester les résultats de la Demande de renseignement et de prix à compétition ouverte susmentionnée.
Recevable en la forme
Votre hebdomadaire préféré fait régulièrement cas des dispositions du décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015 portant code des marchés publics et des délégations de service public, modifié dans ses articles 120.1, 120.2, 120.3 et 121.1 qui parlent clairement de la procédure à suivre de bout en bout par tout candidat ou soumissionnaire s’estimant lésé au titre d’une procédure de passation d’un marché ou d’une délégation de service public.
Dans le cas d’espèce, il résulte des faits exposés que la Société Japan Motors Mali SAS a respecté à la règle le chemin indiqué allant du recours gracieux à la saisine du CRD. Alors, le recours exercé remplit les conditions de forme pour être recevable.
Pour soutenir son recours, la Société Japan Motors Mali SAS a avancé plusieurs arguments qui prouvent à suffisance que :
Primo, elle est de loin le mieux disant, conformément aux règles de passation des marchés publics et tenant compte du rapport de la commission d’évaluation et d’analyse des offres ;
Secundo, que le régime de son offre est bien spécifié dans la lettre de soumission et dans le devis estimatif et qu’à cet effet, elle a rappelé à l’autorité contractante que celle-ci, en violation des dispositions de la clause 6.1 des IC, a fourni un chiffre erroné en voulant appliquer 18 % sur son offre initiale qui est déjà en TTC ;
Tertio, que l’autorité contractante, en maintenant les conclusions de la commission, a confondu le modèle de devis estimatif et celui du cadre du bordereau des prix unitaires utilisés dans la DRPCO et dont les formats ne doivent pas être modifiés par le soumissionnaire.
En toute logique, la Société Japan Motors Mali SAS sollicite du Comité de règlement des différends de bien vouloir la remettre dans ses droits.
La riposte de l’autorité contractante
En réponse aux prétentions de Japan Motors Mali, l’ADRS fera comprendre que ladite société a mal interprété les clauses 6.1, 6.2 et 7.1 de la section II des instructions aux candidats (IC) de la DRPCO. D’où la différence constatée entre le prix unitaire utilisé dans le cadre de devis estimatif et le prix unitaire utilisé dans le bordereau des prix unitaires en chiffres et en lettres et la confusion sur la taxe de 18 % appliquée doublement sur son offre.
Qu’en conséquence, l’ADRS estime que le recours de la Société Japan Motors Mali SAS est mal fondé, pour raison d’une mauvaise interprétation par celle-ci de la règlementation et sollicite la poursuite du processus de passation du marché querellé.
Sur la base des moyens développés par l’une et l’autre parties, le CRD a examiné le recours en profondeur. Il a constaté qu’il existe une différence entre les montants lus publiquement lors de l’ouverture des offres et les montants publiés à l’issue des travaux de la commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres.
Conformément aux textes en vigueur, la commission peut corriger les erreurs purement arithmétiques découvertes au cours de l’examen des offres.
Aussi, l’autorité contractante procédera à l’évaluation et à la comparaison des offres. En outre, en matière de passation de marchés publics, si une offre est conforme pour l’essentiel, l’autorité contractante rectifiera les erreurs arithmétiques.
En application des textes en vigueur, la commission d’évaluation des offres doit, avant d’arrêter son choix, vérifier le résultat des opérations arithmétiques des offres des soumissionnaires retenus, et est tenue de rectifier s’il y a lieu les erreurs matérielles évidentes, et de demander au soumissionnaire concerné de confirmer le montant de son offre ainsi rectifié. Et l’inobservation de ces règles et principes de passation des marchés peut entrainer des irrégularités notables dans la procédure de passation d’un marché public.
Et le verdict tomba !
Considérant que dans le cas d’espèce, l’erreur présumée concernant les soumissionnaires porte sur la différence entre les montants figurant sur les lettres de soumissions, les cadres des devis estimatifs et les cadres des bordereaux des prix unitaires.
Attendu que les erreurs relevées par la commission se sont traduites :
– pour la Société Santoro Libre Services (l’attributaire provisoire), par la mise en lumière de la différence entre le montant lu publiquement (54 600 000 FCFA TTC) et le montant total du cadre du devis estimatif (65 372 000 FCFA TTC), soit un écart positif de 10 772 000 F CFA résultant de la somme du montant du prix unitaire figurant sur le cadre du bordereau des prix, multiplié par deux (2) soit la quantité de l’article objet du marché, plus une TVA de 18 %.
– pour la Société Japan Motors Mali SAS, par une augmentation d’un montant de dix millions cinquante-quatre mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf (10 054 799) F CFA sur le montant de l’offre ramenant ladite offre à 65 914 800 F CFA. Cette différence résulte de l’application, par la commission, d’une TVA de 18 % sur le prix unitaire en lettres indiqué au niveau du cadre du bordereau des prix unitaires qui seul fait foi selon l’autorité contractante.
Or, la requérante conteste la démarche de l’autorité contractante consistant à appliquer la TVA sur le montant du prix unitaire figurant sur le cadre du bordereau des prix qui était déjà en TTC.
Alors que sur la base des pièces versées au dossier, il apparait l’existence d’une cohérence entre le montant de l’offre indiqué sur la lettre de soumission et celui du cadre du devis estimatif de la Société Japan Motors Mali SAS et qu’une multiplication du prix unitaire figurant sur le cadre du bordereau des prix par la quantité des véhicules, objet de la commande, permet de conclure que ledit prix est effectivement en TTC dans la mesure où, la somme équivaut au montant TTC de l’offre de la requérante. En d’autres termes, le montant du prix unitaire du bordereau des prix, multiplié par deux (27 930 000 x 2) est égal au montant total TTC du cadre du devis estimatif lu publiquement à savoir 55 860 000 F CFA TTC.
A cet effet, le “juge” du litige retient que le montant de l’offre de la Société Japan Motors Mali SAS ne contient aucune erreur arithmétique et que face aux incohérences constatées lors de l’évaluation, l’autorité contractante aurait pu demander au soumissionnaire de préciser la teneur de son offre afin d’en faciliter l’examen, l’évaluation et la comparaison.
Et que dès lors, la démarche de l’ADRS de considérer le montant du cadre du bordereau des prix unitaires en hors taxes (HT) et d’appliquer une TVA de 18 % sur ledit montant n’est pas justifiée.
Qu’en considération de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la décision de la commission d’évaluation de rejeter l’offre de la requérante sur la base du motif susmentionné, est mal fondée.
Verdict : le CRD déclare le recours de la Société Japan Motors Mali SAS à la fois recevable et fondé ; et ordonne la reprise de la procédure d’attribution du marché en cause.
El Hadj A.B. HAIDARA