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L’ex-premier ministre Soumeylou Boubèye Maiga au journal Français «l’opinion» « Au Sahel, le statu quo compromet la « Au Sahel, le statu quo compromet la lutte contre le terrorisme et les trafics »

L’ex-premier ministre Soumeylou Boubèye Maiga au journal Français «l’opinion» “Au Sahel, le statu quo compromet la “Au Sahel, le statu quo compromet la lutte contre le terrorisme et les trafics”

« Nous devons absolument éviter de cultiver l’idée que le volume de nos moyens militaires entraînera automatiquement l’éradication de la menace », analyse l’ancien Premier ministre malien. Interlocuteur apprécié par la France et l’Algérie, Soumeylou Boubèye Maïga est un fin connaisseur des questions de terrorisme et de rébellion armée. A 65 ans, cet ancien patron du renseignement malien, qui fut Premier ministre jusqu’en avril dernier, propose de réaménager le dispositif militaire au Sahel et de mieux l’articuler avec les actions de développement.

Les forces maliennes et françaises subissent de lourdes pertes dans les combats contre les terroristes au Mali. Faut-il revoir l’approche ?

La résilience des groupes terroristes, en dépit des coups reçus depuis l’opération française Serval et l’importance des dispositifs sécuritaires nationaux et internationaux, s’est traduite au cours des derniers mois par d’importantes pertes pour nos armées nationales comme pour notre partenaire français. On assiste à une expansion territoriale continue de leurs actions contre les armées et les populations, dans un espace qui s’étend de la région du lac Tchad au voisinage méridional du Sahel. Dans cet espace, il existe une connexion très forte entre groupes terroristes et radicaux, réseaux mafieux impliqués dans les différents trafics (drogues, êtres humains, armes, munitions, etc.) et banditisme transfrontalier. D’où la nécessité de procéder à une évaluation et à une réorganisation éventuelle du dispositif militaire, tant au niveau des Etats de la région que de leurs partenaires.

On a l’impression d’une superposition, pas toujours coordonnée, des forces étrangères, régionales, nationales…

 

Les dispositifs actuels révèlent des discontinuités territoriales qu’il faut combler : la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), qui n’est pas engagée dans la lutte antiterroriste, a une compétence d’intervention sur le territoire malien alors que la menace est régionale. La force régionale du G5 Sahel ne couvre pas tout l’espace de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont tous les membres sont peu ou prou touchés. Si le caractère transnational de la menace justifie l’intervention de partenaires extrarégionaux, il me semble logique d’impliquer davantage les différents pays ouest-africains, plus directement concernés par la menace. On peut donc envisager la présence de pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, par exemple, dans un dispositif régional élargi, auprès du G5, avec des unités intégrées au niveau de la composition et du commandement de cette force. Cela faciliterait une appropriation régionale plus visible des stratégies adoptées. Ces pays peuvent apporter, dans un court délai, des services de qualité dans des segments comme les forces spéciales, l’aviation et le recueil du renseignement.

 

Quelle coordination mettre en place avec les armées européennes ?

Nous devons travailler avec nos partenaires français et européens à un cadre opérationnel plus coordonné. Ceci contribuera au renforcement de nos capacités nationales et facilitera notamment les échanges d’information pour mieux  » caractériser  » l’adversaire.

Enfin, si l’action militaire est primordiale, elle doit être très rapidement relayée par des actions politico-économiques pour faire émerger progressivement un nouvel environnement socio-politique en œuvrant à couper le cordon ombilical entre les groupes terroristes et radicaux et les populations.

Celles-ci doivent être au cœur de notre réponse. Et sur ce plan, il est important qu’en plus des efforts nationaux de chaque pays, nous puissions trouver les convergences en matière de gouvernance pour construire, en plus de la défense et de la sécurité, un espace commun de développement et de promotion humaine. Chacun de ses points comporte des volets de court, moyen et long terme. Nous devons absolument éviter de cultiver l’idée que le volume de nos moyens militaires entraînera automatiquement l’éradication de la menace. Cette focalisation uniquement sécuritaire obère la complexité des enjeux intérieurs et extérieurs dans lesquels la menace s’insère et peut être la source de graves malentendus avec nos opinions publiques respectives. Pour être vraiment productive, la réévaluation en cours doit permettre une meilleure appropriation collective de tout le spectre de la coopération.

Comment relancer la mise en œuvre l’accord de paix d’Alger et de Bamako entre l’Etat et les groupes armés ?

Il convient juste de revenir à plus de pragmatisme pour trouver, par la discussion et le consensus, des solutions pratiques pour surmonter les éventuelles difficultés. Ce fut le cas quand les parties maliennes ont eu recours à des notes explicatives, feuilles de route ou entente pour la mise en œuvre de certaines dispositions de l’Accord et même à un pacte pour la paix avec les Nations unies. Les dispositions de ces accords édictent les conditions de sa relecture y compris, pour des aspects de doctrine. Il y a toujours des besoins de clarification, notamment sur le principe de subsidiarité qui donne davantage de pouvoirs aux assemblées régionales. Nous devons donc pouvoir éviter toute crispation inutile et déconstruire des discours de peur totalement infondés. Par rapport à la situation sécuritaire, il est urgent d’avancer de manière volontariste pour atténuer un certain nombre de vulnérabilités dans le Centre et le Nord du Mali. Le statu quo peut compromettre tous nos efforts dans la lutte contre le terrorisme et les trafics.

La situation se détériore au Centre du pays où opère la katiba d’Amadou Koufa. L’Etat doit-il négocier avec les terroristes ?

 

Tout le monde admet que, dès lors que l’action militaire ne peut suffire, il faut identifier des acteurs avec lesquels des passerelles peuvent être établies pour l’avènement d’un nouvel ordre social et politique. Cet ordre ne doit pas, bien sûr, remettre en cause le socle de nos valeurs démocratiques et républicaines. C’est le sens des actions qui ont été entreprises, il y a longtemps, par l’Etat malien et qui se sont notamment concrétisées par au moins une rencontre avec Amadou Koufa. Mais quelles sont les lignes rouges ? Quel est le degré d’autonomie de certains des interlocuteurs vis-à-vis des mouvances auxquelles ils ont fait allégeance ? En tout état de cause, l’Etat ne peut avancer que sur la base d’un rapport de force qui lui est favorable. Et, de toute façon, nos Etats sont obligés de s’engager dans une démarche de remise en cause progressive en matière de gouvernance où certaines pratiques ont pu donner à des populations une perception (et quelquefois un vécu) de relation oppressive avec l’Etat.

La classe politique semble décrédibilisée dans beaucoup de pays du Sahel ?

 

Les forces politiques conventionnelles ont du mal à créer un effet d’entraînement et d’encadrement du corps social dans un contexte mondial de remise en cause du leadership des Etats. Nos systèmes démocratiques se sont développés sur le clientélisme et la gestion de la rente. Les pouvoirs publics ne font plus de propositions et les milieux religieux se sont arrogé la fonction protestataire. Au centre et au nord du Mali, les groupes jihadistes dictent l’agenda, y compris politique.

L’imam Mahmoud Dicko, ex-président du Haut conseil islamique (HCI) au Mali, vient de lancer un mouvement perçu comme politico-religieux. Craignez-vous l’avènement de l’islam politique dans votre pays ?

 

Il y a toujours eu une forme d’islam politique dans nos pays même s’il n’était pas dominant. Actuellement, l’on constate que des milieux religieux font irruption dans le champ politique où ils parviennent malheureusement à satelliser des forces politiques et sociales conventionnelles. Nous avons un terreau très fragile avec une population très jeune – 70 % n’ont pas trente ans – en quête de sens sur laquelle pèse un faisceau d’indicateurs socio-économiques négatifs et qui constitue, de ce fait, un réservoir de recrutement. Il y a là un vrai risque de basculement vers des formes de populisme et de radicalisation.

Source: l’OPINION

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