La collaboration musicale entre Amen Jah Cissé et Tiken Jah Fakoly, intitulée “Actualités brûlantes”, se présente comme une réponse artistique puissante aux défis politiques actuels en Afrique. Ce morceau aborde les dérives autoritaires et les restrictions des libertés individuelles dans des pays tels que le Togo, la Côte d’Ivoire, le Tchad et le Cameroun, ainsi que dans l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
Dès les premières notes, le ton est donné. Amen Jah Cissé s’oppose avec vigueur à la modification constitutionnelle au Togo, proclamant : “Le peuple togolais dit non à la Ve République”. Ce refrain exprime la frustration croissante face à des régimes qui, sous couvert de maintien de la cohésion nationale, restreignent les droits civiques.
De son côté, Tiken Jah Fakoly évoque les tensions en Côte d’Ivoire, où la possibilité d’un quatrième mandat pour le président Ouattara ravive des souvenirs douloureux de violences politiques de 2010-2011.
Les artistes ne se contentent pas de critiquer ; ils cherchent à éveiller la conscience de la jeunesse africaine. En dénonçant la succession monarchique au Tchad et l’absence de leadership au Cameroun, ils mettent en lumière une réalité. Leurs paroles, empreintes de lucidité et de passion, résonnent avec un public fatigué des promesses non tenues et des injustices persistantes.
Le succès immédiat du clip témoigne de l’impact de leur message. Cependant, la controverse qui a suivi, notamment les critiques des partisans des régimes de l’AES sur les réseaux sociaux, révèle une sensibilité accrue aux questions de liberté d’expression. Les artistes, en s’attaquant à des sujets délicats, encouragent un débat nécessaire sur la gouvernance et les droits humains en Afrique.
L’œuvre se positionne comme un puissant outil de contestation, rappelant que la musique peut servir de vecteur de changement. En abordant des problématiques politiques à travers leur art, Amen Jah Cissé et Tiken Jah Fakoly encouragent la jeunesse à s’engager dans la lutte pour la justice et la démocratie. Leur collaboration ne se limite pas à une simple critique, mais appelle à une prise de conscience collective, incitant les auditeurs à réfléchir sur l’avenir politique de leur continent.
Ainsi, “Actualités brûlantes” incarne une fusion entre musique et militantisme, où chaque note et chaque parole portent le poids des espoirs et des luttes des peuples africains. En célébrant la liberté d’expression et en dénonçant les abus de pouvoir, les artistes rappellent que la voix du peuple doit être entendue, et que la musique peut être un puissant moteur de changement social.
Une chanson qui résonne avec les réalités de l’Afrique de l’Ouest
Dans un passage viral de sa chanson “Actualités brûlantes”, Tiken Jah Fakoly déclare : “Ne gâtez pas l’AES. La liberté d’expression, mangée par la révolution acquise dans le sang. Regardez ce qui se passe dans l’AES. Dès que tu critiques un peu, c’est le front ou la prison”. Cette déclaration percutante met en lumière la sombre réalité vécue par de nombreux citoyens dans les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), où la liberté d’expression est sérieusement menacée.
Le message de Fakoly n’a pas laissé indifférent. Si certains ont applaudi le courage des artistes, d’autres, partisans des régimes visés, ont exprimé leur mécontentement, allant jusqu’à appeler au boycott de sa musique. Cette réaction hostile souligne la faible tolérance envers les voix dissidentes dans certains pays africains, où la répression de la liberté d’expression ne provient plus seulement des gouvernements, mais s’étend également à une partie de la population.
L’opinion publique se retrouve ainsi divisée, révélant une intolérance grandissante envers les critiques des régimes en place. Cette intolérance, qui s’infiltre dans la sphère sociale, ne se limite plus aux actions gouvernementales. Elle se manifeste aussi au sein de la société, où l’autocensure devient une stratégie de survie pour beaucoup. Les citoyens, craignant des représailles, choisissent de se taire sur des sujets sensibles.
La critique de Tiken Jah Fakoly envers l’AES intervient dans un contexte où les gouvernements des pays membres multiplient les mesures pour limiter les libertés individuelles et restreindre la liberté d’expression.
Par exemple, au Mali, la suspension des partis politiques par la junte militaire en avril 2024 a été un coup dur pour la démocratie dans le pays. Justifiée par la nécessité de maintenir l’ordre public et de faciliter un “dialogue national”, cette décision est largement perçue comme une tentative de museler l’opposition et d’assurer la prolongation du pouvoir militaire.
Au Burkina Faso, la situation est tout aussi préoccupante. Le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, a récemment déclaré lors des célébrations de la Journée internationale de la jeunesse que “les libertés individuelles ne priment pas sur celles de la Nation”. Cette déclaration, bien que populaire parmi certains segments de la population, reflète une approche autoritaire qui justifie la répression sous le couvert de l’unité nationale.
Le soutien de cette rhétorique par une partie de la jeunesse burkinabè illustre une tendance inquiétante où la répression est normalisée et acceptée comme un mal nécessaire pour la stabilité. Cette situation crée un fossé grandissant entre ceux qui, comme Tiken Jah Fakoly, plaident pour plus de liberté et le respect des droits de l’Homme, et ceux qui voient dans les régimes en place une garantie contre le chaos.
Les réseaux sociaux sont devenus le principal champ de bataille de cette confrontation, où les partisans des régimes actuels et ceux qui ne partagent pas cette vision s’affrontent dans un lutte idéologique. Les discussions en ligne révèlent non seulement la divergence des opinions au sein des sociétés africaines, mais aussi la fragilité des démocraties et du respect des libertés. Les régimes militaires au Sahel, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger, affichent un soutien populaire apparent. Cependant, ce soutien masque une intolérance croissante envers les voix dissidentes.
Le cri de cœur pour la démocratie à travers le reggae
Ce morceau de reggae, ancré dans la tradition protestataire du genre, s’attaque frontalement à la gestion de plusieurs régimes africains. Amen Jah Cissé, à travers des paroles fortes telles que “Laissez le peuple choisir ses propres dirigeants”, met l’accent sur l’importance de la participation citoyenne dans le processus de gouvernance.
Cette thématique est cruciale dans un contexte où le pouvoir est souvent confisqué par une élite restreinte. La chanson ne se limite pas à la dénonciation des régimes en place ; elle cherche également à mobiliser la jeunesse africaine. Les artistes rappellent que la liberté d’expression est un droit fondamental qui doit être protégée. Dans un contexte où critiquer le pouvoir peut mener à des représailles sévères, leur message prend une dimension particulièrement urgente.
Fakoly, en réaffirmant son engagement en faveur de la démocratie et des droits humains en Afrique de l’Ouest, utilise la musique pour éveiller les consciences et inciter les jeunes à s’engager activement pour la défense de leurs droits comme il le fait depuis près de trois décennies.
Le reggae, genre musical né de la résistance en Jamaïque, s’est toujours prêté à la dénonciation des injustices et à l’appel à la liberté. Tiken Jah Fakoly, fidèle à cette tradition, utilise le reggae non seulement comme un moyen d’expression artistique, mais aussi comme un puissant outil de protestation. Le cri de cœur de Fakoly pour la démocratie résonne particulièrement fort dans le contexte actuel, où de nombreux pays africains sont confrontés à des crises politiques et sécuritaires.
Cependant, ce message de liberté ne fait pas l’unanimité. Cette polarisation met en lumière la divergence des opinions publiques, où l’intolérance envers les voix dissidentes est en hausse. Les gouvernements mais aussi une partie de la population semblent réticents à accueillir des critiques envers le pouvoir. Le cri de cœur de Fakoly et de Amen Jah Cissé pour la démocratie résonne particulièrement fort dans le contexte actuel, où de nombreux pays africains sont confrontés à des crises politiques et sécuritaires.
Le reggae, avec ses rythmes devient le vecteur d’un message urgent : la nécessité de protéger les acquis démocratiques durement obtenus. En dénonçant certaines dérives, Fakoly rappelle l’importance de la liberté d’expression comme pilier de toute démocratie viable.
Bah Traoré
Analyste politique et sécuritaire au Sahel
Source: Mali Tribune